1914 - 1918

La création dans la Grande Guerre

Pendant la Grande Guerre, la création continue... Loin d'être paralysés par les combats, art et artisanat se déploient sous toutes leurs formes, de la plus officielle, dans les bureaux parisiens, à la plus improvisée, dans le froid des tranchées.

Qu'ils soient amateurs ou professionnels, les photographes, sculpteurs, écrivains et autres artistes nous ont laissé un témoignage émouvant, amusant ou parfois choquant sur une époque toute de brutalité. Voici remises en lumière quelques-unes de leurs productions.

Isabelle Grégor

Reprise du fort de Douaumont par l'infanterie française, Henri Georges Jacques Chartier, 1916, Paris, musée de l'Armée.

L'Art combattant

C'est officiel... on ne joue plus ! Avec l'arrivée de la guerre, le temps n'est plus à l'innovation dans les techniques picturales ou à la frivolité dans les thèmes : l'Art se doit désormais d'être utile.

Perthes-lès-Hurlus, Champagne, octobre 1915, François Flameng.Les premiers sur le pont sont bien sûr les Peintres des Armées, héritiers des Vernet et Delacroix choisis depuis le XVIIe siècle pour « contribuer au renom des armées ».

Parmi les artistes sélectionnés en cette période de chaos, on trouve étrangement sur la liste pour l'année 1915 le nom de Paul Signac, pourtant connu pour son pacifisme. Il ne devait certainement pas faire partie des volontaires qui demandèrent au ministre de la Guerre de participer à des missions sur le front, dès décembre 1914.

Certains, comme François Flameng, passeront presque les 4 années de conflit du côté des premières lignes sans toucher salaire ni indemnité, voire même obligés d'assurer leur propre subsistance.

Le Ravitaillement dans les tranchées près de Lihons. Dans la Somme en 1916, François FlamengNombre de leurs images seront sélectionnées par les journaux, comme les portraits d'officiers à la Une de L'Illustration mais on peut leur préférer les œuvres de Georges Scott, véritable reporter de guerre. Engagé volontaire à 62 ans, ce proche de Degas, lui-même impressionniste et caricaturiste reconnu, rejoint en 1915 la fort efficace section du camouflage créée en août sous l'impulsion de Guirand de Scévola.

Décorateurs de théâtre mais aussi artisans du plâtre ou du bois y côtoient des dessinateurs comme Joseph Pinchon, père de Bécassine, et même un des fondateurs de l'Art déco, André Mare. Placés sous le signe du caméléon, leur emblème, ce sont près de 3 000 soldats et 10 000 civils à la fin de la guerre qui s'employèrent à dissimuler le matériel avec plus ou moins de talent.

Parmi eux se sont glissés quelques artistes cubistes, grands habitués du trompe-l'oeil et de la dislocation des formes. Picasso ne s'y trompa pas, lorsqu'il vit un premier canon camouflé, boulevard Raspail : « C'est nous qui avons fait cela »

L'apport de ce mouvement à l'effort de guerre fut cependant exagéré a posteriori, et l'on ne peut que constater que le gouvernement préféra largement employer des ouvriers spécialisés à la place des Fernand Léger et autres André Derain, recalés. L'art de la dissimulation était avant tout affaire de spécialistes.

Le Canon de 280 camouflé, André Mare, s. d., Péronne, Historial de la Grande Guerre.

On réécrit l'Histoire

Pendant que certains jouent du pinceau pour induire l'ennemi en erreur, pour d'autres ce sont les soldats et civils français qu'il faut tromper en cachant l'ampleur des souffrances au front.

Image censurée : Hôpital militaire à Saint-Maurice - le soldat Gilliot amputé des deux pieds étendu sur une chaise longue, 1916, Établissement de Communication et de Production Audiovisuelle de la Défense.Parfaitement organisée, la campagne de propagande se met en marche en même temps que les troupes. Il faut jouer sur le sentiment patriotique, caresser l'esprit de revanche, titiller l'orgueil et la peur de l'autre.

C'est ainsi qu'on commence par trier les images qui composent les reportages de guerre, spécialité née pendant la guerre de Sécession : les clichés dévoilant les secrets de stratégie, bien sûr, sont mis de côté, rejoignant dans les tiroirs ceux qui peuvent laisser deviner les souffrances humaines.

Le Comité de censure veille et la Section photographique de l'Armée, même si elle peut s'enorgueillir d'être le premier organisme au monde de production d'images officielles, doit dissimuler près de 8% de ses clichés. 

Belgrade, Christmas Fiddles, Lewis Hine, 1918, Rochester, George Eastman House Museum.Le reste de la presse n'a pas plus les coudées franches puisque la loi du 5 août 1914 autorise uniquement la publication des informations transmises par les autorités. De futurs grands noms de la photographie parviennent cependant à se faire connaître, à l'image de l'américain Lewis Hine.

Du côté du grand écran la liberté est aussi bridée pour le Service cinématographique des Armées dont les membres ne peuvent approcher du front et se voient réduits à mettre eux-mêmes en scène des batailles ou à se contenter de remises de médailles.

Affiche du film de René Hervil, Mères françaises, avec Sarah Bernhardt, 1917.Des centaines d'heures d'images sont toutefois tournées pour nourrir les actualités, très populaires depuis 1908. Elles précèdent lors des séances les « cinémadrames patriotiques » tels que Mères françaises, avec Sarah Bernhardt (1917) et les films de Pierre Feuillade dont la série comique Bout-de-Zan est mise à contribution : Bout-de-Zan veut s'engager (1914), Bout-de-Zan va-t-en guerre (1915) … 

Il faut donc que le public garde le moral et pas question que les artistes, comme à leur habitude, s'amusent à montrer les ravages de la guerre.

Sous l'impulsion d'une Commission des missions artistiques aux armées, créée en 1916, on incite les peintres à glorifier les troupes, quitte à réécrire l'Histoire. Combien de soldats ont été victimes d'un corps-à-corps lors de la reprise du fort de Douaumont, comme le représente le peintre académique Chartier ? 

« À mes chers parents... », dessin du journal Face aux Boches, 1917.

Montrer les êtres déchiquetés par les obus est moins romantique... On préfère chanter Verdun, on ne passe pas !, œuvre de 1916 dont les paroles sont sans nuance : « Fuyez barbares et laquais, / C'est ici la porte de la France, / Et vous ne passerez jamais ! » (chanson d'Eugène Joullot).

Les Gosses dans les ruines, spectacle du Théâtre des Arts, Francis Poulbot, 1918, Paris, musée des Arts décoratifs.Même les enfants sont invités à reprendre en choeur, sur l'air de Nous n'irons plus au bois, ce joli refrain inventé par Charles Moreau-Vauthier qui aimait réécrire à sa façon les contes pour tout-petits :
« Nous allons vers les bois par les Boches occupés ;
Les Poilus que voilà voudront nous appuyer ;
Sortez sur le ventre, voyez comme on rampe,
Rôdez, guettez, crevez les Boches que vous pourrez ! »
(Charles Moreau-Vauthier, Ronde)

Sur les planches, on n’est pas en reste avec des spectacles comme Les Gosses dans les Ruines (1918) présenté comme une « idylle de guerre » par son auteur Paul Gsell, secondé par le peintre Francis Poulbot, vulgarisateur des célèbres titis parisiens.

De toutes les couleurs

Pour reprendre l'expression popularisée par Albert Londres en 1914, le « bourrage de crâne » monte très rapidement en puissance dès les premières semaines du conflit.

On les aura ! », affiche, Abel Faivre, 1916.Dans un monde où le média souverain est encore la presse, les journaux sont vite mis à contribution, et l'on ne compte plus les militaires en retraite qui s'acharnent à donner une image brillante du conflit. C'est le cas du lieutenant-colonel Rousset qui dans le Petit Parisien s'enflamme pour l'avancée russe, comparée pour la première fois à un « rouleau compresseur » qui permet aux « Cosaques [d'être] à quinze jours de Berlin ! ».

Dans la bataille qui se joue pour la diffusion des versions officielles, le texte reste cependant secondaire face au pouvoir de l'image fixe qui vit alors son apogée. Comment échapper à ces affiches colorées qui s'étalent à tous les coins de rue ?

Diffusées par des entreprises privées qui font appel en majorité à des dessinateurs de presse, adoubées (ou non) par le préfet, ces images ont bénéficié d'une fièvre de création qui permet de faire passer certaines au rang de véritables œuvres d'art voire de phénomènes de société, avec des tirages de près de 200 000 exemplaires pour les plus populaires. Toutes les occasions sont bonnes pour faire passer avec emphase ou humour le message patriotique...

Publié ou mis à jour le : 2020-02-26 11:57:55

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