Entré dans les ordres sans vocation religieuse, Emmanuel-Joseph Sieyès, vicaire général à Chartres, se passionne pour les idées nouvelles et les questions sociales. Son flair politique va l'amener à jouer dans l'ombre un rôle capital au début comme à la fin de la Révolution française...
Un sens politique exceptionnel
Né à Fréjus le 3 mai 1748, dans la famille d'un maître de poste, Emmanuel-Joseph Sieyès entre au séminaire de Saint-Sulpice, à Paris. Il est ordonné prêtre en 1774 et accède assez vite à de hautes responsabilités dans l'administration des affaires ecclésiastiques. .
À la veille de la Révolution, en 1788, l'abbé se signale par un Essai sur les privilèges qui met en lumière l'inutilité sociale de l'aristocratie. Il souligne le mépris de celle-ci pour les classes populaires et le tiers état et sa tendance à vouloir s'en dissocier : « Je le vois, vous demandez moins à être distingués par vos concitoyens, que vous ne cherchez à être distingués de vos concitoyens ».
L'année suivante, en janvier 1789, il récidive avec une brochure de propagande révolutionnaire intitulée : Qu'est-ce que le tiers état ? dans laquelle on peut lire : « Qu'est-ce que le tiers état ? Tout. Qu'a-t-il été jusqu'à présent ? Rien. Que demande-t-il ? À devenir quelque chose ».
Il est élu député du tiers état de Paris aux états généraux et, le 17 juin 1789, convainc les députés de son ordre de se proclamer Assemblée nationale. On lui attribue le texte du serment du Jeu de paume (20 juin 1789) et bien d'autres écrits constitutionnels.
Lors de l'abolition des droits féodaux, pendant la nuit du 4 août 1789, il demande en vain que les anciens propriétaires soient indemnisés. « Ils veulent être libres et ne savent pas être justes », dit-il avec amertume de ses collègues députés.
Mauvais orateur, Sieyès vote la mort du roi Louis XVI mais se tient coi pendant les mois agités de la Convention.
À ceux qui lui demanderont plus tard ce qu'il avait fait en qualité de député pendant cette période de terreur, il répond laconiquement : « J'ai vécu » !
Mais après la tourmente, sous le Directoire, il revient magistralement sur le devant de la scène comme chef de file des révolutionnaires modérés et préside l'assemblée des Cinq-Cents après le coup d'État de Fructidor, qui a renversé la majorité royaliste, de retour dans les urnes (1797).
Enfin, le 16 mai 1799, il entre au Directoire, l'organe exécutif du régime.
Faisant partie des cinq membres du Directoire qui gouvernent tant bien que mal la France, Sieyès se rend compte que la République est à terme condamnée. L'opinion est lasse des palabres du « gouvernement des avocats ».
Fin politique, l'ex-abbé est persuadé que seul un général à poigne et auréolé de gloire peut en imposer aux parlementaires et sauver le régime issu de la Révolution. « Je cherche un sabre », dit-il à qui veut l'entendre.
Comme le général Joubert a été tué à Lodi le 15 août 1799, Sieyès reporte ses espoirs sur le général Moreau et lui fait des offres dans son bureau. L'Histoire raconte qu'à ce moment même, les deux hommes apprennent le débarquement à Fréjus de Napoléon Bonaparte, de retour d'Égypte. Moreau s'exclame aussitôt : « C'est votre homme, il fera l'affaire mieux que moi ! »
Sieyès et Bonaparte, qui ne sont pas faits l'un pour l'autre, ont de la peine à s'accorder. Ils n'en arrivent pas moins à instaurer de justesse le Consulat. Sieyès, qui a lancé la Révolution, a ainsi le privilège de la clore également, dix ans plus tard, en hissant Bonaparte au sommet de l'État. L'ex-abbé reçoit en guise de récompense le domaine de Crosne. Il sera plus tard, en 1809, fait comte d'Empire.
Réfugiè à Bruxelles à la chute de l'Empire, il ne rentrera en France qu'en 1830, à l'avènement de Louis-Philippe, fils d'un régicide comme lui.
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