6 décembre 2010

L’immigration, ça coûte ou ça rapporte ?

Le rapport remis par le laboratoire «l’Equippe» (Université de Lille) du professeur Xavier Chojnicki au Ministère des Affaires sociales en juillet 2010 concluait que «les immigrés sont une excellente affaire pour l’État français. Ils rapportent une grosse douzaine de millions par an et paient nos retraites», selon un article du journal Madrilène ABC, repris par Courrier International n° 1048 du 2 au 8 décembre 2010.

Ces résultats paraissent contredire les travaux de Jean-Paul Gourévitch, consultant international, spécialiste de l’Afrique et des migrations, auteur de L’immigration ça coûte ou ça rapporte ? (Larousse 2009) et des trois monographies publiées par l’association Contribuables Associés de 2008 à 2010 (téléchargeables sur le site www.contribuables.org) qui estime le déficit annuel de l’immigration à 30,4 milliards d’euros.

Les phénomènes migratoires sont des phénomènes historiques que nous ne pouvons ignorer ; aussi lui avons-nous demandé de réagir à ce rapport et d’expliquer les écarts constatés.

Tout d’abord, le rapport de l'équipe lilloise s’intitule : «Migrations et protection sociale : étude sur les liens et les impacts de court terme». Il ne traite pas de l’ensemble des coûts de l’immigration.

Les journalistes qui titrent sur «les bons comptes de l’immigration» (Direct matin du 2/12/2010) n’ont pas véritablement lu le document de 206 pages que j’ai sous les yeux... ou voudraient tellement que l’immigration soit positivée qu’ils prennent leur désir pour la réalité.

Le professeur Chojnicki lui-même a recommandé la prudence vis-à-vis d’«extraits diffusés hors contexte» compte tenu de la «forte incertitude, liée au type de données ainsi qu'à la méthodologie utilisées».

Un tabou levé

Il est salutaire que des chercheurs de l’Université française se soient mis au diapason de ceux qui, outre-Atlantique ou dans les autres pays européens, ont depuis longtemps publié ou lancé des études sur cette question sensible, comme le montre la bibliographie du rapport. La Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration dont j’ai moi-même applaudi à la création dans les colonnes d’Herodote.net, et les revues spécialisées comme Hommes et Migrations ou Migrations Société ignorent ce débat par peur de donner du grain à moudre aux xénophobes.

Quant au défunt Ministère de l’Immigration, il avait promis de confier à un organisme indépendant une étude sur «le coût des migrations irrégulières» qui sortirait en septembre 2010. Nous l’attendons toujours.

Reste qu’il faut s’interroger sur le rapport de «l’Equippe», le corpus et les méthodes utilisés et la fiabilité des résultats obtenus qui contredisent de fait les conclusions de la quasi-totalité des autres études publiées. Le plus simple paraît être de confronter ses résultats avec ceux que j’ai publiés dans la monographie de Contribuables Associés : «le coût de la politique migratoire de la France», sortie en mars 2010.

Des populations différentes

Ventilation du corpus
Étude Lille Monographie CA
Public considéré






Données de référence
Immigrés nés à l’étranger vivant en France en situation légale




Ensemble de la communauté d’origine étrangère vivant en France en situation légale ou non
Enquête «Budget des ménages» de 2006 sur 10.000 ménages résidant en France métropolitaine soit 2.310 immigrés adultes sur 19.752 personnes (11,7%)




Population métropolitaine de 62,9 millions de résidents au 1/1/09 dont 7,7 millions d’origine étrangère (12,2%)

 

Non seulement le corpus est différent dans sa composition et son année de référence, mais l’étude de Lille s’appuie sur les données quantitatives des recensements de l’INSEE qui ne traitent que ceux qui peuvent ou veulent l’être, laissant de côté, selon l’INSEE lui-même, entre 1,5 et 3% de la population parmi lesquels un grand nombre d’immigrés et de leurs enfants.

Les dépenses de protection sociale

On se reportera au tableau ci-dessous :

Dépenses (mds d’€)
Étude Lille Monographie CA
Vieillesse

Santé-invalidité

Emploi

Allocations familiales

RMI-Exclusion

Total
16,3

11,5

5

6,7

1,7

41,2
20,95

23,1

5,23

5,90

3,46

58,64

 

Au-delà de l’actualisation faite par la monographie sur près de 3 ans, qui justifie l’augmentation du poste vieillesse et de la précarité, la différence la plus importante est celle du régime santé-maladie. Selon l’INSEE, «malgré leur moins bon état de santé déclaré, les immigrés ont autant, voire un peu moins dans le cas du généraliste, recours au système de santé que les autres.»

La communauté d’origine étrangère, enfants compris - c’est ce qui fait le plus gros de la différence -, représentant 12% de la population métropolitaine, la part imputable à l’immigration est de 19 milliards sur 158. À quoi il faut ajouter les prestations invalidité et accidents y compris les pensions militaires et celles liées aux contaminations par l’amiante. Sur 37,2 milliards d’euros, les immigrés en reçoivent 4,1 milliards soit un total de 23,5 pour le poste santé.

À ces coûts, le rapport de Lille ajoute deux postes, celui des dépenses d’éducation pour 4,2 milliards d’euros et celui des aides au logement pour 2,5. Pour nous, ces chiffres ne sont pas des dépenses d’immigration mais des investissements relevant de l’intégration. C’est à ce titre que nous les avons comptabilisés pour 5,7 milliards d’euros. D’où le tableau suivant :

Dépenses (mds d’€)
Étude Lille Monographie CA
Protection sociale

Education et aides logement

Total
41,2

6,7

47,9
58,64

5,7

64,34
Des coûts de la protection sociale aux coûts de l’immigration

En aucun cas, ces coûts ne représentent la totalité des dépenses laissées à la charge des finances publiques par l’immigration.

Il faudrait en effet y ajouter la partie des coûts sociétaux et fiscaux (travail illégal, fraude, contrefaçon, prostitution…) qui relève de l’immigration (13,65 milliards d’euros), les coûts de structure de l’ex-Ministère de l’immigration, ceux de l’aide médicale d’État, ceux des rétentions et des reconduites et de façon plus générale les coûts sécuritaires, soit un total de 5,24 milliards d’euros, celui de l’accueil de 270.000 étudiants étrangers pour 1,87 milliard d’euros, voire la part de l’Aide Publique au Développement en direction des pays d’origine de l’immigration qui vise à freiner le désir d’émigrer (investissement de 4,259 milliards d’euros).

Au total, cela représente 79,4 milliards d’euros de dépenses et 10 milliards d’investissements soit une charge pour l’État de 89,4 milliards, supérieure aux 47,9 milliards du document de Lille.

Les recettes

Elles apparaissent ci-dessous :

Recettes en milliards d’euros
Étude Lille Monographie CA
Impôts et taxes à la consommation

Impôts sur le revenu

Autres impôts (IS, ISF…)

CSG-CRDS

Cotisations sociales

Fiscalité locale

Total recettes

Transferts de fonds

Plus value pour PIB

Total général
18,4

3,4

3,3

6,2

26,4

2,6

60,4

/

/

60,4
18,65

3,81

5,84

4,37

8,38

7,79

49

4,82

5

58,82

Au delà de totalisations peu différentes, il existe des distorsions significatives sur les postes.

De même que nous avons comptabilisé les investissements, nous en avons mesuré la rentabilité, c’est à dire la plus-value en terme de PIB que le travail des immigrés apporte à l’économie nationale et les transferts de fonds qu’ils opèrent vers les pays d’origine qui, théoriquement, contribuent par le développement de ces derniers à freiner le désir d’émigration (en pratique ce sont plus des dépenses de consommation que des créations d’emplois ou des investissements).

Le grand écart (rapport 3 sur 1) sur les cotisations sociales s’explique par plusieurs facteurs :
- La sous-estimation par l’Université de Lille du chômage. Sa base de calcul repose sur un échantillon dont le taux de chômage national est de 5,94% et celui des immigrés de 10%, en décalage important avec les chiffres fournis par l’INSEE en 2009 et qui aboutissement à un chômage de 13,2 des immigrés actifs, ce qui se répercute sur les chiffres des recettes.
- Le fait que les immigrés travailleurs sont considérés par Lille comme des migrants en situation régulière acquittant les mêmes taux de cotisations patronales et salariales que les autochtones, ce qui ne tient pas compte de l’importance du travail illégal, des diverses fraudes ni des cotisations parfois prélevées par les patrons mais non reversées.

Résultats opposés mais diagnostics convergents

Nous n’avons trouvé dans le rapport aucune justification précise des quelque 12,4 milliards d’euros de bénéfices pour les finances publiques sinon page 122 : «En appliquant à chacun des paiements nets par âge et par origine la structure de la population pour l’année 2005, on en déduit l’impact net instantané des populations immigrées et autochtones au budget des Administrations Publiques (APU). La contribution nette globale de l’immigration au budget des APU serait ainsi positive et de l’ordre de 12 milliards d’euros pour l’année 2005. Dès lors, pour l’année 2005, un immigré aurait effectué un paiement net de l’ordre de 2250 euros, contre un peu plus de 1500 euros en moyenne pour un autochtone».

Il s’agit non pas ici d’un calcul scientifique mais d’une extrapolation faite sur l’année 2005 à partir d’un échantillon de population, qui de plus contredit totalement les écarts de salaires relevés par l’INSEE entre immigrés et autochtones. C’est pourtant cette affirmation qui fait la une des médias.

Pourtant, le diagnostic de l’équipe du professeur Chojnicki et le nôtre convergent sur les points suivants :
- La France est un des pays les plus généreux d’Europe en matière d’accueil et de financement de l’immigration.
- Par rapport aux autochtones, les migrants natifs du Maghreb et d’Afrique subsaharienne qui constituent la majorité de notre immigration actuelle sont «1,6 et 1, 7 fois plus nombreux à recevoir des allocations chômage, 3,8 et 3,9 fois plus représentés parmi les bénéficiaires du RMI, et 2,5 fois plus dépendants des aides au logement».
- Le retour à l’équilibre des finances publiques passe par un encadrement plus serré des migrations de peuplement et une augmentation de l’immigration de travail qualifiée qui diminuerait le déficit des retraites.

Encore faudrait-il que les médias, au lieu de mettre en exergue des titres et des chiffres qui plaisent à leurs rédacteurs mais ne correspondent pas à la réalité de ce qui est écrit, aient le courage de faire de l’information sur les aspects économiques de l’immigration (et aussi sur ceux de l’émigration), ce qui dans une année pré-électorale est peu probable.

Jean-Paul Gourévitch
Publié ou mis à jour le : 2020-05-09 11:37:09

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