La guerre d'Indochine (1946-1954)

Une tentative folle d'arrêter l'Histoire

Le 19 décembre 1946, Hô Chi Minh, chef du parti communiste vietnamien, engage ses compatriotes à chasser par les armes le colonisateur français à Hanoï et dans tout le Tonkin (Nord-Vietnam). C'est le début de la guerre d'Indochine... et de trois décennies de conflits quasi-ininterrompus qui vont mettre le Viet-Nam et les autres pays de la région à feu et à sang.

Le drame puise sa source dans la mainmise brutale du Japon sur l'Indochine et la volonté du général de Gaulle, à la Libération, de réinvestir la « Perle de l'Empire français » pour l'honneur du drapeau, cela au moment même où les autres puissances coloniales abandonnaient leurs possessions d'Asie (Indes et Birmanie pour l'Angleterre, Indonésie pour les Pays-Bas).

À Genève, le 21 juillet 1954, les diplomates signent un accord qui met fin au conflit mais tout en divisant le Vietnam en deux moitiés ennemies (comme l'Allemagne et la Corée). De l'autre côté de la planète, en Algérie, cette défaite française donne le signal d'une nouvelle guerre de décolonisation...  

André Larané
Indochine, une guerre oubliée

Sur France 3, on peut visionner jusqu'au 7 novembre 2024 un excellent documentaire de David Korn-Brzoza et l'historien Olivier Wieviorka : Indochine, une guerre oubliée (1h42). Les séquences colorisées changent notre regard sur cette guerre méconnue. Ainsi comprend-on mieux l'insouciance des colons tout comme l'horreur provoquée par les nappes de napalm...

La reconquête française

Hô Chi Minh (19 mai 1890 - 3 septembre 1969)Par le brutal coup de force du 9 mars 1945, les Japonais se sont emparés des leviers de commande en Indochine. Ils ont capturé, voire massacré, les militaires et colons français encore présents sur place.

Sitôt après, le 24 mars 1945, le général de Gaulle, chef du gouvernement provisoire de la France, déclare son intention de restaurer l'autorité de la France en Indochine.

Le chef de la France libre veut prendre de court ses alliés anglo-saxons qui lorgnent sur l'Indochine comme le montrera leur décision, à Potsdam, d'en confier l'administration aux Chinois et aux Britanniques, à l'exclusion des Français.

De Gaulle projette d'établir une fédération de colonies et de protectorats qui comprendrait les trois provinces du Viêt-nam (les trois Ky : Tonkin, Annam et Cochinchine) ainsi que le Cambodge et le Laos. Le 14 août 1945, il nomme l'amiral Thierry d'Argenlieu gouverneur général de l'Indochine ; farouche partisan de la colonisation, l'homme a aussi la réputation d'être rigide et cassant.

Mais les événements se précipitent.

À Hanoi, le 2 septembre 1945, le jour même de la capitulation du Japon, Hô Chi Minh proclame unilatéralement l'indépendance de la République démocratique du Viêt-nam (en abrégé VNDCCH). Ce quasi-inconnu est le chef du parti communiste vietnamien, le Vietminh.

Dans le même temps, un corps expéditionnaire débarque à Saigon sous le commandement du général Leclerc. Celui-ci serait partisan de négocier avec le Vietminh mais pour son supérieur hiérarchique d'Argenlieu, il n'en est pas question.

Fonctionnaires et militaires français se réinstallent sans trop de mal en Cochinchine, où le Vietminh est quasiment absent. Là-dessus, Leclerc engage non sans succès la reconquête du nord.

« De Gaulle, qui entend rétablir la France dans toutes ses positions d'avant guerre, envoie un corps expéditionnaire afin de reconquérir l'Indochine ; entreprise difficile à mener à douze mille kilomètres de distance, » écrit l'historien René Rémond (note).

Des soldats français sous les ordres du lieutenant-colonel Jacques Massu s'emparent le 23 septembre de Saigon 1945, capitale de la Cochinchine (le Viêt-nam du sud). Leur entreprise est facilitée par la capitulation officielle du Japon trois semaines plus tôt.

Quelques jours plus tard arrive un corps expéditionnaire sous les ordres du général Leclerc de Hauteclocque, héros de la Libération nommé par de Gaulle commandant en chef des troupes d'Extrême-Orient, sous les ordres de l'amiral Georges Thierry d'Argenlieu, gouverneur général d'Indochine.

À sa manière audacieuse, Leclerc chasse Japonais et Chinois du Vietnam et du Cambodge. Tchang Kai-chek ayant accepté en février 1946 que les troupes françaises remplacent les troupes chinoises au nord, des éléments de la 2e DB débarquent le 7 mars 1946 à Haï-Phong, le grand port du Tonkin. Accueillis par le feu de l'artillerie chinoise, ils n'en poursuivent pas moins leur route sur Hanoï où Leclerc fait une entrée triomphale le 18 mars 1946. Ils n'atteindront Nam-Dinh qu'au mois de mai de la même année, obligés de repousser les trois armées chinoises encore présentes sur place, qui ressemblent davantage à des armées de brigands menées par des condottiere qu'à des armées régulières !

En dépit de ses succès sur le terrain, Leclerc, qui a rencontré aussi Hô Chi Minh, ne tarde pas à se convaincre de l'inanité d'une restauration de la tutelle française. Le sort de l'Indochine est désormais en bascule. Il repose sur les choix qui seront faits par les responsables français...

« Deux politiques sont concevables, sinon pareillement praticables : restaurer par tous les moyens, les armes si nécessaire, la domination française ou rechercher un accord avec les nationalistes par la négociation. Ces deux politiques sont personnifiées par deux hommes également investis de grandes responsabilités : l'amiral d'Argenlieu incarne la première ; la seconde revient au général Leclerc, qui s'est vite convaincu de l'impossibilité d'une reconquête militaire et qui préconise la recherche d'une entente - Jean Sainteny en est l'exécutant convaincu », écrit encore René Rémond.

Tandis que l'amiral Thierry d'Argenlieu s'accommode d'une restauration du protectorat, le général Leclerc revient en France avec la conviction qu'il est urgent de négocier et qu'il faut se résigner à la décolonisation.

Les négociations de Fontainebleau : de l'espoir à l'échec

De Gaulle quitte le pouvoir en janvier 1946. Le nouveau gouvernement comprend l'inanité d'un maintien de la France en Indochine. Il prépare un accord avec les Vietnamiens en vue de reconnaître leur indépendance, suivant l'exemple des Britanniques qui s'apprêtent à quitter leur colonie des Indes.

Paris bénéficie d'une circonstance favorable : Hô Chi Minh, à Hanoï, craint une mainmise de ses voisins chinois et se montre disposé à composer avec les Français. C'est ainsi que le négociateur Jean Sainteny et Hô Chi Minh signent les accords du 6 mars 1946. Ils reconnaissent un État libre du Viêt-nam au sein de l'Union française... Il ne peut s'agir que d'un accord provisoire, Hô Chi Minh n'ayant d'autre objectif que de réunir le Vietnam sous un gouvernement communiste. 

Une conférence se réunit le 1er juillet 1946 à Fontainebleau, en présence d'Hô Chi Minh lui-même, en vue de préciser les contours de l'indépendance de l'Indochine. Un référendum est prévu pour confirmer l'union des trois Ky au sein d'un seul État.

Cela ne fait pas l'affaire de l'amiral Thierry d'Argenlieu, qui a le soutien du général de Gaulle et du ministre des Affaires étrangères Georges Bidault. Il préfèrerait maintenir Saïgon et la Cochinchine sous influence française et il s'oppose ouvertement là-dessus à Leclerc et Sainteny.

Lui-même ouvre le 1er août 1946 à Dalat (Annam, au centre du Vietnam) une conférence où sont représentés tous les gouvernements locaux de l'Indochine : Cochinchine, Laos, Cambodge, Sud-Annam, Populations Montagnardes... sauf le Tonkin d'Hô Chi Minh.

Celui-ci en prend prétexte pour suspendre immédiatement les discussions de Fontainebleau, lesquelles seront clôturées le 14 septembre 1946. De son côté, à Dalat, d'Argenlieu projette de construire une forme de dominion fédéral sous la tutelle de la France.

Là-dessus survient l'incident du 19 novembre 1946. Ce jour-là, une fusillade se produit dans le port de Haïphong entre une jonque chinoise et la douane française. À bord de la jonque, des nationalistes vietnamiens transportent de l'essence de contrebande. La fusillade dégénère et fait 24 morts. Parmi eux le commandant Carmoin qui s'avançait avec un drapeau blanc vers les Vietnamiens de la jonque.

Une guerre pour rien

L'incident de la jonque chinoise est aussitôt exploité par l'amiral d'Argenlieu qui, en violation des accords du 6 mars, décide de rompre l'unité des trois Ky du Viêt-nam en créant une Cochinchine indépendante affidée à la France. Pour imposer cette solution au Vietminh, les militaires décident de recourir à la bonne vieille « diplomatie de la canonnière » héritée du siècle précédent.

Le 23 novembre 1946, à l'instigation de l'amiral d'Argenlieu, trois avisos du colonel Debès bombardent le port de Haïphong. Brutale, l'attaque aurait fait jusqu'à 6 000 morts ! L'événement passe inaperçu de la métropole et notamment du chef du gouvernement, le socialiste Léon Blum, qui n'en perçoit pas la gravité. Mais sur place, il n'en va pas de même. L'agression lève les dernières hésitations de Hô Chi Minh.

Le 19 décembre suivant, son parti, le Vietminh, lance une offensive générale contre les Français. La centrale électrique de Hanoï est détruite, les rues barrées, les magasins et les maisons d'Européens attaqués... On compte pas moins de 400 victimes, morts et disparus, parmi les colons.

Le lendemain, sitôt après le massacre, l'« oncle Hô », surnom affectueux que donnent les communistes à leur chef, publie une déclaration sans ambiguïté : « Luttez par tous les moyens dont vous disposez. Luttez avec vos armes, vos pioches, vos pelles, vos bâtons. Sauvez l'indépendance et l'intégrité territoriale de la patrie. Vive le Vietnam indépendant et indivisible. Vive la démocratie » (Pierre Pellissier, Dien Bien Phu, Perrin, 2004).

Aussitôt après, Hô Chi Minh entre dans la clandestinité. Dans le même temps, son adjoint Vo Nguyen Giap, un ancien professeur d'Histoire, prend la direction des affaires militaires. Il forge une armée de 60 000 hommes avec l'objectif de chasser les Français.

L'opinion française se montre indifférente à cette guerre coloniale, quand elle ne s'y oppose pas par des manifestations violentes contre les convois de soldats, voire de blessés rapatriés d'Indochine.

Il est vrai que les combattants du Corps expéditionnaire français en Extrême-Orient (CEFEO) ne sont pas des conscrits mais des militaires de métier. Parmi ces, hommes, qui ne dépasseront jamais le total de 235 000, on compte une bonne moitié de « volontaires » des colonies d'Afrique et d'Asie ainsi que des soldats de la Légion étrangère, parmi lesquels beaucoup de jeunes Allemands, orphelins de la Wehrmacht, à l'égard desquels l'opinion publique se sent peu d'affinités.

Rien de tel du côté vietnamien. Les communistes bénéficient du soutien de la population et s'assurent la maîtrise de la plus grande partie du Tonkin.

Sur le terrain, les combattants ne font pas de quartier tant du côté français que du côté Vietminh. Villages brûlés, femmes violées, paysans massacrés. Les communistes eux-mêmes exécutent sans état d'âme tous les hésitants et les présumés collaborateurs de l'ennemi. 

Insuccès français

Le gouvernement français tente de restaurer un semblant de protectorat ou d'« État associé à l'Union française » en installant à sa tête l'ancien empereur de l'Annam, Bao-Daï. Mauvais choix, l'homme n'ayant de goût que pour les casinos et les boîtes de nuit. Leurs calculs sont mis à mal par la victoire des communistes chinois à Pékin, le 1er octobre 1949. Le nouveau maître de la Chine, Mao Zedong, ne va plus dès lors ménager son soutien logistique à Hô Chi Minh.

En contrepartie, les diplomates américains, favorables au commencement à Hô Chi Minh, le lâchent lorsqu'eux-mêmes sont amenés à repousser une attaque communiste en Corée, en juin 1950. Ils décident dès lors de soutenir massivement l'effort de guerre de la France. De coloniale, la guerre devient une guerre de résistance au communisme ! Et les Américains approvisionnent copieusement le corps expéditionnaire en dollars et en armement.

Les bombes au napalm déjà testées dans la guerre de Corée font leur apparition au Vietnam. Cette essence gélifiée larguée par les avions à basse altitude enflamme la forêt et les campagnes en un éclair sur plusieurs centaines de mètres, ne laissant aucune chance aux paysans et maquisards de leur échapper. 

Malgré ces moyens extrêmes et devant la difficulté de tenir les confins sino-indochinois, l'armée française décide de les évacuer. Mauvais calcul : le Vietminh n'aura dès lors plus aucune difficulté à s'approvisionner en armement soviétique via la Chine. 

Qui plus est, l'évacuation se solde par une attaque communiste à Cao-Bang, en octobre 1950 et de très lourdes pertes pour le corps expéditionnaire : 7 000 victimes sur un effectif de 8 000 hommes ! Ce coup dur relance en France l'opposition à la guerre.

En décembre 1950, le prestigieux général Jean de Lattre de Tassigny reprend les choses en main et redresse la situation. Mais, malade et accablé par la mort au combat de son fils unique Bernard, lieutenant en service au Tonkin, le « roi Jean » s'éteint à Paris le 11 janvier 1952.


La guerre en Indochine (Les Actualités Françaises 1951),   source : INA

Troupes françaises en Indochine en 1953. Opération dans le Tonkin avec le 1er bataillon du 2e REI. Son successeur intérimaire, le général Raoul Salan, futur putschiste d'Alger, poursuit avec un certain succès et malgré des moyens mesurés le travail de « pacification ». Il installe dans les montagnes, au coeur des zones ennemies, des camps retranchés ou « hérissons » sur lesquels viennent se briser les offensives du général Giap. Il remporte ainsi un franc succès à Na Sam en décembre 1952 puis dans la plaine des Jarres.

Mais le 8 mai 1953, les aléas de la politique parisienne portent le général Henri Navarre à la tête du corps expéditionnaire, en remplacement de Raoul Salan. Le nouveau commandant en chef dispose de près de 450 000 hommes en incluant les troupes indochinoises.

À Paris, les responsables politiques estiment que la guerre, officiellement qualifiée d'« opérations de pacification », n'a que trop traîné et qu'il est temps pour la France d'y mettre un terme, en se retirant du Viêt-nam, si possible avec les honneurs.

Le général Henri Navarre décide de créer un puissant camp fortifié au coeur des montagnes du nord-Vietnam, dans une plaine de 65 km2. Ce sera Diên Biên Phu.

Ce camp fortifié de près de quinze mille hommes aura pour mission de fixer les troupes du Vietminh et de les empêcher d'entrer au Laos voisin, dont le gouvernement est resté fidèle à la France.

Pari risqué à quitte ou double. Le général Giap prépare soigneusement le siège et déclenche l'assaut par un déluge d'artillerie le 3 février 1954. Le 7 mai 1954, veille de l'anniversaire de la Capitulation allemande, le colonel de Castries, qui a déjà perdu trois mille hommes et n'a plus de munitions, doit se rendre . 

À Genève, où s'est ouverte une conférence sur la Corée et l'Indochine, c'est la consternation dans le camp français. Le 21 juillet suivant, un accord met fin officiellement à la guerre d'Indochine... tout en ouvrant la perspective d'un nouveau conflit, idéologique celui-là, entre le Nord-Vietnam communiste et le Sud-Vietnam pro-américain.

Publié ou mis à jour le : 2024-05-05 14:33:35

Voir les 9 commentaires sur cet article

hadrien1000 (08-05-2024 10:35:23)

Intéressant comme résumé, certes les anticipations en histoire sont discutables comme Salan futur putschiste, on ne le savait pas en 1954... Il y a eu tant de choses sur ce sujet et tant de nostalg... Lire la suite

mcae.fr (06-05-2024 09:47:13)

La guerre d’Indochine rentre sans doute dans la grande tractation de partage du monde entre URSS et USA, au mépris des populations et des cultures : Corée du nord pour l’URSS, Corée du sud pou... Lire la suite

LAMBERT (05-05-2024 23:45:21)

Comment l’O.S.S. aida Ho Chi Minh à prendre le pouvoir en 1945 par Pierre Brocheux aperçu Le Monde diplomatiqueComment l’O.S.S. aida Ho Chi Minh à prendre le pouvoir en 1945? LE livre du... Lire la suite

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