De Gaulle

L'inlassable mainmise sur l’ORTF

À l’heure où les médias offrent le visage de la multiplicité des chaînes de télévision et des stations de radio, la dizaine d’années (1958-1969) durant laquelle le général de Gaulle a dirigé le pays relève de la préhistoire. Tant les méthodes qu’il a employées pour faire de la télévision un instrument docile au service de sa politique ne pourraient plus avoir cours de nos jours. Les archives et les témoignages des différents acteurs des débuts de la Ve République, témoignent de cette mainmise exercée sans aucun état d’âme.

Minerve sert d’indicatif de la télévision avec comme fond musical le Carnaval Romain de Berlioz. Première mire en 441 lignes de la Télévision Français à partir du 22 juillet 1949, procédé maintenu jusqu'en 1956.

Conception autoritaire et propagandiste

Certes, le cordon ombilical entre le gouvernement et la télévision existait déjà sous la IVe République puisque depuis 1945 la RDF (Radiodiffusion française) puis la RTF (Radio télévision française) étaient placées sous l’autorité du ministre de l’Information et d’un directeur général nommé par le gouvernement. Mais le gaullisme a porté à son paroxysme cette mainmise.

Préparatifs du discours de Charles De Gaulle à la télévision en présence de Jacques Anjubault, le 13 juin 1958 © INA Lorsque le général de Gaulle est rappelé au pouvoir en mai 1958 en homme providentiel sur les décombres d’une IVe République, il est d’autant plus sensible à l’impact de l’information que, depuis qu’il a fondé le RPF en 1947, il a été victime de l’ostracisme des gouvernements de la IVe République qui ont interdit la retransmission de ses déclarations sur les ondes de la RTF. En 1958, a-t-il une revanche à prendre sur ces médias qui lui ont été hostiles ? Sans doute.

Mais le contrôle implacable que de Gaulle va infliger à la télévision s’explique surtout par sa conception très politique du rôle de l’audiovisuel public comme l’explique Pierre Lefranc, alors son chargé de mission à l’Elysée pour l’Information : « Le Général pensait que la RTF devait être la voix de la France parce qu’elle était une administration de la République, et il ne comprenait pas qu’elle critiquât le gouvernement qui travaillait au redressement du pays. » (note). Et il ajoute : « Le Général souhaitait un rapport direct avec le pays et se méfiait beaucoup des intermédiaires en la matière. Il redoutait toujours que les journalistes mélangent les faits et leurs propres opinions. »

Charles de Gaulle entouré de René Cassin (à gauche), premier président du Conseil constitutionnel, et Michel Debré (à droite) en 1959, DR.

Debré en service commandé

L’homme qui sera chargé de mettre au pas la RTF est le Premier ministre, Michel Debré. Il le fera avec un zèle et une ardeur de tous les instants. Un statut de la RTF est adopté dès le 4 février 1959 ; il fait de celle-ci un établissement public de l’Etat, placé sous l’autorité du ministre de l’Information, doté d’un budget autonome, et dont le directeur général, son adjoint et les directeurs sont nommés en Conseil des ministres. Il n’existe pas de conseil d’administration. Le cordon ombilical entre le gouvernement et la RTF n’en est que plus lisse. Debré s’érige en pièce centrale d’un système pyramidal qui descend de l’Élysée, transite par Matignon d’où sont transmises les directives à la RTF, soit par des contacts avec le patron de la Radio-Télévision, soit par le truchement du ministre de l’Information.

Face à l’aggravation de la guerre en Algérie, Debré, mécontent du traitement de ce sujet dans les médias, frappe fort dans une note au chef de l’Etat, le 26 septembre 1960 : « J’ai pris la décision de diriger quasi directement, le directeur de la Radiodiffusion. Je lui ai donné des instructions précises, notamment en ce qui concerne l’information, et je continuerai à le faire (…) » Stupéfiant interventionnisme ! Jusqu’en 1962, les instructions de Debré ne feront que s’intensifier de manière frénétique. Quelques semaines après les premiers pourparlers officiels entre les nationalistes algériens et le gouvernement, en juin 1960, il écrit au ministre de l’Information, Louis Terrenoire, afin de conditionner l’opinion publique : « Il ne serait pas mauvais qu’à longueur de journée, lorsque les émissions de la RTF parlent de l’Algérie, il soit insisté sur cette idée que le Général de Gaulle a offert la paix dans les conditions les plus raisonnables, les plus généreuses et que ce sont les dirigeants su FLN qui la refusent. »

Ses consignes, qui ne se limitent pas à la guerre d’Algérie mais couvrent tout le champ de la politique intérieure, ne sont pas toujours suivies comme il le voudrait. Exaspéré, il s’en prend à Raymond Janot, directeur de la RTF : « Je me demande parfois à quoi servent mes coups de téléphone et mes lettres. J’ai écouté encore attentivement hier le journal à la Radio ou plutôt à la télévision. N’est-il pas possible de s’étendre moins longtemps sur les voyages de Ferhat-Abbas, les déclarations de tel ou tel fonctionnaire FLN au Caire ou ailleurs ? (…) » Au lendemain du « putsch des généraux », le Premier ministre, aux abois, tance son ministre de l’Information, Terrenoire : « L’information à la radio n’est pas dirigée (…) » Et il ajoute cette formule d’anthologie : « Je ne peux que vous exprimer ma tristesse ma colère devant une telle incapacité de la Radio à être simplement sereine, nationale, gaulliste. »

Mais Debré ne se contente pas de peser sur le contenu de l’information. Il entend nommer, déplacer, limoger les hommes dans le cadre d’un système de vases communicants entre le pouvoir et la radiotélévision au prix d’un manque total d’étanchéité entre l’un et l’autre. Quelques journalistes de la RTF travaillent parallèlement au ministère de l’Information. Le summum de ce mélange des genres est atteint le 4 mars 1960, à 20 heures, lorsque le ministre Terrenoire interroge lui-même à la radio le chef du gouvernement, Michel Debré, sur la politique agricole du gouvernement. Une pratique digne des démocraties populaires !

Une famille réunie devant un poste de télévision le 4 novembre 1960 à Paris regarde l'allocution du général de Gaulle.

Mais les Français ne sont pas dupes. Selon une enquête réalisée par l’Ifop à la fin de l’année 1962, « pour être bien informé d’un problème d’actualité, le public fait plutôt confiance à 29% au journal habituel, 27% à RTL ou Europe 1, 9% à la télévision, 9% à la radio officielle ». Enfin, lorsqu’on demande aux Français si l’influence du gouvernement est trop forte dans les émissions d’information et de télévision, ils sont 82% à répondre affirmativement.

Aux yeux de l’opinion publique, la RTF est discréditée. Les gaullistes ne renoncent pas pour autant à contrôler l’information. Ils vont y mettre davantage les formes en se faisant les chantres d’une certaine « libéralisation ». L’homme qui incarnera cette nouvelle stratégie au service d’une même politique, est Alain Peyrefitte, le secrétaire d’Etat à l’Information du gouvernement de Georges Pompidou nommé Premier ministre le 14 avril 1962. Cet énarque et normalien placide de 37 ans occupe aussi la fonction délicate de porte-parole, ce qui lui permettra de nouer une relation privilégiée avec le chef de l’Etat, notamment à l’issue de chaque Conseil des ministres. Lors de leur premier entretien, le 16 avril 1962, le Général se lance dans une longue diatribe comme le racontera plus tard Peyrefitte : « Notre radio, notre télévision, c’est monstrueux ! Les journalistes, réalisateurs, producteurs, techniciens sont à peu près tous des adversaires (…) Ils ont formé des soviets. Oui, cet établissement, qui devait être la voix de l’Etat en France et la voix de la France dans le monde, a été soviétisé (…) » Et de conclure par une consigne claire : « Ce je dont vous charge, c’est de nettoyer les écuries d’Augias. »

« ORTF libre » affiche appelant à la liberté de l’information ORTF, Paris, Archives nationales. En agrandissement, « Pas de rectangle blanc pour un peuple adulte ! », Carte postale, tract mai 1968, Paris, BnF.

La contestation gronde

La mainmise du pouvoir sur l’ORTF (Office de radiodiffusion-télévision française), qui a succédé à la RTF en 1964, n’empêche pas l’aura du Général de décliner comme le montre la présidentielle de 1965 au cours de laquelle il est contraint à un ballottage face à François Mitterrand. A l’occasion de la campagne électorale, de nouveaux visages d’opposants apparaissent dans la petite lucarne. Mais lorsque surgit Mai 68, le rôle assigné à l’ORTF de courroie de transmission du pouvoir gaulliste explose, et la radio et la télévision connaissent leur plus grave crise.

La censure s’exerce sans retenue. Les producteurs des émissions d’actualité et les syndicats de différentes professions de la télévision dénoncent alors « la carence scandaleuse dont a fait preuve l’information télévisée à l’occasion des récents événements ». Le 28 mai, devant l’incapacité du ministre de l’Information, Georges Gorse, à rétablir l’ordre dans une ORTF sens dessus dessous et en proie aux grèves, de Gaulle lui lance : « Foutez-les tous à la porte ! »

Lorsque le Président de la République reprend la main après la grande manifestation gaulliste du 30 mai, Georges Pompidou remanie son gouvernement et remplace Georges Gorse, par « le jeune loup », Yves Guéna, qui licencie les quatre plus hauts responsables de l’ORTF, pourtant gaullistes, pour les remplacer par …d’autres gaullistes. Durant l’été, un grand coup de balai licencie 37 journalistes de télé et 22 de radio, en mute 22 autres et en met 6 en congé spécial. Jusqu’à la démission du Général, le 28 avril 1969, l’information oscille entre pressions du pouvoir et autocensure des journalistes avant que ne se referme une page de l’histoire de la télévision qui aura mécontenté aussi bien ses professionnels que le pouvoir politique.


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La Ve République
Publié ou mis à jour le : 2021-02-04 18:37:43

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