Romain Gary, ce sont d'abord des yeux bleus, une moustache élégante, une passion tragique pour une femme-enfant d'Hollywood et une énorme mystification littéraire.
C'est aussi l'épopée des as de la Seconde Guerre mondiale, un roman initiatique sur l'Afrique et le sauvetage des éléphants, le souvenir oppressant d'une mère à l'amour dévorant et un petit garçon en quête d'avenir, Momo.
À l'occasion de la sortie du film tiré de son roman La Promesse de l'aube, remettons un peu d'ordre dans cette vie pleine de fureur et de surprises.
Naître au cœur des périls
Il ne fait pas bon venir au monde en 1914, à Wilno (Vilnius) aux marges de l'empire russe, dans une famille juive. Dès l'année suivante, voici déjà le petit Roman Kacew sur les routes, dans les bras de sa mère Mina, pour fuir l'avancée allemande, tandis que son père Arieh, florissant artisan fourreur, a été mobilisé.
Réfugiée chez ses parents à Sweciany, à la frontière russe, Mina a certainement été emmenée vers l'est, comme 600 000 juifs, accusés d'être des espions. En 1918, Arieh est le premier à revenir à Wilno mais ne trouvant pas sa famille, il finit par s'installer avec une jeune femme, Frida, dont il aura deux enfants.
En 1921, le retour de Roman et sa mère dans une ville désormais polonaise est donc difficile. Mina, fascinée par la France depuis sa rencontre avec des comédiens, s'installe dans un immeuble baptisé « Le Petit Versailles » et s'improvise modiste « de Paris ». Elle ne craint pas de présenter sa boutique comme la seule succursale du célèbre couturier Paul Poiret dans le pays. Et pour cause...
En fait l'appartement est au fond d'une cour du vieux quartier juif, vétuste et sale, et les commandes sont rares.
Mina peine à subvenir à leurs besoins mais ne perd pas une occasion d'emmener son fils au cinéma ou de le pousser à dévorer Victor Hugo, Alexandre Dumas ou Jules Verne.
Rien n'est trop beau pour son petit garçon qui, elle en est convaincue, va aller au-devant d'un grand destin dans cette France qu'elle vénère et dont elle lui fait apprendre par cœur les paroles de La Marseillaise.
Il sera officier, consul, voire ambassadeur ! Mais définitivement abandonnés par Arieh en 1924, mère et fils doivent fuir les dettes et les clientes mécontentes ou pingres. Ils gagnent Varsovie où ils ont de la famille. Pas d'inquiétude : c'est juste un nouveau départ, une première étape sur la route de Paris !
Elle sera de courte durée : face à la malveillance et la jalousie que font naître cette femme seule et ce collégien trop doué, il faut refaire ses maigres valises et se lancer dans une hasardeuse traversée de l'Europe. Direction : la côte d'Azur !
L'Eldorado français ?
Mais comment accéder enfin au paradis français lorsqu'il faut une multitude d'autorisations pour entrer sur le territoire ? Simple ! Il suffit d'expliquer que le petit Roman souffre terriblement (d'une simple angine...) et les portes du pays du soleil et de la liberté s'ouvrent ! C'est ainsi qu'en août 1928, Mina rejoint son frère installé depuis peu à Nice et s'empresse d'inscrire son cher Roman au lycée Masséna, celui de Guillaume Apollinaire et René Cassin.
Pour survivre, elle va faire du porte-à-porte et vendre la vieille argenterie rapportée de Pologne avant de pouvoir devenir gérante d'une modeste pension. C'est son fils qui la baptise : Mermonts.
Roman est certes doué pour le français, mais il n'y a guère autre chose qui l'intéresse, à l'exception peut-être du tennis et des filles, et il ne décroche son bac philo qu'avec un décevant « passable ». Mais comme les élèves sont finalement peu nombreux à l'obtenir, on l'accueille sans problème en droit à la faculté d'Aix puis à celle de Paris où il devient, à grand peine, licencié.
Pour la première fois, il s'éloigne de sa mère mais avec l'ambition qu'elle a su lui transmettre. C'est ainsi qu'il suit une préparation militaire qui devrait lui permettre de devenir aviateur et endosser ce si bel uniforme qui ferait si plaisir à Mina !
En attendant, il s'essaye à l'écriture et commence à fréquenter le milieu littéraire de la capitale. 1935 est une année faste : le voici naturalisé français et la revue Gringoire publie une de ses nouvelles en première page, rapidement suivie par une seconde ! À 21 ans, Roman s'approche à grands pas de la gloire et sa mère peut décorer l'entrée de sa pension avec ses manuscrits.
La déception est d'autant plus grande quand, quelques mois plus tard, celui qui se voyait déjà l'égal de Joseph Kessel et André Malraux voit sa nouvelle production refusée partout. Il faut trouver un autre moyen d'entrer dans la postérité.
Dans La Promesse de l'aube, Romain Gary revient sur l'amour sans faille de sa mère qui l'a porté pendant toute son enfance et sa jeunesse.
« Ma mère vint me dire adieu à Salon-de-Provence [où il fait son service militaire en 1938 ] […].
- Il faut attaquer tout de suite, me dit-elle.
Je dus paraître un peu surpris, parce qu'elle précisa :
- Il faut marcher tout droit sur Berlin. […]
J'ai toujours regretté, depuis, qu'à défaut du général de Gaulle, le commandement de l'armée française ne fût pas confié à ma mère. Je crois que l'état-major de la percée de Sedan eût trouvé là à qui parler. Elle avait au plus haut point le sens de l'offensive, et ce don très rare d'inculquer son énergie et son esprit d'initiative à ceux-là même qui en étaient le plus dépourvus. Qu'on veuille bien me croire lorsque je dis que ma mère n'était pas femme à demeurer inactive derrière la ligne Maginot, avec son flanc gauche complètement exposé.
Je lui promis de faire de mon mieux. Elle parut satisfaite et l'expression rêveuse revint sur son visage.
- Tous ces avions sont découverts, remarqua-t-elle. Tu as toujours eu la gorge sensible.
Je ne pus m'empêcher de lui faire remarquer que si tout ce que je risquais d'attraper avec la Luftwaffe était une angine, j'aurais vraiment de la veine. Elle eut un petit sourire protecteur et m'observa avec ironie.
- Il ne t'arrivera rien, dit-elle tranquillement.
Son visage avait une expression de confiance absolue, de certitude. On aurait dit qu'elle savait, qu'elle avait conclu un pacte avec le destin, et qu'en échange de sa vie manquée, on lui avait offert certaines garanties, fait certaines promesses. [...]
Au cours des derniers jours qui avaient précédé sa mort, elle avait écrit près de deux cent cinquante lettres, qu'elle avait fait parvenir à son amie en Suisse. Je continuai donc à recevoir de ma mère la force et le courage qu'il me fallait pour persévérer alors qu'elle était morte depuis plus de trois ans. Le cordon ombilical avait continué à fonctionner ». (Romain Gary, La Promesse de l'aube, 1960).
L'errance de la guerre
Guynemer et Mermoz ont tracé le chemin : ce sera l'aviation. Mais, en cette année 1939, l'administration ne voit pas les choses du même œil, et l'élève-officier Kacew, sans doute encore trop peu français, est le seul de sa promotion à ne pas être reçu à l'examen. Lorsque la guerre éclate, il est donc toujours simple caporal et ne deviendra sous-lieutenant qu'en 1941. (...)
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Voir les 8 commentaires sur cet article
Thierry86 (24-12-2017 12:10:27)
Cela tombe bien, je suis dans la lecture de Romain Gary, et notamment avec son témoignage de cette mère hors-norme. L'affection d'une mère peut être entendue sans limite... enfin jusqu'à un certa... Lire la suite
Ornitho (23-12-2017 11:18:22)
Merci pour cet article intéressant, permettant de découvrir, ou mieux comprendre cette personnalité étonnante. Un conseil: la lecture du récent "Un certain M. Piekielny" de François-Henri Désé... Lire la suite
Yves L (21-12-2017 19:02:48)
Autres sens d'Ajar: En Anglais, se dit d'une porte entrouverte, mais aussi d'un état de désaccord avec le monde (!)