2 juillet 2023. La France est affectée par des émeutes urbaines depuis une interpellation mortelle à Nanterre le 27 juin (note). Cette nouvelle secousse politique témoigne de la fragilité des institutions et de l'échec de la « société ouverte » qui place l'individu au-dessus de l'État démocratique.
Les violences de l'été 2023 sont venues après les Gilets jaunes, les émeutes de Sainte-Soline en réaction à l'aménagement de bassins d'irrigation dans le bocage charentais et les manifestations contre la loi sur la retraite, soldées par l'humiliante annulation de la visite de Charles III, sans parler de l’affaire Benalla. Elles se singularisent par leur absence totale de revendication politique, tout comme les violences à l'entrée du Stade de France, il y a un an, lors d'un match avec une équipe anglaise (note).
Si différentes soient-elles les unes des autres, ces affaires mises bout à bout révèlent un État et une démocratie en crise.
La faillite du « quoi qu'il en coûte »
Depuis l'avènement de l'Union européenne, il y a trente ans exactement (1er janvier 1993), nos dirigeants s'évertuent à nier les identités nationales ainsi que les traditions, l'Histoire et les moeurs propres à chaque groupe humain. Ils ramènent tous les problèmes à un « manque de moyens » et croient les résoudre avec de l’argent, « quoi qu’il en coûte ».
C'est ainsi que le gouvernement français, plus qu'aucun autre, distribue généreusement la manne fiscale sous forme d’aides en tous genres : exonérations fiscales, prestations sociales, ristournes sur le prix des carburants, chèque-culture, etc. Rien ne freine l’imagination des cabinets ministériels. La classe politique n’est pas oubliée. Quelques centaines de « hautes Autorités indépendantes » et de missions en tous genres sont apparues dans les dernières années, aussi inutiles les unes que les autres. Les milieux d’affaires restent les mieux servis en subventions, aides et exonérations fiscales. Il s’ensuit l’émergence d’un capitalisme de rente qui ne tire plus ses bénéfices de sa capacité d’innovation mais de son habileté à collecter les aides et les marchés d’État. Le cas le plus évident est celui des affairistes qui ne font rien d’autre que d’importer des éoliennes et les exploiter en s’assurant une rente à vie plus confortable que n’aurait pu en rêver le plus inventif des ingénieurs. Avec cela, pour contenir les colères populaires et les classes dangereuses, le gouvernement et l'Union européenne financent à tout va de multiples associations qui assurent là aussi à quelques opportunistes et beaucoup de meneurs de quartier une rente à vie confortable.
En retour, le gouvernement n'a de cesse d’accroître les prélèvements et de racornir la solidarité nationale au nom des impératifs comptables, du désendettement et de l’urgente nécessité de « ne pas laisser le fardeau de la dette à nos enfants ». Dernier exemple en date : une nouvelle limitation des remboursements de soins dentaires.
Cette politique est à l’exact opposé de tout ce qui a fait la grandeur et l’exception de la civilisation européenne : pendant mille ans, nos aïeux ont pu donner le meilleur d’eux-mêmes en conjuguant vaille que vaille l’autorité de la loi et la confiance. Garantie par l’État national, la loi était stable, fondée sur le droit coutumier, et non pas sujette aux lubies de quelques idéologues de salon ou aux humeurs des juges européens. « Il est quelquefois nécessaire de changer certaines lois. Mais le cas est rare ; et lorsqu’il arrive, il n’y faut toucher que d’une main tremblante », avait écrit Montesquieu.
J’aime à rappeler aussi que dans les villes du Moyen Âge, les artisans avaient l’obligation de travailler fenêtres ouvertes pour montrer qu’ils ne trichaient pas. L’expression « travail au noir » nous vient de ceux qui enfreignaient cette obligation. C’est de cette « société de confiance » que nos écoles, nos banlieues et nos entrepreneurs ont avant tout besoin et non de nouvelles aides publiques. Mais à qui la faute si elle s’est évanouie dans les fumigènes de Nanterre et de Sainte-Soline ?
Les impasses de la « société ouverte »
Faisons un bref retour en arrière. Forts de l’énergie et de la foi puisées dans la guerre et la Résistance, les Français qui avaient vingt ans ou plus en 1945 ont pu reconstruire leur pays. Mieux que cela, ils l’ont modernisé à tout va et lui ont rendu son rang, à l’avant-scène mondiale. Parmi eux figurent des capitaines d’industrie tels Bouygues, Mantelet, Lagardère, Riboud, Trigano, etc. La génération suivante, celle des baby-boomers, a cru que l’avenir lui était acquis.
Une fois soldés les arriérés du passé et la colonisation, ce fut Mai 68 et l’avènement de l’individu-roi devant lequel devaient s’effacer l’État, la nation et le collectif.
Ce fut enfin l’avènement de la « société ouverte » qu’appelaient de leurs vœux le philosophe Karl Popper et les économistes ultralibéraux de la société du Mont-Pèlerin, une société « qui n'était plus soudée par des buts communs, mais seulement par l'obéissance aux mêmes règles abstraites » (Friedrich Hayek). C’est la définition même de l’Union européenne instaurée en 1993 en lieu et place de l’Europe du traité de Rome de 1957.
Cette « société ouverte » arrive à bout de course, défaite par ses contradictions internes. L’Union a supprimé les « restrictions aux échanges internationaux et aux investissements étrangers directs » (traité de Lisbonne) tout en multipliant les normes et les réglementations à un degré inconnu à ce jour, même en Union soviétique, cela dans la plus totale incohérence. L’industrie automobile est sommée de se convertir sans délai à l’électricité par souci écologique cependant que la Commission subventionne les cultures irriguées d’avocats dans le désert andalou et conclut un traité avec le Brésil pour approvisionner ses fermes géantes en soja transgénique. Les libertés individuelles s’entravent les unes les autres. L’immigration libre et sans frontières conduit à la formation de communautés claniques en rupture de ban cependant que, dans les beaux quartiers, des « trans » s’en prennent à des « néo-féministes » qui n’acceptent pas de partager avec eux les vestiaires et les podiums. Last but not least, ces libertés sans limites offertes aux individus ouvrent des marchés inattendus : commerce de fœtus, suicide assisté, changement de sexe, trafics de main-d’œuvre, pornographie, etc. La force du capitalisme financier, après tout, n’est-elle pas de tirer profit de tout, même de l’innommable ?
Nous redécouvrons l’époque de Balzac et de Louis-Philippe, avec le retour des rentiers en quête de placements stables, avec aussi le retour du personnel de maison, livreurs, hommes de ménage et autres « services à la personne ». On s’apitoyait naguère sur cette époque lointaine où des porteurs d’eau auvergnats servaient les maisons bourgeoises. Nous y revoici avec les livreurs africains grimpant quatre à quatre les escaliers des immeubles haussmanniens avec packs d’eau et autres frivolités.
Le président Macron encaisse année après année les émeutes urbaines, les manifestations de masse et les coups de sang des déshérités de tous ordres. Chaque fois que nécessaire, en Seine-Saint-Denis comme à Marseille après les manifestations autour de la loi sur les retraites, il apaise le jeu et, planté au-dessus d’électeurs impavides, il aligne des phrases convenues et apaisantes en bon professionnel du théâtre. Et bien sûr ne manque pas d'annoncer le déblocage de nouvelles aides.
La négation de la démocratie
Élection après élection, depuis vingt ans, la montée de l’abstention et la progression des extrêmes confirment le désenchantement des citoyens. Il est vrai que les révisions constitutionnelles des deux dernières décennies et la pression des instances européennes ont réduit à rien le rôle du Parlement. Dernier exemple en date : ce 29 juin, l’Assemblée nationale a voté une loi qui exige un accord parental pour l’inscription d’un enfant de moins de quinze ans sur les réseaux sociaux. Pourquoi pas ? Hé bien, cette loi, pour entrer en vigueur, devra encore obtenir l’agrément de la Commission de Bruxelles ! Autant donc laisser à celle-ci (et aux lobbies qui la conseillent) le soin d’écrire nos lois.
Faut-il s’en étonner ? Cette société-là n’enthousiasme pas la jeunesse. La jeunesse française ne rêve plus. Elle se détourne même de l’amour si l’on en croit une enquête publiée par le magazine Le Point. À quoi pensent donc les militantes et les militants de Sainte-Soline, le soir, autour des feux de camp ? Comment enchantent-ils leurs nuits ? Nous rejouent-ils Tristan et Yseult ? Ou bien débattent-ils de leur avenir « non-genré » sur un tweet de Sandrine Rousseau ? Loin de là, dans les écoles de commerce, des jeunes gens se préparent un avenir clinquant avec l’espoir égoïste d’échapper aux réalités environnantes. Et dans les campagnes, sourdes au tohu-bohu médiatique, une autre jeunesse tente de préserver son bien-être, entre le travail et la famille ; barbecue avec les amis et dimanche à la plage...
La protection de l’environnement et la lutte contre le réchauffement climatique sont les dernières causes susceptibles de mobiliser la jeunesse. De fait, nombreux sont les lycéens français qui ont suivi Nicolas Hulot puis Greta Thunberg. Que reste-t-il aujourd’hui de cette écologie militante ? Une agitation vaine illustrée par Les Soulèvements de la Terre et L’Affaire du Siècle.
Les ONG qui mènent depuis 2018 la campagne L’Affaire du Siècle (deux millions de signatures) s'en tiennent à une vision complotiste et strictement francocentrée des enjeux écologiques. Frappées du même syndrome comptable que la classe politique, elles poursuivent l’État français en justice pour inaction face au changement climatique et il s’est trouvé des juges administratifs pour agréer leur demande ! Le 14 juin 2023, elles ont même demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l’État à un milliard de pénalités en raison du retard accumulé.
On ne saurait mieux exprimer la faillite ou la mort de la démocratie (d’après un mot grec qui signifie : « le pouvoir émane de l’ensemble des citoyens »).
En effet, les militants de L’Affaire du Siècle ainsi que les juges, tous citoyens et électeurs français, oublient qu’ils sont partie intégrante de cet État qu’ils prétendent condamner. Cet État n’est pas un être abstrait assis sur une cagnotte mais c’est le bras exécutif du Peuple souverain et les seules ressources dont il dispose sont les impôts et taxes que ledit Peuple consent à verser pour le bien commun.
Dans une démocratie normale, le montant et la répartition des impôts et taxes ainsi que leur affectation sont déterminées par les représentants du Peuple souverain, à savoir les parlementaires, députés et sénateurs, et personne d’autre. Ces parlementaires ne se contentent pas de faire les lois. Ils veillent aussi à ce qu’elles soient correctement exécutées par le gouvernement et, si celui-ci se montre inefficient, les parlementaires peuvent le congédier.
Maintenant, l’unanimité n’étant jamais acquise, il est inévitable que les citoyens soient mécontents de certaines lois et de leur exécution. C’est le cas avec les militants écologistes qui voudraient que la lutte contre le réchauffement climatique aille plus vite et plus fort. Or, il est stupéfiant de constater que les ONG de L’Affaire du Siècle n’ont elles-mêmes aucune idée des mesures concrètes qui pourraient être prises. Elles reprennent tel quel le « Pacte vert » de la Commission européenne, qui vise à électrifier en accéléré la construction automobile, rénover les logements, etc.
En France, ce programme de « transition énergétique » se traduit par 66 milliards d’euros de dépenses publiques par an… sans garantie de résultat. Cela revient à prélever environ quatre mille euros sur le revenu disponible annuel d’un ménage moyen. Pourquoi pas si c’est nécessaire et surtout efficace ? Mais est-ce aux militants et aux juges d’imposer ce sacrifice à l’ensemble des Français ? N’est-ce pas plutôt au Parlement d’en débattre cartes sur table ?
Voudrait-on tuer la démocratie que les belles âmes mobilisées par L’Affaire du Siècle ne s’y prendraient pas autrement ?
Notons une formule désopilante relevée dans le communiqué de L’Affaire du Siècle : « Les prochaines années seront cruciales, et il est temps que la France soit à la hauteur ».
Correction : la France est l’un des meilleurs élèves de la classe européenne en matière d’émissions de gaz à effet de serre (4,46 tonnes par habitant en 2019 contre 7,91 pour l’Allemagne) ; ses performances sont liées en particulier au choix du nucléaire mais elles sont menacées par la collusion des industriels allemands et de la gauche radicale écologiste, lesquels n’ont de cesse de combattre la filière française et son avantage tarifaire. Plutôt que le nucléaire avec moins de gaz à effet de serre, ils préfèrent à tout prendre le gaz russe, le GNL américain, la tourbe et le charbon.
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Michel Piguet (28-08-2023 19:23:08)
Il y a beaucoup de bonnes remarques, mais il ne faut pas oublier qu'en France, De Gaule a voulu une monarchie élue qu'il a appelé 5ème république. C'est vrai que l'UE a viré trop fort vers la fin... Lire la suite
Doc7438 (11-08-2023 11:14:59)
Nous "boomers" avons eu la chance de connaitre une vie sans guerre sur notre sol depuis 1950 environ. Une vie de confort, de progrès et de prospérité : ça ne pousse pas à l'effort, à la vigilanc... Lire la suite
François L (11-08-2023 09:53:25)
Excellent article. Une synthèse qui résume parfaitement l'état 'désastreux' de la France.
Merci à son auteur.