En 1841, dans une Angleterre victorienne frappée de très grandes inégalités sociales, un jeune menuisier imbu de principes chrétiens et humanitaires invente le voyage pour tous.
Le tourisme était jusque-là le privilège des aristocrates qui se piquaient d'entrer dans l'âge adulte par un « Grand Tour » initiatique dans tout l'Europe et, l'âge venu, s'en tenaient à des séjours plus tranquilles dans les stations thermales.
Grâce à l'arrivée du chemin de fer (Angleterre, 1825) et des premiers congés payés (France, 1853), les vacances vont lentement s'étendre à toutes les couches de la population.
Thomas Cook, inventeur des voyages et séjours organisés, va les accompagner dans leur développement en fondant la première agence de voyages et en lançant le chèque de voyage. Son entreprise va poursuivre sa mission jusqu'à ce jour fatidique du 23 septembre 2019 qui a vu le nom de son fondateur disparaître des registres commerciaux...
Améliorer la société par le voyage organisé
Thomas Cook est né le 22 novembre 1808 à Melbourne, dans les Midlands, au nord de Londres. Issu d'un milieu modeste mais très religieux, il est baptisé par immersion totale selon le rite baptiste. Faute de pouvoir aller à l'école, il travaille comme jardinier puis apprend à 14 ans le métier de menuisier. Dans le même temps, il commence à militer contre l’alcoolisme qui ravage l’Angleterre. À 20 ans, il parcourt la région en vendant des bibles. Il donne aussi des cours d'alphabétisation aux adultes !
S'étant marié à 25 ans avec Marianne Mason, la fille d'un riche fermier, il fait avec elle le serment de ne jamais boire une goutte d'alcool ! Homme de foi, il veut lutter contre les deux fléaux que constituent pour les prolétaires anglais le gin et la bière.
C'est ainsi qu'en 1841, âgé de 32 ans, il organise un premier voyage de groupe. Il s'agit de transporter en train 570 militants entre Leicester et Loughborough (16 km). L’objet du voyage ? Un meeting contre l'alcool. Pour se faire, le menuisier négocie des billets à prix réduits (1 shilling) contre une promesse de taux d’occupation du train. Il obtient gain de cause.
Quatre ans plus tard, étant devenu imprimeur à Leicester, Thomas Cook propose à 1 200 clients un voyage à Liverpool et au pays de Galles. Il négocie comme précédemment des billets à prix réduits auprès des compagnies ferroviaires et édite à cette occasion une première brochure de voyage.
Il ambitionne de démocratiser les voyages, qui sont encore à cette époque un privilège réservé aux plus aisés. Son but affiché : « Ouvrir les yeux des hommes sur les beautés de la nature et l’œuvre de Dieu. » Et c’est donnant-donnant car Thomas Cook va profiter aussi de la possibilité de voyager ainsi offerte aux classes moyennes.
Le monde à portée de main
En 1851, le voyagiste en herbe édite The Excursionist, première revue de voyage (elle a résisté jusqu'à aujourd'hui à l'épreuve du temps). Il organise aussi un voyage au départ de York vers la première Exposition Universelle de Londres. Il parvient à attirer 150 000 clients, c’est un succès. Il renouvelle donc l’expérience en 1855, invitant ses clients à découvrir l’Exposition Universelle de Paris. Dans le même temps, il organise un premier Cook's Tour entre Bruxelles et Paris, avec croisière sur le Rhin !
La famille est mise à contribution. Son épouse prend la direction d'un hôtel Cook à Leicester, la ville d'attache, et dans les années 1860, son fils aîné John Mason Cook (1834-1899) le rejoint dans la société Thomas Cook and Son.
Jamais en manque d'inspiration, Thomas Cook propose à ses clients individuels des packages voyage+hôtel. En 1865, la première agence Thomas Cook est ouverte à Fleet Street, à Londres. Le métier d’ « agent de voyage » est ainsi créé.
En 1868, Thomas Cook crée les coupons d’hôtel (« Cook’s hotel coupons »), des bons à échanger contre une nuit d’hôtel. Un concept qui s’avère intéressant car cinq ans après leur lancement, ces bons sont acceptés dans près de 300 établissements du monde entier. Il introduit un autre élément-clé du tourisme moderne : la lettre de crédit de voyages, ancêtre du chèque-voyage, en 1874.
En 1869, Ferdinand de Lesseps invite Thomas Cook à l’inauguration du canal de Suez. Un événement décisif pour le voyagiste qui prend conscience du potentiel touristique de la région. Il lance dans la foulée les premières croisières à vapeur sur le Nil.
On pense tout de suite au roman d'Agatha Christie, Mort sur le Nil ? Hé bien, justement c’est Thomas Cook qui a entrepris les travaux de construction du palais d’Assouan, l’Old Cataract, de style victorien teinté d’orientalisme où fut tournée l’adaptation cinématographique du roman réalisé par John Guillermin en 1978.
Encore plus fort, en 1872, Thomas Cook organise le premier voyage autour du monde pour dix clients – et lui-même -. Les chanceux partent de Liverpool le 20 septembre 1872. Ils traversent l'Atlantique en treize jours et découvrent l’Amérique, le Japon, la Chine, Ceylan, l’Inde. Retour par la mer Rouge. À leur retour, The Times conte leurs aventures. Ils ont parcouru au total 45 000 km en deux cent vingt deux jours.
On pense ici bien sûr à Jules Verne. Justement, le romancier a eu l'idée de son Tour du monde en 80 jours après avoir vu une publicité du voyagiste. La publication du roman débute sous forme de feuilleton dans Le Temps le 6 novembre 1872. Au même moment, les Londoniens lisent dans The Times les lettres transmises par Thomas Cook, encore en vadrouille avec ses heureux clients en Amérique !
Le nom de Thomas Cook est devenu une référence mondiale dans le secteur du voyage. Le Premier ministre libéral William Gladstone (1809-1898) qualifie son entreprise de « grande contribution aux progrès de l’humanité. » et ajoute : « Désormais, des milliers et milliers d’habitants de ces îles qui n’auraient jamais quitté nos rivages peuvent partir et revenir en toute sécurité, dans le confort et en prenant beaucoup de plaisir. Ils rentrent reposés et plus intelligents. »
C’est la consécration pour celui que l'on qualifie de « Napoléon du tourisme ».
En 1879, Thomas Cook laisse la direction de l'entreprise à son fils John. Il meurt à Bergen, en Norvège, le 18 juillet 1892, à l’âge de 82 ans.
Comme ses parents, John Cook se garde de boire de l'alcool. En 1899, lors d’un voyage avec l’empereur allemand Guillaume II en Terre Sainte, à Jérusalem, il trinque à l’eau. Croupie semble-t-il, car la dysenterie l’emporte peu de temps après.
Les trois petits-fils de Thomas Cook, Frank, Ernest et Bert héritent de l'empire. Ils vont à leur tour faire preuve d’inventivité en intégrant les innovations technologiques de leur temps aux voyages de leur grand-père, avec des voyages en ballon, à bicyclette et bien sûr en automobile.
Une affaire qui se porte bien... jusqu’à la faillite inattendue
L’entreprise va rester entre les mains de la famille jusqu’à sa vente à la Compagnie internationale des Wagons-Lits et des Grands Express Européens, propriétaire de l’Orient-Express (on pense encore à Agatha Christie) en 1928. Elle est ensuite rachetée à plusieurs reprises avant de devenir la propriété du groupe touristique allemand C&N Touristik AG en 2001. En 2004, Thomas Cook débarque en France. En 2008, la filiale française rachète Jet Tours.
Dans les années 2010, les affaires se portent bien pour le groupe qui gère un immense réseau d’hôtels, de complexes touristiques, de liaisons aériennes et de croisières. En 2012, il enregistre un chiffre d’affaires de plus de 11 milliards d’euros. Mais les dettes s’accumulent. Le quotidien britannique The Guardian rapporte qu’en mai 2018, l’entreprise vaut encore 2 milliards de livres. En quelques mois, tout bascule.
Le 23 septembre 2019, à cause d’un management défaillant, d’une dette colossale, d’une forte concurrence et peut-être aussi de la menace du Brexit, le voyagiste britannique est contraint de mettre la clé sous la porte, mettant ainsi un terme à 178 ans d’histoire. 20 000 employés se retrouvent sans travail, 600 000 clients doivent être rapatriés.
Bibliographie
Méconnu en France, Thomas Cook a fait l'objet d'une biographie captivante par Béatrix de L'Aulnoit et Philippe Alexandre : Thomas Cook - 1808-1892 L'inventeur des voyages (2018, Robert Laffont).
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Piguet (07-10-2019 07:15:14)
J'ose parier que les responsables de la faillite de Cook ne sont pas partis les mains vides, au contraire des autres employés.