Le 12 septembre 1565, la flotte turque et barbaresque abandonne définitivement le rivage maltais. Après quatre mois de combats d'une rare intensité, le « Grand Siège » s'achève par la victoire inattendue des Hospitaliers et des Maltais.
L'événement a une résonance immense dans la chrétienté comme dans le monde ottoman. Les contemporains sont frappés de stupeur par la démesure de la flotte d'invasion (plus de deux cents navires) et par la résistance héroïque des défenseurs.
Quatre siècles plus tard, des historiens « inspirés » n'hésitent pas à parler de « Verdun du XVIe siècle » pour aider leurs lecteurs à prendre la mesure de ce que Fernand Braudel qualifiera dans sa thèse d'un des « très grands événements du siècle ».
En ce sens, le « Grand Siège » est beaucoup plus qu'un épisode militaire du duel que se livrent en Méditerranée les empires espagnol et ottoman. Ses conséquences redessinent durablement la géostratégie maritime des empires, faisant de Malte la frontière mythifiée de la chrétienté...
Vous pouvez retrouver cet article dans le dossier que le magazine Histoire du christianisme (N°76) consacre au Grand Siège de Malte.
Ce dossier de vingt pages, richement illustré et très documenté, a été préparé et rédigé par Anne Brogini, agrégée d'histoire, ancienne membre de l'École française de Rome, maître de conférences à l'université de Nice Sophia-Antipolis.
Histoire du christianisme présente par ailleurs dans ce numéro de juin-juillet 2015 une enquête sur Mossoul, un reportage sur le Kerala et ses Églises d'origine syriaque (plus anciennes que l'Église de Rome !), et divers articles sur l'actualité de l'Histoire (Poussin, Napoléon...), accessibles à tous les publics.
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Malte, le fief des Hospitaliers
Devenue par volonté de l’empereur Charles Quint le fief des Hospitaliers en 1530, Malte s’illustre en 1565 dans la même activité guerrière et corsaire que les Régences barbaresques. Cela explique la venue contre Malte d’une gigantesque armada turco-barbaresque en 1565.
Quatre mois durant, du 18 mai au 12 septembre, environ 10.000 chrétiens (500 chevaliers, 2.500 soldats, 7.000 insulaires), vont résister vaillamment à une armée musulmane trois fois supérieure en nombre.
Le Grand Siège
Composée de 220 navires, dont une quarantaine appartient aux Barbaresques, la flotte comprend près de 35.000 hommes provenant de tout l’Empire ottoman, dont 12.000 janissaires et sıpahi, corps d’élite de l’armée turque.
Dès le 25 mai, l’artillerie turque est installée et entame le bombardement des forteresses, tandis que les assauts ciblent exclusivement le fort le plus fragile, car isolé du reste du port : Saint-Elme, défendu par une garnison d’environ 850 hommes.
Un mois durant, la forteresse pilonnée par 19 000 tirs d’artillerie, résiste à plusieurs attaques meurtrières, avant d’être conquise le 23 juin. En un mois, le siège de Saint-Elme a coûté la vie à plus de 2.000 musulmans et 1.500 chrétiens. Tous les défenseurs du fort ou presque périssent, et il est difficile de ne pas admirer encore aujourd’hui le courage des assiégés, qui obéirent au grand-maître La Valette et firent le choix de tenir le fort jusqu’au bout, offrant aux cités portuaires de Birgù et Senglea le répit nécessaire à l’organisation de leur défense.
Après la chute de Saint-Elme, le siège dure encore deux mois, durant lesquels les musulmans concentrent les tirs d’artillerie sur les villes portuaires. Renforcées par un « Petit Secours » de six cents soldats, les troupes chrétiennes résistent mais tout l’été, les deux villes essuient plusieurs assauts qui exigent une surveillance constante des brèches des remparts, un travail harassant pour les habitants de réparation des fréquentes destructions et une mobilisation permanente des assiégés.
Trois offensives sanglantes sont conduites le 15 juillet, le 7 août et les 20-21 août ; les combattants résistent uniquement grâce à l’intervention du grand-maître en personne, pour mobiliser ses hommes (il est d’ailleurs blessé les 7 et 20 août).
À la fin de l’été, chrétiens et musulmans en sont réduits à leurs dernières extrémités, lorsqu’arrive enfin, le 8 septembre, le secours espagnol venu de Sicile ; face à la venue de 95 galères et au débarquement de troupes fraîches (9.500 hommes), les musulmans choisissent de lever le camp et de sauver leurs navires en quittant Malte le 12 septembre 1565.
Répercussions géopolitiques
Les conséquences de ce que l’on appelle déjà le « Grand Siège » sont nombreuses, transformant ce fait militaire en véritable événement méditerranéen. Saisie par la puissance guerrière qui s’est abattue sur l’île, la chrétienté est restée confondue par la résistance acharnée dont ont fait preuve les Hospitaliers, le peuple maltais et les soldats enrôlés ou venus d’eux-mêmes en renfort, au point que le siège connaît partout un retentissement considérable.
Les Hospitaliers choisissent de prendre le nom désormais prestigieux d’« Ordre de Malte » et renouent avec leur ancienne geste de croisade ; le port insulaire est reconstruit grâce à l’édification de La Valette (Valletta), nouvelle cité réputée imprenable et portant le nom de celui qui soutint victorieusement le siège ; la Méditerranée enfin, où Malte émerge comme une nouvelle place stratégique, symbolique et bientôt commerciale.
Pour les Ottomans, l’événement de 1565 ne constitue pas un simple revers militaire après une longue série de conquêtes et de victoires. Même si le siège ne désigne pas vraiment de vainqueur entre les empires, il rompt la dynamique turque et annonce les prémices d’un reflux maritime ottoman et son cantonnement à la Méditerranée orientale.
Après cette date, il apparaît pour les musulmans difficile, voire impossible, et surtout totalement vain, d’espérer sérieusement reculer les frontières espagnoles de la Méditerranée occidentale, qui sont en cours de stabilisation et de fortification.
Ce n’est pas un hasard d’ailleurs, si Soliman le Magnifique meurt en territoire hongrois, dans la nuit du 6 au 7 septembre 1566 ; le vieux sultan, qui n’a plus fait la guerre depuis près de dix ans, a choisi de conduire ses troupes en Europe, alors qu’il n’avait nullement exprimé en 1565, un quelconque désir de s’embarquer à la tête de sa flotte et d’aller attaquer Malte.
Après 1565, seules deux grandes batailles navales (Lépante en 1571, Tunis en 1574) opposent encore les empires, avant que la trêve ne soit effective en 1577. Au Ponant, la frontière se stabilise autour d’îles fortifiées qu’on ne songe plus à attaquer ; ni les Turcs, ni les Barbaresques ne reviendront jamais à Malte pour un assaut sérieux (une fois, en 1614, mais le débarquement ne débouche sur aucun combat).
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