Lascaux et l'art pariétal

La chevauchée fantastique

Depuis sa découverte, la grotte de Lascaux a pris place parmi les plus anciens et plus admirables chefs-d'oeuvre de l'humanité.

C'est le jeudi 12 septembre 1940 qu'elle a retrouvé la lumière après près de 20 000 ans de sommeil. Ce jour-là, près du village de Montignac, au-dessus de la Vézère, au coeur du Périgord noir, le jeune Marcel Ravidat, alerté par la curiosité de son chien, se glisse dans une grotte et découvre à la lueur d'une lampe de fortune la chevauchée fantastique de taureaux et chevaux multimillénaires.

Prévenu, l'ancien instituteur du village Léon Laval alerte à son tour très vite le « Pape de la Préhistoire », l'abbé Henri Breuil. Celui-ci se rend rapidement sur le site, appelé Lascaux, et au terme de patients relevés, à la lueur d'une bougie, il identifie des peintures rupestres vieilles de 18 000 ans. Le site est classé monument historique dès le 27 décembre suivant.

Lascaux est sans doute le plus grand ensemble pictural préhistorique connu à ce jour. Mais ce n'est pas, et de loin, le plus ancien (note )...

Isabelle Grégor

On peut voir ci-dessus quelques figures remarquables de la « Rotonde des Taureaux » (3 premières images) et de la paroi droite du « Diverticule axial » (5 images suivantes) ; rien ne vaut cependant la vision d'ensemble de la grotte en trois dimensions...

L'art pariétal paléolithique

L'art pariétal européen est attribué à l'homme de Cro-Magnon, notre ancêtre. Il s'est développé dans des grottes généralement très difficiles d'accès pendant plus de 20 000 ans, essentiellement aux époques glaciaires qui correspondent au Palélolithique supérieur ! Notons que ces grottes inhospitalières n'ont jamais servi d'habitat aux hommes, qui leur préféraient les abris sous roche ou les huttes. Tout au plus accueillaient-elles des ours des cavernes pendant la période d'hibernation.

En ces périodes glaciaires, la moitié nord de l'Europe est couverte de glaces et réfractaire à la présence humaine. On compte tout au plus 200 000 individus pour l'ensemble du continent. Cette population se concentre en quelques lieux privilégiés dont l'arc périgourdin-cantabrique. C'est là que va s'épanouir l'art pariétal, sur une très longue période qui s'étire de 36000 BP (Chauvet) à 18000 BP (Lascaux) et 14000 BP (Altamira).

Si la vallée de la Vézère elle-même est si accueillante, c'est que la rivière, déjà à son niveau actuel, coule dans une steppe arbustive plutôt froide et parcourue régulièrement par les troupeaux de rennes. Elle est aussi surplombée par des falaises ensoleillées et percées d'entailles où il est facile de se tenir à l'abri du froid et des bêtes sauvages.

- l'Aurignacien (38 000 à 29 000 BP) :

L'art pariétal a débuté vers 38 000 BP (Before Present), à l'époque de l'Aurignacien, du nom d'une localité du Comminges (Pyrénées françaises), et décliné à la fin du Paléolithique, vers 8 000 av. J.C..

De cette première époque témoigne la grotte Chauvet, à une demi-heure de marche de Vallon-Pont-d'Arc (Ardèche). Elle a été découverte en 1994 par Jean-Marie Chauvet et étudiée de fond en comble par Jean Clottes. Les figures animales de cette grotte, d'une grande beauté stylistique, montrent que cet art a atteint dès ses débuts un très haut niveau de raffinement artistique.

Grotte Cosquer © Michel Olive, DRAC SRA PACA.

- le Gravettien (29 000 à 22 000 BP) :

Cette époque baptisée d'après le site de la Gravette (Dordogne) nous a laissé les premiers objets d'art connus, comme la Vénus de Brassempouy, mais aussi des grottes ornées d'empreintes de mains.

La grotte Cosquer est aujourd'hui sous les eaux, dans une calanque proche de Marseille, du fait de la montée du niveau de la mer. Elle a été découverte en 1991 par le plongeur archéologue Henri Cosquer. Ses peintures (mains et animaux) ont été réalisées entre 27 000 et 19 000 BP.

Empreintes de mains mutilées dans la grotte de Gargas (Hautes-Pyrénées)Très curieuse, la grotte de Gargas (Hautes-Pyrénées), près de Saint-Bertrand de Comminges, présente de nombreuses empreintes de mains réalisées au pochoir et découvertes en 1906 par Félix Régnault.

Ces empreintes datées de 27 000 BP pour les plus anciennes sont presque toutes privées d'une ou plusieurs phalanges... Peut-être la trace d'un rituel qui imposait de se couper une phalange à la mort d'un proche ?

Ce rituel est connu dans certaines tribus actuelles de Nouvelle-Guinée !

- le Solutréen (22 000 à 18 000 BP) :

Cette période doit son nom à la roche de Solutré, près de Mâcon (Saône-et-Loire), étudiée en 1866. Elle se caractérise par un outillage très élaboré et notamment de remarquables bifaces.

- le Magdalénien (18 000 à 12 000 BP) :

Le Madgalénien, duquel relèvent les peintures de Lascaux, est une époque du Paléolithique supérieur qui s'est étendue entre 17 000 et 11 500 BP et doit son nom à l'abri de la Madeleine (Tursac, Dordogne).

Les premières peintures connues de cette époque sont celles d'Altamira, près de Santander (nord-ouest de l'Espagne), découvertes en 1868.

En 1876, le marquis Marcelino Sanz de Sautuola en devine la grande ancienneté mais il n'arrive pas à en convaincre ses contemporains. Personne hormis lui n'ose alors imaginer que des hommes préhistoriques aient pu commettre ces oeuvres.

La clairvoyance du marquis ne sera reconnue que bien après sa mort, quand, en Dordogne, en 1901,  l'instituteur Peyrony décrit des peintures semblables dans la grotte de Font-de-Gaume.

Le préhistorien Émile Catailhac, qui avait en 1879 contesté comme tous ses confrères l'ancienneté de ces peintures, publie un article fameux en 1902 : La grotte d'Altamira, Espagne. "Mea culpa" d'un sceptique et écrit avec une belle humilité : « Il faut savoir s'incliner devant la réalité d'un fait ».

Peintures de la grotte de Font-de-Gaume (Dordogne)

Font-de-Gaume, près de Lascaux, contient 200 figures peintes ou gravées plus anciennes que Lascaux et Altamira car elles remontent à environ 17 000 BP. Ces peintures ont pu être analysées en 1904 par l'abbé Henri Breuil, alors au commencement de sa carrière de préhistorien.

Entrée des grottes de Font-de-Gaume (Dordogne)Jamais obturée, la grotte a toujours été fréquentée par les habitants des environs sans que ceux-ci en aient compris la valeur patrimoniale. C'est aujourd'hui la dernière grotte du Paléolithique encore ouverte au public, avec 80 visiteurs par jour au maximum.

À peine plus récentes que celles de Lascaux, les peintures d'Altamira ont pu être datées au carbone 14 du Magdalénien inférieur, autrement dit d'environ 15 000 BP.

Au début du XXe siècle, on a découvert bien d'autres sites magdaléniens, par exemple en Ariège (Pyrénées françaises) les grottes de Niaux, des Trois-Frères et du Mas-d'Azil.

Sachant que l'homme de Cro-Magnon est présent en Europe depuis 45 000 BP, il n'est pas exclu que l'on découvre des grottes encore plus anciennes. Il n'est pas exclu non plus que l'on en découvre hors du continent européen... Mais il est peu probable que l'on en découvre d'aussi belles que Lascaux.

- l'Azilien (12 000 à 10 000 BP) :

Cette dernière période du Paléolithique supérieur est ainsi dénommée d'après la grotte du mas d'Azil (Ariège) qui a révélé de nombreux petits outils en pierre taillée (pointes de harpons...).

Lascaux, chef d'oeuvre de la Préhistoire

La grotte de Lascaux a vu son entrée colmatée par des éboulis vers 10000 BP cependant qu'une couche argilo-calcaire l'a protégée des eaux d'infiltration, d'où la protection exceptionnelle de ses peintures pariétales. Depuis plus de 60 ans, scientifiques, amateurs d'art et grand public se pressent à ses portes pour tenter d'en approcher les mystères. Le site n'a cessé de fasciner, tant par sa qualité artistique que par les questions qu'il pose sur l'évolution de l'Homme.

On peut retrouver une très belle description de la grotte de Lascaux sur le site du ministère français de la Culture.

Lascaux, la Rotonde des taureaux (photo du ministère français de la culture)

Qualifiée par l'abbé Breuil de «  Sixtine de la préhistoire », en référence au chef-d'oeuvre de Michel-Ange, elle émerveille par l'harmonie de ses couleurs et le mouvement donné aux représentations : dès la première salle dite «  Rotonde des Taureaux », une ronde d'aurochs et de chevaux, menée par une sorte de licorne, environne le visiteur.

Dans différentes «  salles » qui s'étirent sur 250 mètres de galeries et un dénivelé de 30 mètres, ce sont plus de deux mille unités graphiques (peintures et gravures), du simple trait à l'animal le plus élaboré, que des artistes anonymes ont alignées ou superposées en s'inspirant de chaque irrégularité de la roche. Les animaux représentés, au nombre d'environ 600, sont des bisons, aurochs, cerfs, rhinocéros laineux et chevaux, autrement dit de grands herbivores que les hommes vénéraient pour leur prestance (on compte 355 chevaux pour 87 aurochs). 

Curieusement, on ne voit parmi ces représentations aucun renne bien que celui-ci fut à l'époque relativement répandu et abondamment chassé comme le cheval, ainsi que l'attestent les ossements au pied de la roche de Solutré (Saône-et-Loire).

Lascaux : gravure dite du cheval barbu

En suivant le «  Passage », on accède à la «  Nef » ou «  Rotonde des Taureaux », où se croisent bouquetins, cerfs et bisons. Au total une centaine de figures sur quarante mètres. Nous voici dans le «  Diverticule axial » ou «  Diverticule des Félins », où domine la gravure.

L'homme à tête d'oiseau, Grotte de Lascaux, Scène du puits © N. Aujoulat, Centre National de la Préhistoire, Ministère de la culture.En revenant sur nos pas, on peut rejoindre l'«  Abside » aux centaines de gravures, en majorité chevaux et aurochs.

Enfin, après quelques mètres de descente, on atteint le «  Puits » pour découvrir la fameuse représentation d'un chasseur qui semble succomber à l'attaque d'un bison. C'est, soulignons-le, la seule représentation humaine que compte Lascaux.

L'homme en question est représenté de façon schématique et symbolique, avec une tête d'oiseau, alors que les animaux sont représentés de façon figurative et objective.

Pourquoi Lascaux nous est indispensable

Pour les couleurs (noir, ocre, rouge), les artistes utilisaient des oxydes de manganèse et de fer, broyés et mélangés à de la graisse animale, puis appliqués au doigt, à la sarbacane ou au crachis ! Ils s'aidaient de lampes et d'échafaudages. Avec une vingtaine de lampes à huile bien disposées, ils disposaient par ailleurs d'une excellente lumière. Ils ont ainsi fait preuve d'un savoir-faire et d'une ambition qui nous obligent à nous poser des questions sur l'objectif d'une telle entreprise.

N'ayant employé à Lascaux que des pigments d'origine minérale, ils ont toutefois plongé dans l'embarras les préhistoriens soucieux de dater leurs œuvres. Heureusement, on a pu récupérer au fond d'un puits des sagaies en bois de renne, avec des traces similaires aux gravures de la grotte et donc contemporaines de celles-ci. Le carbone 14 a ainsi permis de dater à peu près les peintures et gravures des parois.

Cheval galopant, Lascaux © J.-M. Geneste, Centre national de la préhistoire, Ministère de la culture. Agrandissement : Deuxième cheval chinois, Lascaux © N. Aujoulat, Centre National de la Préhistoire, Ministère de la culture.

La théorie de «  l'art pour l'art », du plaisir de peindre uniquement pour «  faire joli » a été écartée par les scientifiques. Aurait-on choisi pour cela des lieux aussi inhospitaliers que ces cavernes sombres, dangereuses et humides ? Les scientifiques préfèrent évoquer un but rituel, peut-être lié à la chasse... Mais il est à noter que les animaux représentés sur les parois ne sont pas de ceux que consommait Cro-Magnon. Le seul gros gibier que consommait celui-ci était le renne, qui est absent de la grotte.

Selon une autre hypothèse, les peintures seraient le reflet de pratiques chamanistes, c'est-à-dire permettant à des «  prêtres » d'entrer en contact avec les esprits sous forme d'hallucinations, reproduites ensuite sur les parois. Représentation d'une pensée symbolique, support du mythe de la fécondité ou lieu caché d'opérations magiques ? Lascaux a réussi jusque-là à préserver ses secrets.

Mais si cette caverne continue à nous passionner aujourd'hui, c'est aussi parce qu'elle reste le symbole de la naissance de l'art dans le monde. Avec cette découverte, on réalise que les âges préhistoriques avaient eux aussi leurs artistes, capables d'imaginer des œuvres qui répondent à un idéal de perfection et d'harmonie.

Dans le cheminement qui a conduit à la formation de l'homme moderne, Lascaux représente ainsi une des étapes les plus importantes : l'apparition du sens artistique. C'est pourquoi, au-delà de sa beauté et du témoignage qu'elle apporte sur nos ancêtres, elle est aussi le symbole de l'évolution de l'humanité.

Lascaux, diverticule axial

Publié ou mis à jour le : 2024-02-18 16:34:05
RODRIGO (23-08-2015 13:03:28)

quand on visite les grottes de Lascaux, on ne peut qu'être admiratif quand on pense au matériel à leur disposition, c-à-d rien; une autre difficulté vient de la taille des dessins: il leur fallai... Lire la suite

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