Le 14 juillet 1919 s’ouvre le défilé de la Victoire. Quand apparaît la silhouette à cheval du général de Castelnau, la foule se met soudain à scander : « Maréchal, Maréchal ». Elle réclame pour lui ce bâton de maréchal que le gouvernement lui refuse.
Pour Édouard de Castelnau, ces célébrations ont un goût amer. Cette guerre lui a pris trois de ses fils. Les honneurs qui pleuvent sur les chefs militaires lui paraissent indécents. Il juge que la victoire doit tout à l’abnégation des soldats et dénie le moindre génie militaire aux généraux. Contrairement à eux, il n’écrira pas ses mémoires et se tiendra à l’écart des panégyristes. Aussi sa trace dans l’histoire de cette guerre s’estompera-t-elle jusqu'à disparaître...
Sous la mitraille à 17 ans
Issu d'une famille de petits nobles de l'Aubrac (Aveyron), attiré par la carrière des armes, Noël-Édouard de Castelnau entre à Saint-Cyr en 1869.
Dès l'année suivante, à dix-huit ans, il sert comme sous-lieutenant dans la guerre franco-prussienne avant d’être rapidement promu lieutenant puis capitaine dans l’armée de la Loire qui s’est hâtivement formée après les désastres du début de campagne.
Le traité de Francfort signé, Castelnau retrouve l’armée du temps de paix. Il est admis à l’École de guerre en 1878.
En garnison dans les environs de Toulouse, il combine l’exercice des commandements subalternes avec des séjours en état-major et attire l’attention du chef d’état-major qui l’affecte à Paris. Mais du fait de ses origines aristocratiques et d’une assiduité à l’église dont il ne fait pas mystère, il se voit longtemps bloqué dans son avancement.
Paul Doumer, président de la Chambre des députés, le remarque lors d’une de ses visites à Nancy et impose qu’il soit malgré tout nommé général. Il est appelé en 1911 à seconder Joseph Joffre à la tête des armées françaises.
Dans un contexte de grande tension internationale — les grands pays européens se préparent à un conflit qui semble inévitable —, Castelnau prépare l’armée à la guerre et préconise l’extension du service militaire sur une durée de trois ans. L'hostilité des députés radicaux-socialistes qui dominent les Assemblées et le gouvernement à cette époque lui vaut le surnom de « Capucin botté » ou de « général de la jésuitière ».
« En avant, partout et à fond »
Le 28 juin 1914, le ciel s’assombrit avec l'assassinat à Sarajevo de l'archiduc François-Ferdinand. Castelnau part en guerre en même temps que six de ses huit fils. Trois n’en reviendront pas.
Lors de la bataille des frontières, la 2e armée qu'il commande va connaître le même sort que ses voisines. Elle est battue à Morhange le 20 août 1914 et ne doit son salut qu’à une retraite précipitée qui la ramène dans la région de Nancy. À cet instant, les Allemands pensent tenir une victoire décisive. Ils vont devoir déchanter.
Surgissant des collines qui s’étendent autour de Nancy sur lesquelles il a réussi à reconstituer son armée, Castelnau tombe sur le flanc des troupes allemandes et remporte la victoire de la Trouée de Charmes. Sa victoire prépare le redressement français sur la Marne qui intervient quelques jours plus tard.
Ces combats terriblement meurtriers — la France y perd 850 000 hommes, tués, blessés ou disparus — conduisent les belligérants à changer leurs méthodes de combat. Dorénavant, les armées s’enterrent. C’est la guerre des tranchées. L’utopie d’un conflit de courte durée s’estompe. Nul ne sait désormais quand les hostilités se termineront.
[voir l'image en grandes dimensions]
La planche ci-dessus est extraite de la bande dessinée La Faute au Midi, par l'historien Jean-Yves Le Naour et le dessinateur A. Dan (48 pages, 14,50 euros, 2014, Bamboo Édition, Grand Angle). Elle évoque le moment où le général de Castelnau, en pleine préparation de la défense de Nancy, apprend la mort de son fils Xavier (21 ans) à Morhange, le 20 août 1914.
La tactique : débarquer dans les Balkans
Pendant la première partie de l’année 1915, le généralissime Joffre et celui qu’il considère comme son second opérationnel, le général Foch, entraînent les armées françaises dans une série d’offensives dont les gains sont négligeables au regard des pertes qu’elles engendrent.
Castelnau y est résolument opposé. Il propose de rechercher plutôt une victoire dans les Balkans où les alliés de l'Allemagne sont dans une position critique. Il suffirait de débarquer un contingent franco-anglais pour inciter les pays limitrophes, l’Italie, la Roumanie et la Bulgarie à rejoindre l’Entente. Mais le président de la République Raymond Poincaré, bien que convaincu de cette approche, n’arrive pas à l’imposer au généralissime Joffre.
À défaut, Castelnau est nommé le 22 juin 1915 au commandement du principal groupe d’armées, celui du Centre. Quelques semaines plus tard, il est promu adjoint de Joffre en qualité de chef d’état-major général des armées. Les principaux dirigeants politiques auraient aimé aller plus loin en lui confiant la haute main sur l’ensemble du front occidental mais ils en sont empêchés du fait de l’opposition d’une partie de la classe politique au « Capucin botté ».
Cela ne l’empêchera pas d’exercer la plénitude du commandement suprême lors de la bataille de Verdun. Au moment où l’attaque allemande se déclenche, le 21 février 1916, il se rend sur place et prend les mesures qui sauvent la ville. Il nomme le général Pétain et réorganise le commandement local. Il ordonne aussi en novembre 1916, contre l’avis de Joffre, la dernière offensive qui transforme cette longue bataille en une victoire.
Dans les papiers personnels du général de Castelnau se trouve un dossier sur lequel figure la mention suivante écrite de sa main : « Ne pas ouvrir avant la disparition du dernier survivant de cette guerre ». À la lecture de ce document, on comprend la raison d’un tel embargo. Castelnau y expose en des termes très clairs comment les Alliés ont gâché ce qui constitue sans aucun doute une occasion unique de terminer victorieusement la guerre à l’été 1916.
Au même moment, sur le front de l'Est, l'Allemagne et ses alliés étaient en grande difficulté et le sort de la guerre pouvait basculer si la Roumanie ralliait les Alliés. Il fallait l'y encourager par un succès à l'Ouest, lors de l'offensive de la Somme qui démarrait ce premier 1er juillet 1916.
Si le premier jour de l’offensive se passe mal pour l’armée anglaise, il n'en va pas de même pour la petite armée française du général Fayolle qui enfonce le front. Castelnau préconise un mouvement tournant pour capturer l'armée adverse mais Joffre, une nouvelle fois, s'y oppose.
Et si l’Armistice avait été différé…
L'échec roumain entraîne en décembre 1916 la chute de Joffre et par contrecoup, celle de Foch. Castelnau est quant à lui maintenu au sein du haut commandement en prenant la tête du groupe d’armées de l’Est. Cependant, ce secteur du front où opèrent ses unités est le moins actif. En 1918, profitant du retrait russe du conflit après la révolution bolchévique, les Allemands ramènent l’ensemble de leurs forces en France et en Belgique et lancent au printemps une série de grandes offensives qui sont en passe de les rendre victorieux.
Alors que les troupes franco-britanniques, renforcées par le contingent américain, reprennent l’initiative au cours de l’été, Castelnau est désigné pour préparer une manœuvre décisive en Lorraine. À deux jours près, Castelnau ne connaîtra pas une nouvelle victoire. L’armistice du 11 novembre 1918 suspend son attaque alors qu’elle l’aurait sans doute conduit profondément en Allemagne et aurait donné une tout autre tournure à la défaite de ce pays...
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Voir les 8 commentaires sur cet article
Charles Brandt (25-04-2018 14:26:23)
Bonjour Monsieur Benoit Chenu, Je vous remercie pour vos précisions sur l'amplitude et la profondeur de la percée française lors de l'offensive de Champagne (septembre 1915). Vos commentaires su... Lire la suite
Charles Brandt (24-04-2018 14:28:19)
Bonjour. Vous indiquez une percée de 25 km lors de l'offensive de Champagne (septembre 2015). Dans son livre "1915" Le Naour parle de 5 km seulement. Qui a raison ?Lors de deuxième offensive de Cha... Lire la suite
Henri Huc (13-03-2018 18:08:54)
L'important n'est pas de savoir si ce texte est, ou pas, hagiographique. L'important c'est de savoir si d'avoir écarté du maréchalat le général de Castelnau, en raison de ses opinions personnell... Lire la suite