18 septembre 2008 : voici que l'on reparle avec insistance de la crise économique de 1929 en appréhendant ses tragiques conséquences : le nazisme et la Seconde Guerre mondiale. La comparaison a ses limites d'après Michel Psellos...
La crise actuelle a débuté en août 2007 avec la faillite de plusieurs établissements de crédit qui avaient imprudemment accordé des prêts pourris (« subprimes ») à des ménages pauvres, désireux de s'offrir la maison de leurs rêves. Ces établissements avaient gagé leurs prêts sur la valeur hypothécaire des maisons (note), mais l'effondrement du marché de l'immobilier a réduit à néant ces gages.
Le 15 septembre 2008, la faillite du puissant courtier new-yorkais Lehman Brothers a fait l'effet d'un tremblement de terre. Trois jours plus tard, à Washington, Henry Paulson, Secrétaire d'État au Trésor, a annoncé un plan de 700 milliards de dollars (1500 euros par habitant !) pour éviter l'effondrement de la bourse et une crise économique mondiale... Cette intervention de l'État, avec à la clé la prise en gage de la première entreprise d'assurance du pays, AIG, a offert au système financier un sursis que personne n'attendait plus.
Le krach de septembre 2008 puise ses origines dans un phénomène politique : les attentats du 11 septembre 2001, tant il est vrai que l'économie est subordonnée en toutes choses à la politique ; elle reflète in fine la santé et les angoisses de la société. Dans l'émotion qui a suivi l'attaque terroriste du WTC et du Pentagone, l'opinion publique s'est prise à douter de l'avenir et les cours de Wall Street se sont effondrés.
Pour restaurer la confiance et éviter un effondrement de l'économie, le gouvernement de George Bush Jr et le président de la Banque centrale américaine (la Fed ou Réserve fédérale) Alan Greenspan ont décidé d'un commun accord d'encourager à tout va le crédit en maintenant au plus bas le taux de réescompte de la Fed et en injectant des liquidités dans l'économie. La formule a si bien marché que le crédit s'est emballé jusqu'aux dérives des « subprimes ».
C'est un phénomène semblable qui a été à l'origine du krach d'octobre 1929, si ce n'est qu'à l'époque, les ménages empruntaient pour acheter des actions et non des maisons ! Cette spéculation boulimique était née de façon inattendue d'une décision du Lord de l'Échiquier (le ministre britannique de l'économie, un certain Churchill) en 1925 de rétablir la livre sterling au niveau qui était le sien avant la Grande Guerre. Cette décision purement politique avait entraîné un afflux de capitaux à Wall Street, lequel avait fait flamber le cours des actions au-delà du raisonnable...
La comparaison entre 2008 et 1929 s'arrête là car les banques centrales et les gouvernements, instruits par l'expérience, ont réagi cette fois-ci en injectant des liquidités dans le marché interbancaire au lieu de l'assécher. Entre deux maux, l'inflation et la déflation, ils ont pour l'instant choisi le premier.
Si l'on quitte le domaine de l'Histoire et que l'on entre dans celui, ô combien hasardeux, de la prospective, on peut espérer que la crise reste circonscrite aux acteurs financiers imprudents.
D'après une opinion majoritaire chez les économistes à la fin de cette année 2008, les banques d'investissement et fonds d'arbitrage anglo-saxons ne devraient connaître que des faillites totales ou partielles, avec des «plans de défaisance» (liquidation des actifs douteux) analogues à ceux connus par des opérateurs français après la récession franco-allemande de 1993 (Comptoir des Entrepreneurs, Crédit Foncier et Crédit Lyonnais)... Une autre partie du secteur financier pourrait plutôt profiter de la crise : ce serait le cas de la plupart des banques commerciales à réseau et compagnies d'assurance françaises, allemandes et anglo-saxonnes restées prudentes !
Il resterait à resserrer le contrôle du secteur financier sous la supervision du Fonds Monétaire International (FMI) et des banques centrales nationales ou régionales comme la Banque Centrale européenne, jusqu'à la prochaine crise qui viendrait des interstices laissés ouverts dans la nouvelle réglementation...
Si l'on en croit donc la majorité des économistes (ceux-là mêmes qui n'ont rien vu venir !), la crise actuelle ne devrait se propager qu'assez peu à l'économie réelle même si l'on peut s'attendre à une sévère récession d'un an ou dix-huit mois comparable à la récession franco-allemande de 1993... Rien à voir en tout cas selon eux avec la profonde dépression des années 30.
À l'encontre de ceux, très nombreux, qui pensent que l'actuelle crise n'est qu'un mauvais moment à passer et que tout reprendra comme avant (moins quelques excès), il y a aussi ceux qui entrevoient un bouleversement majeur, financier, économique, social mais aussi géopolitique. Quoi qu'il en soit de ses répercussions économiques à court et moyen terme, cette crise génèrera de fortes secousses sismiques qui accélèreront la recomposition des équilibres planétaires au profit de la Chine et au détriment de l'Europe et des États-Unis.
Cette recomposition est d'ores et déjà perceptible à travers une conjonction d'événements lourde de sens. Aux États-Unis, General Motors, naguère la première entreprise mondiale, est en pleine déroute. Dans les prochaines années, jusqu'en 2014, la Nasa, faute d'avoir renouvelé à temps ses navettes, devra faire appel aux fusées russes pour ses expéditions spatiales !
Tandis que coulent quelques-unes des plus prestigieuses institutions financières de Wall Street et que l'on s'interroge sur l'hôte futur de la Maison Blanche (un jeune métis ou un vétéran de la guerre du Vietnam?), voilà qu'après l'ouverture éclatante des Jeux Olympiques de Pékin, le 8 août 2008, les Chinois s'offrent ce 25 septembre 2008 le lancement d'une troisième fusée avec sortie d'un « taïkonaute » dans l'espace ! Qui eut envisagé pareille conjonction d'événements il y a tout juste dix ans ou en 1976, quand la mort de Mao laissait la Chine misérable et au bord de la guerre civile ?
Aujourd'hui, il est de bon ton de rendre responsables de la crise les traders, les spéculateurs, les banquiers et les grands patrons, prêts à s'enrichir par tous les moyens. Cela est vrai en première analyse mais c'est oublier qu'en dernier ressort, les responsabilités sont politiques.
Ce sont les dirigeants occidentaux qui, au début des années 1980, à la suite de la « Révolution conservatrice » de Ronald Reagan, ont entrepris de déréguler la finance mondiale au nom d'a priori idéologiques qui n'ont rien à voir avec le libéralisme d'Adam Smith et des autres économistes des Lumières, lesquels mettaient en avant les exigences morales et l'État de droit.
Cette politique ultra-libérale a été plébiscitée par les citoyens américains, dont les retraites sont gagées sur les profits des fonds de pension et, donc, les résultats de la Bourse (c'est le principe des « retraites par capitalisation »). Les gestionnaires de ces fonds de pension ont recherché à tout prix des taux de profit annuel de 15% (alors qu'un taux de profit, en toute logique, ne peut dépasser, sur le long terme et en moyenne, le taux de croissance économique, de 2 à 5% depuis plusieurs décennies). Des esprits clairvoyants ont bien dénoncé un système capitaliste devenu fou mais leurs avertissements ont été couverts par les invectives et les cris d'orfraie des ultralibéraux.
Les droites européennes et même une partie de la gauche, sous François Mitterrand, ont embrayé. Jusqu'à Nicolas Sarkozy qui a exalté le modèle américain (dérégulation, prêts hypothécaires, retraites par capitalisation, immigration choisie), allant jusqu'à proposer de « dépénaliser le droit des affaires ». Quand les bornes de la morale s'estompent à ce point, difficile de reprocher aux seuls spéculateurs de les outrepasser...
Le plus surprenant est que les thèses ultralibérales ont perduré bien après l'éclatement de la « crise des subprimes » : que l'on souvienne du rapport Attali de janvier 2008, en complet décalage avec la conjoncture ! On peut difficilement croire d'autre part que les dirigeants qui se sont fourvoyés jusqu'à ces derniers mois dans des politiques ultralibérales désastreuses puissent mener désormais avec conviction et compétence des politiques diamétralement opposées.
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Voir les 6 commentaires sur cet article
Marie-Elisabeth Mondon (06-10-2008 23:47:38)
Ces analyses pourtant claires ne répondent pas à une question que je me pose depuis un certain temps.Pourquoi une erreur de stratégie économique américaine a une répercussion sur l'économie mon... Lire la suite
G.E. (29-09-2008 20:25:18)
Christian Delâge, je ne comprends pas bien votre propos... Ce que je sais, c'est que le libéralisme rejette l'intervention de l'État dans l’économie. Donc, si une administration publique for... Lire la suite
Christian Delâge (29-09-2008 16:05:05)
G.E., il faudra nous expliquer comment on fait pour dissocier la prééminence économique du système boursier (éventuellement exposé à la circulation de produits pourris...) d'une administration ... Lire la suite