Histoire du vin

L'odyssée des vignobles français

À l’état sauvage, la vigne se satisfait de climats très variés, tant qu’il y a des étés suffisamment chauds et des hivers suffisamment frais. Cela explique que les Vikings aient trouvé de la vigne sauvage sur l’île de Terre Neuve vers l’an 1000, qu’ils ont appelée le Vinland. Cependant les fruits ne deviennent sucrés que dans les régions disposant d’étés chauds et secs, c’est-à-dire dans les climats méditerranéens. On y retrouve les 8 pays qui sont en tête de la production de vin aujourd’hui : Italie, Espagne et France, Etats-Unis avec la Californie, Australie, Chili et Argentine, et Afrique du Sud.

Vincent Boqueho

Les quatre qualités du vin

Même dans ces climats méditerranéens, la vigne sauvage s’avère peu productive. À partir de 9000 av. J.-C., les sociétés du sud-Caucase et du Proche-Orient ont commencé la sélection des meilleurs spécimens, jusqu’à finir par créer des variétés génétiques de plus en plus productives. C’est le point d’origine de toutes les vignes domestiques actuelles.

Foulage du raisin dans une cuve monolithique, fresque de la tombe de Nakht, 15ème siècle avant J.-C.Le succès du vin tient dans quatre qualités essentielles : le plaisir de goût, celui de l’enivrement auquel on a rapidement prêté une origine divine, des apports caloriques substantiels, et la faculté de purifier partiellement une eau qui pouvait souvent contenir des bactéries. Les cratères grecs étaient précisément conçus pour réaliser ce mélange de l’eau et du vin. La grande acidité des vins augmentait d’ailleurs leur efficacité tout en les rendant plus difficiles à boire purs.

D’abord confinée dans le Croissant Fertile de l’Égypte à la Mésopotamie, la vigne domestique a gagné la Grèce vers 2000 av. J.-C., peut-être en lien avec l’essor de la civilisation minoenne. Puis le grand effondrement de la fin de l’âge du bronze favorise des migrations qui transportent la vigne vers le sud de l’Italie et la Cyrénaïque.

Tasse à vin en or, héritière des poteries de Dikili Tash (Grèce), art mycénien, vers 1500 av. J.-C.À partir de 850 av. J.-C., ce sont les Phéniciens qui introduisent la vigne dans l’Afrique du Nord-ouest, au sud de l’Espagne et dans les Baléares. Les Grecs leur emboîtent le pas peu après en fondant des colonies sur la Mer Noire et au nord de la Méditerranée. La fondation de Marseille vers 600 av. J.-C. marque l’introduction de la vigne sur le sol français, et c’est ici que commence la saga des vignobles de France.

Dans un premier temps, les vignes restent cantonnées à proximité des colonies grecques et des oppidums connectés. La région entre Arles et Marseille apparaît alors comme un pôle de vigueur en tant que débouché des routes commerciales vers l’Europe du Nord. Puis vers 120 av. J.-C., la conquête romaine de la Gaule transalpine provoque un changement d’échelle radical. La vigne s’étend sur toute la côte, le long du Rhône jusqu’à Vienne, et au-delà de l’Aude jusqu’à Toulouse.

On constate que la viticulture épouse alors la zone de climat optimal. On se trouve au point de départ des côtes de Provence, côteaux du Languedoc, et côtes du Rhône, sans oublier les vins corses. La Gaule celtique, quant à elle, continue de boire essentiellement de la bière, la cervoise, à l’exception de l’élite qui importe du vin méditerranéen à grand prix en plus d’une petite production locale.

Fresque pour la promotion du vin dans une boutique intitulée Ad Cucumas, Herculanum (Italie). Agrandissement : Tonneaux sur une stèle de l'église Saint-Pierre-ès-Liens à Colonzelle (Drôme).

Là où sont les légionnaires...

En 51 av. J.-C., la conquête du reste de la Gaule par Jules César permet d’amorcer la diffusion de la vigne en direction de la Bourgogne et du Bordelais. La villa du Molard près de Donzère devient alors la plus grande exploitation viticole connue du monde antique.

Buste du XVIIIe siècle de la tête originale de Domitien, Paris, musée du louvre. Agrandissement : Buste de l'empereur Probus, Rome, muséees du Capitole.Le succès est tellement rapide qu’il met en péril les anciennes terres agricoles et entraîne des menaces de famine : en 92, l’empereur Domitien en vient à interdire toute nouvelle plantation de vigne en dehors de l’Italie.

L’expansion de la viticulture en Gaule connaît alors un coup d’arrêt jusque vers 280, lorsque l’empereur Probus encourage de nouveau son développement. L’ambiance vient de changer du tout au tout avec les invasions de l’anarchie militaire qui ont mis en péril l’empire lui-même.

Dorénavant, les empereurs vont passer leur temps à défendre les frontières, ce qui entraîne le développement des vignes le long du Rhin destinées à alimenter les légionnaires. D’autres exploitations plus limitées se développent dans les bassins de la Seine et de la Loire, et dans le sud-ouest. C’est la grande invasion de 407 qui va mettre un terme à cette première phase de prospérité.

Jeune femme offrant du vin à un sage, dynastie des Séfévides (Iran), vers 1650, New York, Brooklyn Museum.Tandis que l’empire d’Occident se meurt au Ve siècle, le christianisme se répand en apportant au vin une valeur plus spirituelle, en lien direct avec le fait que le pain et le vin formaient la base de l’alimentation au Proche-Orient depuis déjà de nombreux millénaires. En outre, les nombreux retours à la friche consécutifs à la chute démographique vont inciter les moines et plus encore les évêques à la perpétuation de cette pratique.

Par ailleurs, le rétrécissement des flux commerciaux pousse à planter les vignes en local à proximité de chaque église et abbaye : si les évêchés assurent l’essentiel de la transition au VIe siècle, les abbayes acquièrent un poids de plus en plus grand à partir du VIIe siècle, surtout dans le nord de la France. On remarquera en particulier l’extrême vitalité du cœur historique de la Neustrie. C’est ainsi que la vigne gagne l’ensemble du territoire pendant le Haut Moyen Âge.

Passoire liturgique destinée à filtrer le vin, gravée au nom d'Albinus, peut-être Aubin, évêque d'Auvergne, VIe siècle. Agrandissement : Vestiges du vignoble de l'abbaye Saint-Pierre d'Hautvillers (Marne).

Du vin pour l’Angleterre !

Cette nouvelle situation se maintient jusqu’au XIIe siècle qui marque un renouveau dans de nombreux domaines, en particulier viticole. C'est en Bourgogne que naît le premier Clos permettant l’essor de vins de qualité supérieure. La puissance des ducs de Bourgogne achèvera de faire la réputation des vins de la région à la fin du XIVe siècle.

En Aquitaine, le rattachement du duché au royaume d’Angleterre en 1154 entraîne un véritable boom dans la viticulture le long de la Garonne, du Lot et du Tarn. Bordeaux acquiert une importance de premier plan en tant que plaque tournante du vin à destination de l’Angleterre, et ses habitants en profitent pour émettre des restrictions aux vins du Haut-Pays afin de privilégier leurs propres vins à partir de 1241.

Vignoble du château du Clos de Vougeot (Bourgogne). Agrandissement : vignobles de la vallée du Rhône.

Le comté de Toulouse quant à lui est résolument tourné vers les vignobles du Languedoc et de la basse vallée du Rhône qui lui appartiennent jusqu’à la fin du XIIe siècle. Plus à l’est, on bascule sur les vignobles du comté de Provence. La vallée septentrionale du Rhône accroît son importance lors du rattachement du Dauphiné à la France en 1349. Enfin les vignobles d’Alsace se développent grâce à leur emplacement climatique optimal au sein du monde germanique.

En France, les vignobles du bassin de la Seine se maintiennent mais subissent une concurrence de plus en plus grande de la part des vins du sud qui va nécessiter une profonde remise en question à partir de la Renaissance. Le XVIe siècle est marqué par la mise en valeur de la vallée de la Loire. Si la région de Blois à Angers sert à alimenter la noblesse française, le pays nantais alimente quant à lui toute la Bretagne qui connaît alors une phase de grande prospérité.

Vignes de Clos Fourtet, terroir de Saint-Émilion. Agrandissement : vignes sur les toits de Paris.

Enfin des bulles !

Au XVIIe siècle, la demande en vin de l’Europe du Nord via le port de Bordeaux s’accroît encore avec le rayonnement des Provinces-Unies. Les producteurs charentais ont alors l’idée de distiller leurs vins pour améliorer leur conservation : c’est la naissance du cognac dont le succès devient très vite considérable. Les vins de l’Armagnac suivent la même évolution, mais dans un moindre volume. En parallèle, les premiers vins moelleux sont produits dans le Bordelais pour satisfaire aux goûts des Néerlandais.

Enseigne du Cabaret Au Lapin Agile (Montmartre). Reproduction d'après l'original peint par André Gill en 1875.À la fin du XVIIe siècle, l’invention de la bouteille en verre combinée à celle du bouchon en liège permet de créer des contenants capables de confiner les bulles de fermentation et de créer ainsi des vins effervescents. La première commercialisation est assurée par l’abbaye de Saint-Hilaire près de Limoux. Mais c’est surtout l’abbaye d’Hautvillers près d’Epernay qui va faire la réputation des vins mousseux, suite à l’impulsion de Dom Pérignon : le début du XVIIIe siècle marque la naissance du champagne.

Cela permet à cette région d’éviter le déclin des vignobles du nord de France à une époque où l’expansion du commerce redonne la préséance aux vignes méditerranéennes naturellement plus productives. En particulier, le Languedoc restera la région produisant la plus grande quantité de vin jusqu’à aujourd’hui. D’autres régions cherchent à se démarquer de façon plus originale, comme le Jura dont le vin jaune ne ressemble à aucun autre et connaît un grand succès à partir de 1874. Enfin les vins de Savoie se démarquent dans le sens où la région n’a été rattachée à la France qu’en 1860.

Le début du XXe siècle marque la naissance des Appellations d’Origine Contrôlée qui aident à mettre davantage en avant la qualité locale face à la concurrence des vins d’Espagne et d’Italie. Cela contribue à conforter le prestige des vins de France qui reste reconnu dans le Monde entier.


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Paradis artificiels
Publié ou mis à jour le : 2024-11-12 09:09:57

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