John Muir (1838 - 1914)

Le vagabond qui a créé le parc de Yosemite

John Muir vagabondant dans les montagnes californiennes en 1902.« Nous sommes dans la montagne, et la montagne est en nous, dans chacun de nos nerfs, pénétrant par chacun de nos pores et alors, notre corps devient transparent comme du verre à la beauté qui l'environne, comme s'il en était devenu une partie, vibrant avec l'air et les arbres, les courants et les rochers,  dans les vagues du soleil. Une partie de la nature... immortelle... un autre moi. »

Dans Un été dans la Sierra, comme dans tous ses écrits, John Muir jongle entre un lyrisme flamboyant et un militantisme convaincant. Poète géologue, explorateur alpiniste, philosophe botaniste, cet Écossais d’origine, débarqué en Amérique au milieu du XIXème siècle, est un pionnier de l'écologie. 

Il a voyagé toute sa vie afin d’être au plus près de ce qu’il nous invite à préserver et les Américains lui sont redevables de la création du parc national du Yosemite, en Californie…

Charlotte Chaulin
De l’Écosse à la Californie

Né le 21 avril 1838 à Dunbar en Écosse dans une famille très pieuse, John Muir reçoit une éducation stricte et intransigeante. À la fin des années 1840, son père décide de traverser l'Atlantique avec son épouse et ses neuf enfants pour s'installer en Amérique du nord.

John Muir vers 1863. En agrandissement : Muir et sa famille en Californie.John Muir a 11 ans quand il arrive aux États-Unis, près de Portage, dans le Wisconsin. Sous les ordres de son père, il travaille sans relâche dans la ferme familiale. 

En cachette, le jeune homme étudie grâce aux ouvrages prêtés par ses voisins – ça le change de la Bible - et se passionne pour les inventions. Il crée notamment une horloge mécanique en bois et un pupitre qui ouvre les livres, pour lire sans effort. 

« Il aurait pu être Edison », analyse Alexis Jenni, auteur de l’ouvrage biographique J’aurais pu devenir millionnaire, j’ai choisi d’être vagabond (éditions Paulsen, janvier 2020). 

Au gré de ses lectures, Muir découvre le monde et la nature. Il est bouleversé par la lecture du Voyage aux régions équinoxiales du nouveau continent fait en 1799 et 1800 d’Alexander von Humboldt et Aimé Bonpland. Le périple du philosophe naturaliste allemand frappe l'imaginaire de Muir jusqu'à la fin de ses jours. 

Au-delà du goût de l'aventure, c'est l'approche holiste de la nature prônée par Humboldt qui convainc Muir : la nature est un tout régi par l'harmonie de ses lois et dont la beauté reflète le divin.

Dès sa majorité, il s’émancipe du joug parental et prend son indépendance, vivant chichement grâce à ses talents d'inventeur et de mécanicien. En 1861, il rejoint l'université du Wisconsin et reçoit son premier cours de botanique. « Ce petit cours m’a envoûté et m’a fait voler par-delà les forêts et les prairies avec un enthousiasme sauvage » écrit-il dans son Autobiographie.

Au contact du professeur Ezra S. Carr, Muir se forme à la géologie, à la chimie, à la botanique et aux mathématiques. Il se familiarise avec les travaux de Louis Agassiz, l'homme qui domine la science américaine avant l’ouragan darwinien et de Lyell sur les glaciers. 

Dans le même temps, le professeur Butler l'initie aux romantiques anglais et aux transcendantalistes américains, dont Henry Thoreau qui le marque profondément. 

John Muir face à la rivière Merced dans la vallée de Yosemite en 1900. En agrandissement : la rivière merced aujourd'hui.À son image, Muir aime à errer dans les bois et étudier les phénomènes naturels sur le terrain, lui qui ne sera jamais un scientifique de laboratoire. 

Pourtant, il ne va pas au bout de son cursus universitaire. Après avoir passé deux ans et demi sur les bancs de la fac, il traverse la frontière canadienne afin d'éviter la conscription qui le promet aux champs de bataille de la guerre de Sécession.

Une vie conventionnelle ? Très peu pour lui. Les années suivantes, Muir alterne les périodes de vagabondage dans la nature et d'emploi de contremaître dans divers ateliers. 

Sa formation, il préfère la poursuivre à « l’université de la vie sauvage ». À partir de 1864, l’autodidacte errant voyage à travers les États-Unis et le Canada. 

L'année 1867 marque un tournant dans son parcours. Employé comme contremaître dans une fabrique d'Indianapolis, il est victime d’un accident du travail qui lui fait perdre la vue pendant deux mois.

Craignant de ne jamais recouvrer la vue, le regret de ne pas avoir parcouru le monde l’envahit. Il réalise qu’il manque d’images de la nature à se repasser en mémoire.

Alors, une fois guéri, il ne perd pas plus de temps, prend son sac et part avec une idée en tête : voir des arbres, voir des plantes, voir le ciel. Rien ne l’intéresse davantage. 

Âgé de 29 ans, il parcourt à pied plus de 1 500 km, depuis le Kentucky, direction la Floride. « Mon plan était simplement d’aller vers le sud par la voie la plus sauvage, la plus feuillue et la moins empruntée que je puisse trouver. »

Il gagne la Californie et découvre la vallée de Yosemite. Le coup de foudre est immédiat. Il s’y installe comme berger et n’a de cesse de l’admirer dans ses moindres recoins. Il entretient un rapport quasi-mystique avec ses montagnes qu’il arpente sans cesse. 

Il correspond régulièrement avec Jeanne Carr, l’épouse de son professeur d’université, qui, touchée par la profondeur des mots de Muir, décide d’envoyer une de ses lettres à un journal qui la publie aussitôt. Sa carrière littéraire est lancée et le couple Carr participe à imposer sa notoriété.

John Muir admirant au loin la chute de Vernal dans la vallée de Yosemite. En agrandissement : la chute de Vernal aujourd'hui.

À force d’observer sa belle, Muir tombe sur un glacier vivant au cours d’une de ses promenades. Il émet alors une théorie sur la vallée : Yosemite serait une ancienne auge glaciaire. 

Cette découverte lui vaut la reconnaissance de la communauté scientifique. Muir invalide les thèses existantes sur l’origine de la vallée et l’attribue avec justesse à l’érosion glaciaire.

Dans les années 1870, il se rapproche des hommes et multiplie les publications d’articles appelant à protéger la nature et la maintenir intacte. Il dénonce les dangers de l’impact humain sur les écosystèmes.

Les villes grandissent à toute vitesse, engloutissant les campagnes alentours. Il faut préserver ces espaces verts, ces étendues de nature vierge pour que l’homme vienne s’y ressourcer. 

En 1879, il découvre l’Alaska puis se marie avec Louisa Strentzel, fille d’un éminent médecin et horticulteur qui lui a été présentée par Jeanne Carr. 

Le couple s’installe à Martinez en Californie et Muir prend en main la gestion du grand ranch de fruits de son beau-père. Mais son activité d’agriculteur ne lui suffit pas. La liberté du monde sauvage lui manque et il part régulièrement se ressourcer dans les montagnes.

Bivouaquer avec Roosevelt

Dans les années 1880, fier d’un réseau de plus en plus étoffé (éditeurs, hommes d’affaires, hommes politiques), Muir enchaîne les rencontres décisives. En 1889, le co-éditeur du prestigieux Century Magazine le persuade de l’aider à mener une campagne pour la conservation de la vallée de Yosemite.

Muir accepte et publie deux articles : Les trésors du Yosemite et Caractéristiques du projet de parc national. Sa carrière littéraire prend une tournure politique et le succès est au rendez-vous. Le 1er octobre 1890, la vallée devient le deuxième parc national protégé des États-Unis, après Yellowstone.

Théodore Roosevelt et John Muir dans la vallée de Yosemite en 1903.Le président américain lui-même, Théodore Roosevelt, veut voir de ses yeux les merveilles de la nature qui passionnent Muir. En 1903, le président américain accompagne Muir à Yosemite. Les deux hommes bivouaquent dans le parc et discutent à la belle étoile. 

Muir poursuit ses voyages et ses écrits poétiques. Peu d’entre eux nous sont parvenus, certains ont été publiés par lui-même (Un été dans la Sierra, Voyages en Alaska) d’autres, de manière posthume (Quinze cents kilomètres à pied dans l’Amérique profonde, Journal de voyage dans l’Arctique).

En 1892, il fonde le Sierra Club, une organisation pour préserver les montagnes de la Sierra Nevada. C’est la première ONG dédiée à la préservation de l’environnement. 

Les années passent mais sa passion ne lui passe pas. Muir est un infatigable. Le voyage est pour lui une nécessité. À 73 ans, il réalise un rêve d’enfance et remonte l’Amazone à la voile. Il longe la côte jusqu’à Buenos Aires puis gagne Santiago du Chili en train. De là, il embarque pour le Cap, traverse l’Afrique du sud au nord puis rentre en Amérique par la Méditerranée. 

Au même moment, il perd un combat contre les « profanateurs », menés par Gifford Pinchot, qui veulent exploiter les ressources de Yosemite. Préservationniste, lui est partisan d’un parc naturel vierge de modification humaine.

S’il court après la vie, se confondant avec la nature à laquelle il voue une admiration sans borne, la maladie le rappelle à l’ordre deux ans plus tard. Muir s’éteint des suites d’une pneumonie le 24 décembre 1914 à l’âge de 76 ans.

Une chance peut-être, pour ce pionnier de l’écologie, de ne pas avoir été un témoin de la Grande Guerre et de ses dégâts environnementaux. 

Voyage en Alaska

« Les mousses étaient au-delà de toute description : si belles, si fraîches, d'un vert si gai, et toutes tellement basses, calmes et silencieuses alors que le vent soufflait violemment sur elles, tandis que s'abattait la pluie lourde, Jamais, probablement, aucune particule de poussière n'avait touché les feuilles ou les extrémités de toutes ces plantes bénies. Et comme les bords rouges des corolles de de cladonias paraissaient brillantes à côté d'elles, ou les fruits du cornouiller nain ! Les baies mouillées étincelaient comme des pierres précieuses - les gouttes de cristal des myrtilles sur les buissons aux fleurs pâles, mêlées aux grappes de perles des mûres rouges et jaunes, et les gouttes de pluie elles-mêmes ressemblaient à des baies, qui décoraient les arches d'herbes et de laiches entrelacées sur le bord des mares, chacune comme un miroir qui aurait reflété le paysage tout entier. »

Extrait de Voyage en Alaska, John Muir, 1995.

Faire du rêve une réalité

L’entrée dans le XXIème siècle et la montée du mouvement écologiste dans de nombreux pays du monde qui accompagne la réconciliation de l’homme et de la nature marque un retour de John Muir sur le devant de la scène.

John Muir vers 1908. En agrandissement : pièce de vingt-cinq centimes californienne en hommage à John Muir.Les États-Unis ont décidé de créer cinquante pièces de vint-cinq centimes (quarter) pour symboliser chacun des États américains. Le tour de la Californie venu, en 2004, son gouverneur Arnold Schwarzenegger choisit de représenter sur la pièce californienne John Muir  contemplant Half Dome dans la vallée de Yosemite. 

Son visage devient presqu’aussi connu que son nom qui a été donné à de nombreux éléments de la nature : le Muirite (un minéral), le Thecla muirii (un papillon), l’Amplaria muiri (un mille-pattes), Ivesia muirii (un membre de la famille des rosacées) et bien d’autres encore.

Le 21 avril 2013, l’Écosse célébrait les 175 ans de sa naissance et fêtait le John Muir Day pour rendre hommage au défenseur de l’environnement.

L’héritage de John Muir s’inscrit dans l’actualité du XXIème siècle avec la prise de conscience des hommes de la nécessité de prendre soin de leur environnement menacé. Ses écrits, qui mêlent lyrisme flamboyant et combat écologique, conservent aujourd’hui toute leur pertinence. 

Pour l’auteur Gretel Ehrlich, John Muir a changé la façon dont les Américains ont vu leurs montagnes, les forêts, bords de mer et les déserts. À la fois rêveur et activiste, il est considéré comme l’un des pionniers de l’écologie moderne. 

Ses mots résonnent dans l’esprit de ceux et de celles qui, aujourd’hui, prônent un retour à la terre et souhaitent préserver la nature. « Dans la forêt je pars, pour perdre mon esprit et retrouver mon âme », écrivait John Muir.

Publié ou mis à jour le : 2020-05-23 21:41:10

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