La « grand’maison » de Jacques Cœur, le Grand Argentier du Royaume, « est si belle, si décorée de tant d’ornements, que dans toute la France, je ne dis pas seulement dans l’aristocratie moyenne, mais même à cause de ses dimensions, jusque chez le roi, on pourrait difficilement trouver demeure plus magnifique », écrivait au XVe siècle Thomas Basin, évêque de Lisieux dans son Histoire de Charles VII.
Jacques Cœur voulait une demeure « grande, large, haute et magnifique » (selon ses propres termes) afin de symboliser sa spectaculaire réussite. Parvenu au faîte de son ascension sociale, il fit construire en 1444 dans sa ville natale de Bourges une « grand’maison » qui fut immédiatement reconnue comme le plus bel édifice privé urbain de son époque. Mais elle attisa la rancœur de ses débiteurs, et peut-être même l’envie de Charles VII.
Après l’arrestation de Jacques Cœur en 1451, la « grand’maison » fut confisquée, et son mobilier vendu. Intimement liée au destin romanesque de son propriétaire, elle évoque à la fois sa fulgurante réussite par le faste de ses sculptures, et sa chute tragique par le dépouillement de ses pièces vides de tout meuble.
Un chantier ambitieux
Trois ans après avoir été anobli par Charles VII, Jacques Cœur, au sommet de sa gloire, fit en 1443 l’acquisition du fief de la Chaussée, situé à un emplacement stratégique, sur l’ancienne muraille gallo-romaine de Bourges.
Le grand argentier fit appel aux maîtres d’œuvre du roi, Colin le Picard pour la maçonnerie et Jean de Blois pour la charpenterie. Le chantier commença dès l’année suivante, en 1444, et se trouvait presque achevé lors l’arrestation de de Jacques Cœur en 1451.
Jacques Cœur prit pour modèle le château de Mehun-sur-Yèvre, construit par le duc Jean de Berry, dont Charles VII avait fait l’une de ses résidences de prédilection.
Plusieurs dispositions architecturales en sont directement inspirées : le pavillon d’entrée, surmonté d’une chapelle à l’étage, la grande cour intérieure entièrement close, dominée par de hautes façades et des tours surélevées, et surtout les murs percés de larges fenêtres. Ils sont emblématiques d’un tournant majeur dans l’architecture médiévale qui perd progressivement sa fonction militaire.
Les « maisons fortes » entourées de fortifications défensives sont progressivement remplacées par des demeures de plaisance agrémentées de fenêtres et de grandes ouvertures sur l’extérieur.
Un plan rationnel
La distribution intérieure est conçue de manière à séparer les espaces publics et les pièces privées. Elle est marquée par une volonté d’organisation rationnelle. Ainsi, pas moins de quatre escaliers partent de la cour pour monter dans les étages. Chacun dessert des catégories d’espaces bien distinctes, signalées par l’ornementation sculptée.
L’escalier de la chapelle est orné d’un bas-relief représentant des scènes d’entrée et de sortie de messe. La porte menant à l’escalier de service, destiné aux domestiques, est surmontée d’un tympan représentant trois personnages occupé à préparer un repas car elle mène aux cuisines et aux caves.
L’escalier d’honneur, situé dans la tour principale, dessert les salles d’apparat (qui sont également accessibles par un second escalier de service, destiné à la circulation des domestiques).
Il constitue l’entrée principale du logis et porte un magnifique décor sculpté : les bas-reliefs d’arbres et de plantes exotiques rappellent les voyages de Jacques Cœur, tandis que des personnages symbolisent divers métiers, vraisemblablement liés aux activités commerciales du maître des lieux.
Au niveau supérieur, un homme et une femme richement vêtu représenteraient probablement Jacques Cœur et son épouse Macée de Léodepart.
Toute la demeure présente une multitude de symboles, plus ou moins aisés à déchiffrer. Les plus célèbres sont les frises composées d’une alternance de coquilles Saint-Jacques et de cœurs qui évoquent le prénom et le nom du grand argentier et composent ses « armes parlantes ». On retrouve également à plusieurs reprises ses devises : « À vaillants cœurs rien impossible » et « Dire, faire, taire, de ma joie. »
Un hommage au roi Charles VII
Le fastueux décor sculpté forme un hommage marqué à Charles VII. Dès le pavillon d’entrée, une statue équestre du roi (détruite en 1792) présentée sur la façade montrait publiquement la fidélité du grand argentier pour son souverain, mais aussi sa proximité avec le monarque.
Dans la cour intérieure, les armes royales, portées par des anges, figurent sur les gâbles des lucarnes.
Les emblèmes royaux sont omniprésents dans la grande salle des festins. Le manteau de la gigantesque cheminée est orné de roses et d’iris, fleurs adoptées comme symboles personnels par Charles VII. Les traces de polychromie (vert, blanc, et rouge) révèlent également les trois couleurs de l’emblématique du souverain.
Autre symbole du roi, le cerf ailé (motif qui a inspiré une des plus belles tapisseries du XVe siècle) se retrouve au tympan d’une porte. Il est associé à une biche ailée, unique exemple connu de cette iconographie, qui renvoie symboliquement à l’épouse de Charles VII, la reine Marie d’Anjou.
Si ce décor sculpté a été conservé, les peintures et les vitraux qui représentaient les douze pairs du royaume, les neuf preux et les neuf preuses, et surtout le sacre de Charles VII, ont malheureusement disparu.
La richesse du décor sculpté se retrouve dans les galeries hautes dont les grandes cheminées adoptent la forme de forteresses. Entre les créneaux, une multitude de soldats se tiennent prêts à repousser une attaque.
Peut-on y reconnaître des grands personnages du règne de Charles VII ? Il est tentant de voir dans une figure féminine en armes une représentation de Jeanne d’Arc. D’autres sculptures montrent des scènes de la vie quotidienne : un couple est ainsi figuré en train de jouer aux échecs.
Les galeries hautes sont également remarquables pour leurs extraordinaires voûtes de charpente lambrissée sur files d’arcs en accolade. Les nervures retombent sur des culots ornés de bustes de personnages d’une grande fantaisie.
La chapelle
Les galeries hautes mènent à la chapelle dont la décoration n’était pas encore achevée lors de l’arrestation de Jacques Cœur.
Inspiré par le plan de la Sainte-Chapelle de Bourges, le sanctuaire présente de part et d’autre de l’autel, deux oratoires, creusés dans les angles du pavillon, destinés au grand argentier et à son épouse. Ils sont tous les deux éclairés par de petites baies qui donnent sur la grande façade sur rue.
Ces ouvertures surmontent les célèbres fausses fenêtres d’où surgissent les sculptures représentant Jacques Cœur et Macée de Léodepart, comme s’ils se penchaient pour regarder l’activité de la rue.
Quant au décor de l’intérieur de la chapelle, il a en grande partie disparu. Le triptyque qui surmontait l’autel en fut enlevé à une date inconnue. On sait seulement qu’il était l’œuvre d’un peintre réputé, mais les descriptions sont trop imprécises pour permettre une identification.
Les sources précisent que les panneaux latéraux du triptyque représentaient Charles VII et Marie d’Anjou, ainsi que le roi René et d’autres membres de la famille royale. La chapelle comportait aussi un portrait de Jacques Cœur, également disparu.
On ignore si les grandes baies, dont les remplages se terminent selon un motif de fleur de lys, étaient pourvues de vitraux figurés, qui aurait pu s’inscrire dans la lignée des commandes du grand argentier pour la cathédrale de Bourges.
Il demeure toutefois l’extraordinaire peinture des voûtes, qui semblent s’ouvrir sur un ciel étoilé d’où surgissent une multitude d’anges, portant dans des phylactères des versets célébrant les mystères douloureux et glorieux de la Vierge.
La qualité de la composition, bien qu’altérée par sa restauration au XIXe siècle, laisse penser qu’elle pourrait être due à Jacob de Littemont, peintre de Charles VII.
Les pièces privées
Au nombre des chefs-d’œuvre du palais figure aussi un vitrail représentant une nef, ornée des armoiries de Jacques Cœur, faisant voile vers une ville fortifiée, qui pourrait être Aigues-Mortes.
Il constitue, avec la sculpture du tympan de la porte représentant un navire, les seuls vestiges du décor intérieur de la « chambre des galées », destinée au maître de maison. Elle célébrait la flotte du grand argentier et l’importance de son réseau commercial.
Comme toutes les pièces de la demeure (et même les couloirs), la chambre était dotée d’une cheminée, selon un souci nouveau pour le confort.
Ce goût novateur se retrouve aussi dans la présence d’une étuve, relié par un escalier discret aux appartements privés. Elle se compose d’une pièce sèche, servant vraisemblablement de vestiaire, et d’une pièce humide, dallée de porphyre et chauffée par le sol, grâce à une petite salle de chauffe située en contrebas.
Les petites figures des culs-de-lampe montrent un personnage en train de jeter de l’eau sur le dallage, afin de produire de la vapeur d’eau.
Parmi les scènes sculptées les plus célèbres du palais, un bas-relief représentant Tristan et Yseult témoigne de la célébrité du roman. Il montre une rencontre secrète entre les deux amants qui sont épiés par le roi Marc, caché dans un arbre. Mais Tristan et Yseult s’aperçoivent de la présence du souverain, grâce à son reflet qui apparaît dans l’eau de la fontaine au pied de l’arbre. Cette sculpture se trouve dans une petite salle circulaire, située au sommet du donjon. Appelée « salle du trésor » ou « salle de l’huis de fer » en raison de la solidité de sa porte de métal, elle était destinée à conserver en sécurité les biens les plus précieux.
Bibliographie
Jean-Yves Ribault, Le palais Jacques Cœur, Paris, Éditions du patrimoine, 2024.



La « demeure magnifique » de Jacques Cœur









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greg cook (02-04-2025 20:06:11)
Merci beaucoup pour cette visite guidée et si bien commentée. Si vous ne connaissez pas ce livre sur Jacques Coeur, je vous le conseille: "Le Grand Coeur," de Jean-Christophe Rufin. Gallimard: ... Lire la suite