Cette Histoire des ouvriers en France au XXe siècle de Xavier Vigna (Perrin, collection Tempus) est une passionnante exploration du monde ouvrier pendant le siècle où il a occupé une position centrale dans la société française. L’auteur en étudie tous les aspects : combats politiques et sociaux mais aussi vie de famille, logements, loisirs, culture.
Six millions d’ouvriers en 1911
Alors que la France comptait six millions d’ouvriers en 1911, dépassant pour la première fois le nombre des agriculteurs exploitants, cette catégorie sociale semble aujourd’hui avoir disparu du paysage économique et social engloutie par les restructurations industrielles et la mondialisation. Pourtant les ouvriers existent encore mais, en un siècle, ils ont subi des mutations qui en ont fait quasiment des invisibles.
L’ouvrage de Xavier Vigna nous aide à comprendre ce phénomène. S’appuyant sur une documentation approfondie, des études régionales et locales très fines ainsi que sur de nombreux témoignages, il bat en brèche un certain nombre d’idées reçues. À commencer par le vocable de « classe ouvrière » que l’auteur récuse car il implique une homogénéité inexistante selon lui, tant le prolétariat se subdivise en diverses catégories selon le genre, les qualifications professionnelles, les générations, l’antagonisme entre les travailleurs nationaux et les immigrés.
Enjeu politique majeur en raison de sa « centralité » dans la société française pendant près d’un siècle, les ouvriers ont apporté leur soutien principalement au PC, mais aussi, dans une moindre mesure, aux socialistes via leurs municipalités et à des formations de droite ; certains se sont même investis dans la sphère catholique (Jeunesse ouvrière chrétienne).
Contrairement à ce que prétend le parti communiste, il n’a pas été, y compris dans sa période la plus faste au lendemain de la deuxième guerre mondiale, « le parti de classe ouvrière ». Si en 1981, les ouvriers ont voté à 70% pour François Mitterrand, la déception engendrée par la gauche au pouvoir a provoqué une « désouvriérisation » du PC et du PS et un abandon de ces deux partis par leur électorat populaire qui s’est réfugié dans l’abstention ou a basculé pour partie en direction du Front national. Quant à la frange la plus radicalisée des ouvriers de droite, elle a glissé elle aussi vers l’extrême-droite, estime Xavier Vigna.
Depuis une quarantaine d’années, la disparition des grands sites industriels a dispersé le monde ouvrier en le réorientant vers le tertiaire, au prix de la perte sa spécificité originelle. « À l’échelle nationale, ce sont les emplois de manutentionnaires, d’agents non qualifiés des services d’exploitation des transports, ainsi que les postes d’ouvriers du tri, de l’emballage et de l’expédition qui progressent dans les années 1990 : non plus les postes de production, donc, mais en leurs amont et aval, tout ce qui relève de la logistique. Plus fondamentalement la classe ouvrière se dissout en même temps qu’elle cesse d’être à majorité industrielle pour devenir un nouvel ensemble social où les emplois les plus fréquents se situent dans le commerce, les services marchands, les transports », constate l’auteur.
La relégation
La fierté de l’ouvrier a également disparu avec l’arrivée des jeunes générations. « Les jeunes sur les chaînes de montage de Peugeot-Sochaux (…) se refusent à porter le « bleu » qui symbolise la condition ouvrière, et lui préfèrent le T-shirt et le jean. »
La scolarisation n’est plus vécue non plus comme porteuse d’avenir. « Alors qu’une inscription en collège d’enseignement technique augurait d’une carrière prometteuse dans les années 1960, une orientation en lycée professionnel au début des années 1980 sanctionne un échec scolaire dans une filière de relégation », remarque Xavier Vigna.
Certes, sur le plan matériel et des conditions de travail, « à l’échelle du siècle, la condition ouvrière s’est naturellement améliorée dans des proportions considérables (…) De même l’enfermement ouvrier a reculé, comme en témoignent les progrès spectaculaires de la scolarisation ». Mais depuis une trentaine d’années, en raison de la crise économique, « le retour des travailleurs pauvres » symbolise l’ampleur de la régression qui frappe globalement les salariés les plus vulnérables ».
Enfin, à l’heure du bilan, les ouvriers n’ont jamais réussi à s’ériger en véritable « contre-société » malgré les efforts en ce sens du parti communiste et de ses organisations satellites pendant des décennies. Car comme le souligne l’auteur, « la participation à l’effort de guerre pendant le premier conflit mondial, l’ampleur de l’adhésion au Front populaire, l’importance de la composante ouvrière dans la Résistance, prolongée dans leur rôle dans la reconstruction signalent la force du sentiment national dans le monde ouvrier en France et interdisent par conséquent de penser la classe ouvrière comme un monde à l’écart. »
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