Avocat, homme politique et universitaire aux dons intellectuels éclatants, Edgar Faure a été deux fois Président du Conseil sous la IVe République puis a poursuivi sous la Ve une carrière ministérielle en demi-teinte.
Alors que son prédécesseur Pierre Mendès France a gardé de son bref passage de sept mois à Matignon une immense aura d’homme politique à la rigueur intellectuelle sans faille, Edgar Faure souffre encore d’une réputation d’opportuniste sans conviction politique affirmée, à l'image de son père spirituel, Henri Queuille. Il répondait lui-même à l’objection par un de ses aphorismes célèbres : « ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent ».
Un pilier de la IVe République
Né en 1908 à Béziers, Edgar Faure achève très rapidement de brillantes études de droit à la faculté de Paris où il fait la connaissance de son aîné d’un an Pierre Mendès France, tout en apprenant le russe à Langues O.
À moins de 21 ans, il s’installe comme avocat après avoir été élu 2ème secrétaire de la conférence du stage, pépinière des futures élites de la « République des avocats » : son lointain successeur Arnaud Montebourg lui consacrera en 1993 un éloge qui sera primé.
Il rejoint pendant la guerre son ami Mendès France à Alger où il travaille dans les services du gouvernement provisoire du général de Gaulle, puis représente la France au procès de Nuremberg.
Il entre en politique à la Libération en étant élu député du Jura, et devient rapidement secrétaire d’État au budget, ministre des finances puis président du Conseil, d’abord pour un mois en 1952 puis pour 11 mois en 1955.
Il y succède alors à Mendès France qui représentait l’aile gauche du parti radical, après avoir occupé dans le gouvernement de ce dernier les postes de ministre des Finances puis des Affaires étrangères. Il s’y signale par une faculté de compromis qui lui permet de faire voter l’introduction de la TVA et de préparer l’indépendance sans drame de la Tunisie et du Maroc (« l’indépendance dans l’interdépendance »).
Son étonnant brio lui permet d’attirer des collaborateurs d’une qualité exceptionnelle dont certains deviendront célèbres, comme le maître des requêtes au Conseil d’État Jacques Duhamel en tant que directeur de son cabinet à Matignon, et l’inspecteur des Finances Valéry Giscard d’Estaing en tant que directeur adjoint (il fera plus tard le commentaire suivant : « Duhamel a trop appris de moi, Giscard pas assez »).
Son concurrent Mendès France n’était d’ailleurs pas en reste avec sa propre équipe de collaborateurs devenue légendaire, parmi lesquels Michel Jobert qui poursuivra ultérieurement sa carrière auprès de Georges Pompidou.
Edgar Faure, qui se situait à l’aile droite du parti radical, décide d’utiliser pour la première fois la possibilité donnée par la Constitution de la IVe République de dissoudre l’Assemblée Nationale, après qu’elle ait provoqué une 2ème crise ministérielle en moins de 18 mois par le renversement de son gouvernement en décembre 1955.
Le parti radical indigné par ce retour à une pratique inusitée depuis Mac Mahon prend immédiatement la décision de l’exclure, ce qu’il accueille avec le commentaire suivant : « J’ai été en l’espace de 24 heures renversé, dissout et exclu ». Les élections législatives qui suivent ne permettent pas à Mendès France de reprendre l’avantage et c’est Guy Mollet qui succède à Edgar Faure à la présidence du Conseil.
La suite de sa carrière se remettra difficilement de ce coup d’éclat : il accepte en 1958 le retour du général de Gaulle au motif que « l'Algérie est un problème de la quatrième dimension qui ne peut être résolu que par un personnage de la quatrième dimension » alors que Mendès France le refuse, mais patiente longtemps pour renouer avec la carrière ministérielle.
Il en profite pour écrire une thèse de droit fiscal sur « La capitation de Dioclétien », pour passer l’agrégation universitaire de droit romain considérée comme la plus difficile, et pour rédiger deux gros ouvrages sur « La disgrâce de Turgot » et « La banqueroute de Law », publiés dans la collection Trente journées qui ont fait la France… qui attend encore l’ouvrage confié à François Mitterrand sur « Le coup d’Etat du 2 décembre 1851 ». Il est en outre l’auteur de romans policiers sous le pseudonyme d’Edgar Sanday (Edgar « sans d »).
Ministre de l’Agriculture en 1966 pour succéder à Edgard (avec d) Pisani, il devient ministre de l’Éducation nationale en 1968 à la suite des événements du mois de mai et fait voter une loi d’orientation restée fameuse, après avoir mis à la retraite l’inamovible secrétaire général de ce ministère avec l’oraison suivante : « M. … était irremplaçable, c’est la raison pour laquelle il n’a pas été remplacé ».
Il sera encore ministre des Affaires sociales puis président de l’Assemblée Nationale. Il disparaît en 1988, avant la commémoration du bicentenaire de la Révolution dont le Président de la République François Mitterrand lui avait confié la préparation.
Brio intellectuel
Les capacités intellectuelles hors du commun d’Edgar Faure s’alliaient à une absence totale de modestie tempérée par un humour célèbre (« Deux hommes auraient pu éviter la Révolution française : Turgot, mais il était déjà mort, et moi, mais je n'étais pas encore né »).
Sa grande liberté de mœurs aurait signé l’arrêt immédiat de sa carrière politique aux États-Unis, alors qu’elle ne lui valait qu’une indulgence amusée en France et surtout en Franche-Comté dont il présida longtemps le conseil régional, en alternance avec Jean-Pierre Chevènement (« Vous avez été le meilleur ministre de l'Éducation, après moi, chronologiquement »).
Le poste le plus délicat dans ses équipes ministérielles, disait-on, était celui du chef de cabinet, chargé de tenir l’agenda public et secret du ministre : l’épouse légitime Lucie Faure venait de temps en temps sommer le chef de cabinet de lui dire la vérité à propos d’un alibi invraisemblable, ce qui mettait le malheureux dans une situation impossible.
Il estimait comme François Mitterrand que l’intérêt de la politique est d’exercer le pouvoir pour y faire œuvre utile, au lieu de se retirer sur l’Aventin comme Pierre Mendès France.
Ses mémoires en deux tomes (« Avoir toujours raison, c’est un grand tort » et « Si tel doit être mon destin ce soir ») sont une passionnante réhabilitation de la IVe République, toujours décriée par la Ve pour son instabilité politique mais qui permit néanmoins d’assurer en douze ans la reconstruction de la France au cours de la première phase des « Trente glorieuses », avant de chuter sur le problème algérien insoluble par un régime d’assemblée.
Ces mémoires constituent aussi une étonnante collection de maximes politiques dans laquelle il reste possible de puiser (« lorsqu’un problème est difficile, il faut toujours recourir à une solution compliquée »).
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