Chassez la spiritualité, elle revient par d’autres voies. C’est la leçon du film de Fabienne Berthaud qui sort ce 30 octobre 2019, inspiré d’une histoire vraie. Le personnage principal, incarné par Cécile de France, va en effet revivre à l’écran l’expérience de Corine Sombrun. Après le décès douloureux de son compagnon, cette ingénieure du son s’est retrouvée en Mongolie où elle a découvert, au milieu des chamans, sa capacité à entrer en transe.
Cette ouverture inattendue vers le « monde noir » des esprits est mise au service d’une trame narrative romantique. Cécile de France va ainsi reprendre contact une dernière fois avec son compagnon. Si Fabienne Berthaud place clairement son film sur le terrain de la spiritualité, elle aborde aussi une question qui taraude une société d’individus désormais confrontés aux épreuves de la vie sans guère de soutien spirituel collectif. Comment faire face, comment comprendre, accepter et vivre malgré tout ? Autant de questions que le film aborde avec un grand élan d’humanité.
L’appel du loup
Comment vivre après la mort de son mari ? Comment renaître après l’avoir accompagné et soutenu durant des années alors qu’il était malade ? Cécile de France incarne cette femme, Corine, dont le mari vient de mourir. Que faire ?
Corine est ingénieur du son. Ses collègues de travail lui suggèrent de changer d’air en allant enregistrer des prières, des chants et des ambiances pour une série de documentaires sur la spiritualité. Elle n’a qu’une seule demande : partir le plus loin possible. Elle ne se doute pas que cette distance n’est qu’une première étape et qu’elle ira bien plus loin, dans les contrées habitées par les esprits, pour découvrir qu’elle possède un pouvoir dont elle ignore tout.
Corine se retrouve alors en Mongolie, au milieu de paysages immenses, d’une beauté à couper le souffle, qu’elle parcourt en mini-van puis à cheval. Elle va ainsi cheminer des steppes du Nord jusqu’à un campement tsaatan, un peuple d’éleveurs de rennes. Accompagnée par une interprète, Naara (Narantsetseg Dash), elle va découvrir des coutumes étranges et vivre un moment qui la marquera durablement.
Un soir, alors qu’elle enregistre une séance de chamanisme dirigée par Oyun (Tserendarizav Dashnyam), elle va littéralement entrer en transe, une transe saccadée, coupée de soubresauts, qui la laissera inconsciente. À son retour dans le monde des vivants, elle comprend qu’elle a vécu un épisode inédit de son existence.
À ses questions, ceux qui l’entourent répondent par des mots qui la laissent muette de stupéfaction. « Cette femme est un chaman ! » « Elle a failli mourir. » « L’esprit du loup est venu en toi, il t’a donné ses pouvoirs, tu dois maintenant apprendre à t’en servir. » Et l’avertissement ne tarde pas à suivre : « Si tu ne fais pas ce que les esprits veulent pour toi, ta vie sera encore pire. » Une explication survient aussi : « Les chamans peuvent communiquer avec l’esprit des morts, mais pendant la transe, ils vont dans le monde noir et ils doivent retrouver le chemin de leur corps. »
Selon Roberte Hamayon, anthropologue, linguiste et spécialiste du chamanisme mongol, le terme chaman vient de « saman », un mot utilisé par les Toungouse, un peuple sibérien vivant de la chasse et de l’élevage.
Dans une interview publiée dans Libération le 8 mars 2017, elle précise que « la racine veut dire « remuer l’arrière-train », en parlant des animaux, pendant le rut. Lors des rituels, les chamans de la taïga portaient une couronne à ramures de cervidés en fer, stylisée, autant de signes d’un lien avec la chasse. » Dans l’esprit des Toungouse, « l’espèce humaine est une espèce parmi d’autres ». En conséquence, elle doit s’intégrer dans la chaîne alimentaire et pour cela s’accorder avec les espèces qu’elle consomme : elle pourra prendre leur viande ou la chair des animaux impunément et devra tout faire pour que leur âme « revienne » pour une nouvelle vie.
Ce principe central du chamanisme implique que chaque espèce a un esprit, sorte d’âme collective. « Lors d’un grand rituel annuel, le chaman concrétise cet échange, en « épousant » une femelle cervidée imaginaire, précise l’anthropologue. Elle représente son espèce et, lui, son groupe humain. Il obtient ainsi, sous la forme du droit du mari sur la femme, le droit de chasser. »
« Conneries de sorciers »
Autant d’affirmations que Corine rejette comme sans fondement, les qualifiant de « conneries de sorcier », avant de revenir en Europe. En écoutant les sons enregistrés en Mongolie durant la séance chamanique, elle bascule de nouveau dans le « monde noir »… Campant sur une rationalité sans concession, elle va passer des examens, en l’occurrence une IRM du cerveau, qui lèvent l’hypothèse d’une atteinte physique au cerveau.
Le temps faisant son œuvre et malgré l’inquiétude de ses proches, incarnées à l’écran par Ludivine Sagnier et Arieh Worthalter, qui postulent un déséquilibre psychologique, Corine décide de repartir en Mongolie. Son objectif : s’engager réellement dans une initiation avec la femme chamane Oyun afin, peut-être, d’entrer en contact avec son mari décédé.
Cette quête va aboutir lors d’une promenade en forêt. Corine souhaite se retrouver seule pour se ressourcer. Ses pas la mènent à une rivière. Elle décide de se baigner. Durant son bain, elle se sent appelée par les eaux profondes et s’enfonce dans la rivière, s’éloignant de la luminosité de la surface pour s’approcher du « monde noir » qu’elle a découvert lorsqu’elle entre en transe.
Son mari lui apparaît et ils se touchent. Un ultime contact qui signe la fin de son séjour entre la vie et la mort. L’esprit de son mari cesse d’errer entre les vivants et l’au-delà et accepte de rejoindre sa dernière demeure. Corine, elle, retourne à la vie. Sa douleur a changé, elle peut à nouveau vivre et accepter la mort de son mari.
À la vie, à la mort
Si Un monde plus grand apporte un regard parfois stéréotypé sur l’expérience extra-sensorielle à l’approche de la mort (lumière au bout du tunnel, images surnaturelles), il dépeint cependant le chamanisme en Mongolie avec une grande délicatesse tout en exposant crument l’incrédulité occidentale.
Le deuil est l’autre volet du film ou plutôt le rapport des vivants au deuil et à la douleur. Comment vivre alors que la douleur terrasse celui qui a perdu l’être aimé ? Comment ne pas sombrer dans le « monde noir » ? Un monde plus grand pose la question. Il se garde d’apporter une réponse toute faite mais il invite à penser au-delà des mots, à ressentir la vie plutôt qu’à l’organiser, la quantifier et la rentabiliser dans l’ivresse de l’efficacité.
Vivre – et mourir – n’ont qu’un lointain rapport avec la notion d’utilité, d’efficacité ou de profit et reste un mystère à explorer. Le film se penche avec délicatesse sur l’une des voies possibles pour entamer cette exploration, le chamanisme, et restitue à ses protagonistes une humanité dont ils ne soupçonnaient pas eux-mêmes ni l’étendue ni la profondeur.
Le film est inspiré de faits réels survenus à Corine Sombrun, ingénieure du son partie s’installer à Londres après le décès de son compagnon. Lors d’un reportage pour la BBC qui la mène en Mongolie, elle découvre qu’elle a le « don » et va suivre l’enseignement réservé aux chamans.
Formée pendant plusieurs années aux rituels et techniques de transe, elle collabore depuis 2006 avec des chercheurs afin de mieux comprendre les mécanismes cérébraux liés à ces états de transe. Ces travaux ont permis de conclure la première étude scientifique sur la transe chamanique mongole (Flor-Henry et al. 2017, Cogent Psychology). En 2015, elle décide de lancer un programme de recherche inédit qui a pour but d’induire la transe à partir de la volonté. Parmi les 500 volontaires ayant mené le test, 85 % ont vécu un moment de transe, démontrant qu’il s’agissait d’une potentialité de tout cerveau humain.
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