À la fin du XIXe siècle, après huit siècles d'effacement face aux conquérants musulmans d'origine turco-mongole, les hindous ont repris leur destin en main... Paradoxalement, c'est aux colonisateurs britanniques qu'ils ont dû cette opportunité.
L'hindouisme, né dans la vallée du Gange il y a plus de 2000 ans, est aujourd'hui la religion de 80% des habitants de l'Union indienne. Il est présent dans les diasporas indiennes ainsi que dans quelques terres qui furent autrefois sous l'influence culturelle de l'Inde comme par exemple l'île de Bali, en Indonésie, dont le million d'habitants est très majoritairement hindouiste.
Avec plus d'un milliard de fidèles, c'est la troisième religion de la planète après le christianisme et l'islam mais elle est étroitement identifiée à l'Inde, celle-ci étant d'ailleurs souvent qualifiée d'Hindoustan (pays de l'hindouisme)...
L'unité retrouvée
Au XVIIIe siècle, les Anglais et les Français entrent en concurrence pour la conquête des fabuleux marchés indiens. Au début de la révolution industrielle, soulignons-le, l'Inde est riche non seulement de ses épices mais aussi de son artisanat. En témoignent les mots entrés dans le langage commun pour désigner des pièces textiles (madras, cachemire, indiennes...). Ces Européens se comportent comme des rois locaux, disposent d'armées privées et nouent des alliances avec les princes hindous ou musulmans.
François Dupleix tente sous le règne de Louis XV de créer un empire français des Indes en s'emparant de vastes territoires dans le sud. Mais, trop ambitieuse et surtout très coûteuse, sa politique est condamnée par la Compagnie et le gouvernement français. Après le traité de Paris, il ne reste plus à la France que cinq comptoirs côtiers.
Les Anglais, solidement installés au Bengale, où ils fondent le port de Calcutta, ainsi qu'à Bombay et Madras, vont emporter la mise grâce au général Robert Clive.
Après avoir chassé les Français, celui-ci remporte pour le compte de la Compagnie anglaise des Indes une grande victoire à Plassey, au Bengale, sur le souverain local et ses alliés, le 23 juin 1757. C'est véritablement le début de la conquête britannique.
Malgré ses succès, Robert Clive sera aussi mal récompensé que François Dupleix... Accusé de concussion, il se donne la mort à 49 ans. Mais d'autres hommes audacieux (et tout aussi incompris) vont poursuivre son oeuvre. Parmi eux le gouverneur Warren Hastings et lord Wellesley, frère aîné du duc de Wellington (le vainqueur de Waterloo). En 1799, ce dernier étend la domination anglaise à l'Inde du sud.
Comme les conquêtes coûtent cher à la Compagnie et la mettent au bord de la ruine, le gouvernement de Londres est de plus en plus souvent obligé d'intervenir. Le Premier ministre William Pitt crée un bureau de contrôle des affaires indiennes dès 1784 (India Act).
Dans la première moitié du XIXe siècle, les agents de la Compagnie favorisent à tout va les importations de produits manufacturés en provenance de Grande-Bretagne. C'est ainsi que l'Inde contribue au décollage industriel de Manchester et Liverpool mais c'est au prix de la ruine de son artisanat textile et d'une aggravation considérable des inégalités sociales.
D'un autre côté, la conquête anglaise contribue à l'unification du sous-continent indien. Elle met fin aux guerres privées et au banditisme endémique. En échange de leur soumission, la plupart des princes sont maintenus en fonction. Ils continuent d'administrer leur État mais sous la tutelle des gouverneurs britanniques, lesquels ne se font pas faute de prélever sur les impôts la part de Londres.
Au milieu du XIXe siècle, sous le règne de la reine Victoria et du dernier empereur moghol, réduit à une fonction purement symbolique, le sous-continent indien, des confins de l'Afghanistan à la Birmanie, obéit pour la première fois depuis l'Antiquité à un seul maître ! Et celui-ci n'est pas musulman !
L'autonomie revendiquée
L'unification de l'Inde par les Anglais et l'éviction des musulmans des postes de commandement ont eu effet de réveiller le sentiment national hindou.
La révolte des cipayes entraîne la liquidation de la Compagnie des Indes et la mainmise complète du gouvernement britannique sur les Indes avec un secrétaire d'État à Londres et un vice-roi à Delhi. Le 1er janvier 1877, la reine Victoria reçoit très officiellement le titre d'impératrice des Indes, à l'initiative du Premier ministre Benjamin Disraëli. Avec des vice-rois et des hauts fonctionnaires généralement compétents et probes, c'en est fini de la gabegie antérieure.
Les Britanniques introduisent des codes de lois communs à l'ensemble des habitants, non sans réprimer au passage des pratiques contestables comme le sati (l'obligation pour les veuves de se sacrifier sur le bûcher de leur époux).
Ils intègrent assez largement les Indiens à l'administration, la justice et l'armée. Les enfants des élites, comme Gandhi et Nehru, accèdent aux universités anglaises. Ils découvrent les vertus de la démocratie parlementaire et de l'État de droit... et sauront plus tard user de ces principes dans leur lutte contre les Britanniques.
Grâce aux érudits anglais, les Indiens découvrent aussi les textes, l'art et l'histoire de l'Inde ancienne. Cela commence dès 1834 avec le déchiffrage des chroniques d'Açoka, un grand roi du IIIe siècle. On assiste dès le début du XIXe siècle à un « aggiornamento » de l'hindouisme, libéré de ses complexes après que l'islam eut perdu sa prééminence.
Le mouvement débouche en 1885 sur la constitution à Bombay du Congrès national indien, à l'initiative du vice-roi britannique qui souhaitait pouvoir dialoguer avec un organe représentatif de l'ensemble des Indiens. Le Congrès se présente à ses débuts moins comme un parti politique que comme un rassemblement des élites (intellectuels, avocats, propriétaires...) essentiellement hindoues. Il prône des réformes dans le respect de la légalité britannique.
En 1906, à Calcutta, pour la première fois, le Congrès revendique l'autonomie interne de l'Inde. La même année, l'Aga Khan, chef de l'importante communauté musulmane des Ismaëliens, fonde la Ligue musulmane en vue de représenter les musulmans (environ un quart des 350 millions d'Indiens).
L'Histoire amorce un tournant... Un an plus tôt, en Extrême-Orient, la flotte japonaise a envoyé par le fond la flotte russe. Cette première défaite d'une puissance européenne (encouragée en sous-main par les Britanniques !) a eu un immense retentissement dans toute l'Asie et particulièrement en Inde.
Pendant la Grande Guerre, les Indiens demeurent loyaux à l'égard des Anglais. 1 300 000 d'entre eux prennent part aux combats et 100 000 y trouvent la mort. En 1917, le secrétaire d'État pour l'Inde, lord Montagu, leur promet une autonomie interne analogue à celle des dominions, le Canada et l'Australie. Las, à peine le conflit est-il terminé que les promesses sont oubliées. Il s'ensuit divers mouvements d'humeur et un très grave dérapage à Amritsar, dans la ville sainte des Sikhs, avec le massacre délibéré de plusieurs centaines de manifestants pacifiques en 1919.
Pour Mohandas Gandhi, un avocat de 50 ans devenu le chef le plus écouté du Congrès, l'heure de l'indépendance a sonné. Reste à s'assurer que celle-ci se fasse dans de bonnes conditions, sans violence et sans rupture de l'unité !...
L'année 1920 marque un tournant dans l'histoire indienne mais seuls les démographes l'ont perçu : cette année-là, l'Inde s'arrache à la stagnation démographique et à l'alternance des années de vaches grasses et vaches maigres (famines et guerres). La prophylaxie introduite par les Européens et une relative stabilité politique vont permettre à la population du sous-continent de croître régulièrement, de 300 millions au début du XXe siècle jusqu'à 500 millions vers 1950 (1,3 milliards en 2000).
Conscients qu'ils ne pourront rester indéfiniment en Inde, les Britanniques réagissent à la montée des revendications en élargissant la représentation des communautés indiennes dans les assemblées et les gouvernements provinciaux. Mais rien n'y fait. Gandhi multiplie les actions de désobéissance civile jusqu'à la spectaculaire « marche du sel » qui oblige le gouvernement à renoncer aux taxes sur le sel.
Le Premier ministre travailliste Ramsay MacDonald ouvre dès le 13 novembre 1930 à Londres, sous l'égide du roi George V, une première table ronde destinée à débattre d'une hypothétique indépendance de l'Inde. Deux autres suivront les années suivantes mais sans plus de résultat les unes que les autres.
Les discussions achoppent en effet très vite sur les modalités de l'indépendance (faut-il accorder aux États princiers le droit de sécession ? quelle garantie pour la minorité musulmane ? quel statut pour les Intouchables ?...). Pendant ce temps, les mouvements de désobéissance civile n'en finissent pas de perturber le sous-continent.
Le 2 août 1935, Londres promulgue une nouvelle loi, le Government of India Act, qui détache de l'Inde la Birmanie et surtout transforme l'Inde en une fédération de onze provinces avec chacune leur gouvernement et leur assemblée.
Les premières élections, en 1937, débouchent sur une nette victoire du Congrès avec le résultat paradoxal d'entraîner une rupture entre hindous et musulmans. Ces derniers, représentés par la Ligue musulmane, s'offusquent d'être tenus à l'écart du travail des assemblées par les élus du Congrès et s'inquiètent d'un système électoral qui lamine les minorités.
Au sein de la Ligue, le poète Mohammed Ikbal lance l'idée d'un État musulman autonome. Sous le nom de Pakistan, inventé en 1933, cet État regrouperait les deux principaux territoires à majorité musulmane, l'un à l'ouest, suivant la vallée de l'Indus, l'autre à l'est, à l'embouchure du Brahmapoutre, et pourquoi pas ? un troisième territoire autour d'Hyderabad, au centre de la péninsule. Il serait indépendant ou lié au reste du pays dans une structure confédérale. Cette perspective finit par séduire le chef de la Ligue, Mohammed Ali Jinnah, qui s'y rallie en 1940, mais elle scandalise Gandhi, qui veut tout faire pour l'empêcher.
Là-dessus arrive la Seconde Guerre mondiale. En 1942, les Japonais atteignent la Birmanie et menacent Calcutta ! Le Mahatma condamne l'alliance avec l'ennemi japonais dans laquelle se compromet l'ultra-nationaliste Chandra Bose et son Armée nationale indienne, recrutée parmi les prisonniers. Mais dans le même temps, il fait échouer la mission de Stafford Cripps, ministre du cabinet Churchill, chargé de rapprocher hindous et musulmans et de les unir contre l'ennemi commun.
Il lance même le 8 août 1942, à Bombay, un mot d'ordre radical à l'adresse des Britanniques : « Quit India ! » (Quittez l'Inde !). Il s'ensuit une nouvelle vague de désobéissance civile qui contrarie l'effort de guerre anglais. Gandhi et plusieurs leaders du parti du Congrès sont à nouveau emprisonnés.
Les Britanniques se détournent des affaires indiennes... Ainsi ne font-ils rien ou presque pour enrayer une famine au Bengale en 1943 (trois millions de morts). En mai 1945, pressé d'en finir, le vice-roi Lord Wavell présente un plan de compromis qui vise à la création d'un conseil exécutif dans lequel hindous et musulmans seraient équitablement représentés. Il convoque une conférence à Simla, au nord de l'Inde, le 25 juin 1945, pour en débattre. Mais Ali Jinnah revendique pour la Ligue musulmane le droit de représenter exclusivement ses coreligionnaires. Le parti laïc du Congrès conteste sa prétention. La conférence se conclut sur un échec le 14 juillet 1946.
Londres, qui a d'autres soucis en tête, ne veut pas retarder plus longtemps l'indépendance des Indes. Le Parlement de Westminster vote une loi, l'Indian Independence Bill, le 4 juillet 1947. L'indépendance est célébrée le 15 août 1947. Mais les réjouissances ne durent pas. Presqu'immédiatement, musulmans et hindous s'affrontent avec la plus extrême violence.
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