Moïse Maïmonide (1138 - 1204)

L’homme qui a transformé le judaïsme

Statue de Moïse Maïmonide à Cordoue.Certains disent de lui qu’il a été le plus grand penseur juif de tous les temps, après Moïse bien entendu. On en a même conçu un dicton : « De Moïse (de la Bible) à Moïse (du temps de Saladin), il n’y en a pas eu de semblable à Moïse ». Quoiqu’il en soit, Moïse fils du rabbin Maïmon, né en 1135 à Cordoue, en Andalousie, a eu une influence considérable sur le judaïsme.

Il reste cependant un personnage mystérieux, puisque le monde juif comme celui de la philosophie, continuent à s’interroger plus de 800 ans après sa mort sur les tenants et les aboutissants d’une pensée complexe et… toujours d’actualité.

Alain Michel

Une vie paisible troublée par l’arrivée des Almohades

Au début du XIIe siècle, l’âge d’or de l’Espagne des trois religions n’est déjà plus qu’un souvenir. Tout juste peut-on encore parler d’un « âge d’argent » durant lequel, si les relations entre intellectuels, poètes et philosophes restent ouvertes, les rapports au quotidien entre les populations se sont déjà dégradés, suite à l’expansion de la Reconquista et au repli des royaumes arabes sur l’Andalousie. Les communautés juives sont donc dispersées entre les terres des royaumes chrétiens et l’Espagne musulmane. C’est le cas de Cordoue où grandit le jeune Moïse qui sera connu plus tard sous le nom de Maïmonide.

Scène de la Reconquista, Alphonse X, Cantigas de santa Maria, manuscrit, Castille, vers 1260-1270, Paris, BnF.

Son père est juge au tribunal rabbinique et jouit d’une réputation qui s’étend au-delà de la ville. Ce père s’aperçoit rapidement des dons intellectuels de son fils et l’entoure de maîtres et d’enseignants réputés, juifs et musulmans, qui lui transmettent tant le savoir traditionnel que les mathématiques ou la philosophie. Vers l’âge de 16 ans, Moïse écrit un premier ouvrage consacré aux termes théologiques et, pendant presque trois décennies, son père et son frère vont s’arranger pour que sa formation intellectuelle puisse s’accomplir sans qu’il ait à se soucier des questions matérielles.

Des ambassadeurs castillans tentent de convaincre le roi almohade Abu Hafs Umar al-Murtada de rejoindre leur alliance (détail), scènes du manuscrit d'Alphonse X, Cantigas de santa Maria, manuscrit, Castille, vers 1260-1270, Paris, BnF.La guerre vient bousculer ce qui aurait pu être une vie paisible en « El Andalous ». En 1147, l’Espagne musulmane est en effet envahie par des guerriers fondamentalistes issus du Haut-Atlas marocain, au sud de Marrakech.

Les Almohades, en Arabe « al-Mowaḥḥidoun » (ceux qui proclament l’unité divine) ont pour programme de retourner à la pureté des sources de l’Islam, de redynamiser les royaumes du sud de l’Espagne et de s’opposer à la Reconquista chrétienne. Ils ne reconnaissent pas aux gens du Livre, les chrétiens et les juifs, le droit de vivre dans leurs croyances et tentent de leur imposer l’islam.

À la suite de cette invasion, la famille du juge Maïmon est obligée d’errer dans le sud de l’Espagne, de refuge en refuge. On perd plus ou moins ses traces pendant une dizaine d’années avant de les retrouver en 1160 à Fès, au Maroc, en plein Maghreb almohade. Cependant, il semble qu’à Fès, les conditions de vie pour les Juifs soient meilleures, et nous savons qu’une communauté mozarabe (chrétiens originaires d’Al Andalous) s’y trouvait également. La présence de la fameuse université Al Quaraouiyine est sans doute également un facteur de tolérance et d’ouverture, et c’est dans son cadre que le jeune Maïmonide étudie la médecine.

Porte de la casbah Almohade des Oudayas à Rabat au Maroc. L'agrandissement montre l'université Al Quaraouiyine située à Fès, au Maroc.

D’après certaines sources, la famille de Maïmonide se convertit superficiellement à l’Islam, et en tout cas, Maïmonide lui-même écrivit plus tard une épître consacrée aux conversions forcées à l’islam dans laquelle, du fait de la proximité des deux religions, il autorise les juifs qui y ont été contraints à revenir au judaïsme. Maimonide commence donc vers l’âge de trente ans à avoir une certaine autorité en matière de loi. Malgré tout, en 1165, suite à l’assassinat par la populace d’un des leaders de la communauté juive de Fès, Rabbi Yéhouda Hacohen, la famille du rabbin Maïmon s’enfuit du Maroc pour rejoindre Saint-Jean-d’Acre, alors port principal des États francs de Palestine.

Ruines de la ville de Fostat (ou Fustat) fondée par le général du califat Rashidun Amru ibn al-As à la suite de la conquête de l’Égypte par les Arabes en 641. Maïmonide et sa famille ne restent que six mois en Terre sainte, et sans doute pour des raisons économiques, après avoir visité Jérusalem et Hébron, ils décident de s’installer en Égypte. Le frère de Maïmonide, David, s’occupe en effet de commerce international et parcourt le Golfe persique et s’aventure jusqu’aux contrées de l’océan Indien, lieux qui sont atteignables beaucoup plus facilement depuis l’Égypte que depuis le royaume des Croisés. Ils s’installent donc à Alexandrie puis, après la mort du rabbin Maïmon, à Fostat, la vieille ville du Caire, qui à l’époque est encore séparée de la ville neuve.

Maïmonide a déjà publié quelques commentaires, essentiellement sur des questions juridiques qui lui sont posées. Mais c’est en 1168 qu’il publie le premier de ses trois ouvrages majeurs, sur lequel il travaillait depuis plusieurs années, un commentaire de la Mishna, la partie la plus ancienne du Talmud, fondement du judaïsme. Pour comprendre l’originalité de sa démarche, il nous faut replonger au cœur de la « loi orale » développée par le judaïsme rabbinique à la fin de la période du Second Temple et durant les premiers siècles de l’ère chrétienne…

Conversations autour du Talmud, scènes 1 et 2, Carl Schleicher, XIXe siècle.

La Mishna de nouveau indépendante

Au Ier siècle avant notre ère, les maîtres du courant pharisien ont proposé et mis en place un système dynamique de la loi juive, qui explique pourquoi le judaïsme rabbinique pourra traverser les siècles en gardant une continuité de la tradition tout en s’adaptant aux conditions changeantes imposées tant par l’histoire que par les tribulations inhérentes à l’exil.

À côté de la loi écrite biblique, les premiers rabbins ont créé une loi orale reposant sur la controverse et l’interprétation. Vers l’an 200 de notre ère, ces premières générations de maîtres ont mis par écrit une sorte de code, la Mishna, fruit des disputes et les joutes qui se sont déroulées pendant les trois siècles précédents.

Lecture du Talmud, Adolf Behrman, début XXe siècle, collections Institut historique juif de Varsovie.Cependant, ce qui aurait dû être un ensemble cohérent de lois devient à son tour l’objet de polémiques et d’interprétations. Vers 500, un nouvel ouvrage paraît, le Talmud, comprenant à la foi le code synthétisé vers 200, la Mishna, et les nombreux commentaires, tant juridiques que moraux, accumulés par les rabbins de Galilée et de Babylonie. Finalement, la loi judaïque apparaît comme le fruit d’élaborations successives à partir de la Mishna, qui perd ainsi son statut d’ouvrage indépendant et cohérent ; elle n’est plus que la première strate du Talmud.

Se détachant de cet arrière-plan, Maïmonide renouvelle les approches. Il sera ainsi le premier depuis près de 1000 ans à redonner un statut d’indépendance à la Mishna. Ensuite, son commentaire sera rédigé non en hébreu, comme la Mishna, mais en arabe littéraire, la langue intellectuelle de son époque. Enfin, disséminés dans son ouvrage, certains passages relèvent davantage de la réflexion philosophique et morale que du commentaire juridique.

Moïse Maïmonide, Commentaire de la Mishnah en judéo-arabe, entre 1125 et 1175, Bibliothèque nationale d’Israël.

La réputation de Maïmonide devient telle qu’en 1171 il est nommé chef de la communauté juive de Fostat, et plus tard, rabbin de l’ensemble du Judaïsme égyptien. Dès l’année suivante, il tente d’intervenir au Yémen où se déroulent des persécutions contre les Juifs. Il écrira à cette communauté une épître restée célèbre, dans laquelle il leur apporte consolation et espoir.

Grand Rabbin à Sanaa, Yémen, 1905. L'agrandissement montre des femmes et des enfants juifs à Sanaa, 1905, mahJ, DR.La communauté du Yémen se sentira désormais attachée par une fidélité sans faille à la personnalité et aux approches juridiques et théologiques de Maïmonide. En 1948, après la création d’Israël et la fuite vers le nouveau pays juif de l’ensemble de la communauté juive yéménite, celle-ci emportera avec elle des manuscrits des œuvres de Maimonide, dont certains datant du XIIe siècle.

C’est alors qu’il se trouve au sommet de cette reconnaissance en tant qu’intellectuel et maître du judaïsme, qu’un drame le frappe. En 1177, son frère David disparaît dans les eaux de l’Océan indien, au cours d’un voyage commercial. C’est une tragédie personnelle, bien sûr. Les deux frères étaient extrêmement liés. Pendant plusieurs mois, Maïmonide entre dans une véritable dépression, qu’il analysera plus tard scientifiquement, se servant de son expérience pour écrire un traité sur les soins à donner à l’âme. Mais la disparition de David est également un drame économique pour la famille de Maïmonide.

Maïmonide représenté sur une plaque du bâtiment de la faculté de médecine de Paris, DR. L'agrandissement montre un portrait de Maïmonide au centre Médical de Rambam, Haifa, Israël.

Maïmonide contraint de devenir médecin

Non seulement jusqu’ici l’aventure intellectuelle de Maïmonide avait été totalement soutenue par les succès commerciaux de son frère mais dans le naufrage ont disparu les valeurs que David avait empruntées pour financer son expédition. Comme cela se fait alors, c’est la famille qui est collectivement responsable du remboursement des dettes. De même que de nombreux intellectuels de l’époque, Maimonide avait appris la médecine et il se met donc à l’exercer.

Financièrement, la situation se rétablit, mais jusqu’à la fin de sa vie, Maïmonide aura un emploi du temps extrêmement chargé. Devenu médecin à la cour de Saladin, proche des milieux officiels, il occupe une position clé pour représenter l’ensemble des Juifs habitants le territoire de cet important souverain qui mettra fin en 1187 au royaume des croisés lors de la bataille des cornes de Hattin.

Maïmonide, Manuscrit arabe concernant les préconisations médicales pour le sultan. L'agrandissement montre une page du Traité des Hémorroïdes par Maïmonide, manuscrit hébreu du XIVe siècle.Vers la fin des années 1190, Maïmonide, dans une lettre adressée à Samuel Ibn Tibon, son traducteur qui habite à Lunel, près de Montpellier, décrit son quotidien véritablement harassant : « Je séjourne à Mitsraïm [Fostat], tandis que le sultan se tient au Caire, qu’environ deux kilomètres et demi séparent. J’ai de très lourdes obligations envers le roi. Dès que le jour se lève, je dois lui rendre visite. (…) je ne rentre à Mitsraim qu’en fin d’après-midi. Lorsque j’y arrive, affamé, je constate que mon antichambre est pleine de monde. Ceux qui s’y trouvent appartiennent à tous les peuples ; il y a parmi eux des notables et des roturiers ; des juges [musulmans] (..) Je vais ensuite les examiner, leur prescrire des traitements. Et jusqu’à la nuit - parfois même, je te l’affirme devant la Loi, jusqu’à près de trois heures du matin – les entrées et les sorties ne cessent plus chez moi. »

Malgré cela, Maïmonide ne ralentit pas son travail intellectuel. En 1180, il publie son deuxième grand ouvrage, le « mishné torah », la répétition de la Torah. Il s’agit d’un code de loi, mais là encore, Maïmonide fera preuve d’originalité. Rédigeant son code en utilisant un hébreu de l’époque de la Mishnah, afin que tous puissent le comprendre, il ne se contente pas d’y placer les lois en usage en temps d’exil, comme le feront tous ceux qui dans le monde juif rédigeront un code de loi après lui.

Son code contient en effet l’ensemble des prescriptions de la tradition juive, qu’elles soient d’actualité ou non. De plus, contrairement à l’usage, il ne donne aucune source pour ses décisions, mais demande à ses lecteurs de lui faire la plus entière confiance.

Maïmonide, le Mishné Torah (1180), édition enluminée à Pérouse, vers 1400, collection de la bibliothèque nationale israélienne.

Dans son introduction, il va jusqu’à affirmer qu’il est suffisant de posséder dans sa bibliothèque un exemplaire de la Bible, la loi écrite, et un exemplaire de son code, qui résume de la meilleure façon l’ensemble de la loi orale. Enfin, comme dans le commentaire de la Mishna, les considérations philosophiques et morales apparaissent sporadiquement au milieu des commandements juridiques.

Illustrations d'un exemplaire rare de Mishneh Torah, acheté conjointement par le Met à New York et le Musée d'Israël à Jérusalem.La première des 14 grandes parties est consacrée d’ailleurs aux connaissances qui doivent précéder l’action, comme la connaissance de Dieu, l’obligation de l’étude, l’interdiction de l’idolâtrie ou encore la question du repentir.

Le code se termine par la question du Messie et, reprenant des considérations talmudiques sur le sujet, il explique que les temps du messie ne sont pas des temps miraculeux où les lois naturelles n’auront plus court, mais que la seule différence avec ces temps-ci est d’ordre politique, le peuple juif recouvrant son indépendance et sa terre. 

Un point intéressant : c’est également dans les dernières pages du livre que Maïmonide attribue une influence bénéfique à Jésus et à Mahomet qui, même si leurs doctrines ne sont pas parfaites, ont fait reculer l’idolâtrie dans le monde.

Dix ans plus tard, en 1190, paraît son troisième grand ouvrage, le Guide des égarés. Livre philosophique, ou plutôt qui utilise la philosophie pour remettre en place les vérités du judaïsme, il est a priori destiné aux intellectuels qui se sentent en tension entre les vérités scientifiques et philosophiques, d’une part, et les affirmations du judaïsme, d’autre part. Mais ce livre, censé remettre en place les croyances chez ceux qui ont des hésitations, a été construit par Maïmonide comme un véritable labyrinthe, plein de contradictions, et sans que les clés en soient explicites.

Maïmonide et le messie

Contrairement à ce que pensent nombre de mystiques, Juifs ou non-juifs, Maïmonide n’avait pas une conception « miraculeuse » de la venue du messie, en qui il voyait avant tout une figure politique. Comme l’illustre ces xtraits des deux chapitres qu’il consacre à la messianité, tout à la fin de son code de lois, le Mishné Torah (la répétition de la Torah) :
« Le roi messie dans l’avenir se lèvera et rétablira la royauté de David dans son état antérieur, dans son premier gouvernement. Et il construira le Temple et rassemblera les exilés d’Israël. Et tous les jugements dans son temps se remettront comme avant. (..) Et tout celui qui ne croit pas en lui, ou celui qui n’attend pas sa venue, ce n’est pas seulement l’ensemble des prophètes qu’il renie, mais également la Torah et Moïse notre maître. Car la Torah a témoigné du messie, comme il est dit : (Deut. XXX, 3-5)
«  Alors le seigneur ton Dieu reviendra avec tes captifs, il aura pitié de toi et te rassemblera à nouveau d’entre tous les peuples parmi lesquels le seigneur t’aura dispersé. Serais-tu exilé à l’extrémité des cieux, de là ton seigneur ton Dieu te rassemblerais, de là il te prendrait ».
(..) Que ton cœur ne croit pas qu’aux temps du messie il y aura quelque chose dans les habitudes du monde qui sera annulé, ou encore qu’il y ait un renouvellement de la création. Mais le monde continuera comme d’habitude. Et ce qui est annoncé dans Isaïe (XI, 6) «  et le loup habitera avec la brebis, et la panthère avec le chevreau » c’est une parabole et une énigme. Son objet est de dire qu’Israël sera en sécurité avec les méchants idolâtres, qui sont comparés au loup et à la panthère, comme il est dit (Jérémie, V, 6) «  le loup des steppes arides s’acharne sur eux, la panthère est tapie près de leurs villes ». Et tous reviendront vers la vraie foi, et ils ne voleront pas et ils ne seront pas corrompus, mais ils mangeront ce qui est autorisé en paix avec le peuple d’Israël, comme il est dit (Isaïe, XI, 7) «  et le lion, comme le bœuf, se nourrira de paille ». Et ainsi toutes les descriptions concernant le messie sont des paraboles, et au temps du roi messie s’expliqueront les paraboles et à quel objet elles font allusions.
(..) Les sages ont dit qu’il n’y a pas de différence entre ce monde-çi et les temps messianiques si ce n’est uniquement la soumission aux peuples. » 
(Le Mishné Torah, traduction originale d’Alain Michel)

Manuscrit du Guide des égarés, Yémen, XIIIe ou XIVe siècle.

« Une pomme d’or dans un réticule de fils d’argent »

Si l’on suit l’interprétation qu’en a donné Léo Strauss, Maïmonide désirait exposer les « secrets de la Torah », l’acte de la création – la Cosmogonie, et l’acte du char – la théosophie, car il était persuadé que ces « secrets » avaient été perdus du fait des tribulations du peuple juif. Mais comme le Talmud interdit de transmettre ces secrets en public, et que le rôle du maître se réduit à confirmer ce que l’élève à de lui-même compris, Maïmonide a destiné le Guide à ceux, très petite minorité, qui peuvent deviner son architecture secrète.

D’autre part, dans l’introduction à son ouvrage, Maïmonide a comparé l’ouvrage « à une pomme d’or dans un réticule de fils d’argent ». Ceux qui ne peuvent lire le guide que d’une manière exotérique verront les fils d’argent et en seront illuminés. Ceux qui seront capables d’en saisir le niveau ésotérique découvriront la vérité profonde, symbolisée par la pomme d’or.

Une copie du manuscrit du Guide des égarés par Maïmonide réalisée par Ferrer Bassa en 1348 à Barcelone.Nul doute que depuis 800 ans le Guide des égarés constitue un ouvrage d’inspiration profonde pour réfléchir sur le judaïsme, la pensée universelle et la condition humaine, quelles que soient les conclusions auxquelles les uns et les autres ont abouti.

Déjà de son vivant, plusieurs polémiques avaient commencé à se faire jour dans les communautés juives, car même si Maïmonide avait parfois cherché à camoufler le fond de sa pensée, certaines affirmations étaient trop éloignées du judaïsme classique pour que les partisans d’un immobilisme de la pensée ne réagissent point.

Après sa mort, durant environ une centaine d’années, certaines communautés juives iront jusqu'à s’entredéchirer. Et la violence des échanges ne se restreindra pas toujours aux joutes oratoires.

En pleine croisade contre les Albigeois, le rabbin Salomon, de Montpellier obtint que les exemplaires du Guide des égarés, condamné pour rationalisme anti-religieux, soient brûlés par l’Inquisition. Finalement, la stature de Maïmonide était suffisamment importante pour qu’il soit maintenu à l’intérieur du judaïsme consensuel, même si pendant longtemps des limitations existèrent sur l’étude de certaines de ses œuvres.

Maïmonide meurt en 1204 à Fostat. Il est enterré à Tibériade, la ville où avait été finalisée la Mishna, mille ans auparavant. Il laisse une œuvre immense dans les domaines les plus variés, y compris la médecine, la logique ou les mathématiques.

En guise d’épitaphe, reprenons cette analyse du rabbin David Novak, de l’université de Toronto : « Maïmonide était convaincu que la tâche humaine la plus élevée, des premiers humains dans le jardin d'Eden aux justes du monde à venir, était de poursuivre la vérité. Ici et maintenant, cette poursuite doit être menée dans l'ordre créé, qui comprend les communautés historiques dans lesquelles nous vivons et des membres desquels nous avons appris à parler, surtout à propos de Dieu. Cet ordre créé se compose des découvertes de la raison et de ce que la révélation enseigne. La façon dont nous comprenons notre monde et la façon dont nous comprenons la révélation est la même. Un tel processus de compréhension ne doit accepter aucune obscurité des autorités du passé. L'intellect humain est libre de planer tant qu'il comprend qu'un objectif attend ses efforts et qu'il est responsable envers les autres humains engagés de la même manière - où et quand ils se trouvent. »

La tombe de Maïmonide à Tibériade, en Israël. On peut lire sur la pierre l’épitaphe désormais connu : « De Moïse jusqu’à Moïse, il ne se leva aucun homme comme Moïse. » L'agrandissement montre la structure métallique représentant une couronne qui surplombe le tombeau.

Maïmonide et l’évolution

Pour Maïmonide, le monde est dynamique et il a été conçu comme une perpétuelle évolution, y compris dans le cas de la société humaine, car la nature humaine ne supporte pas le changement. Pour l’illustrer, dans la troisième partie du Guide des égarés, il prend l’exemple des sacrifices, un sujet dont il avait pourtant abondamment traité dans son code de loi. Depuis des siècles, les commentateurs se disputent autour de ce type de contradictions dont toute son œuvre est parsemé.
« Beaucoup de choses dans notre loi ont été réglées d’une manière semblable par le suprême régulateur. En effet, comme il est impossible de passer subitement d’une extrême à l’autre, l’homme, selon sa nature, ne saurait quitter brusquement toutes ses habitudes. Lors donc que Dieu envoya Moïse, notre maître, afin de faire de nous, par la connaissance de Dieu, « un royaume de prêtres et un peuple saint » (ex. 19, 6,) (..) c’était une coutume répandue, familière au monde entier, - et nous même avions été élevés dans ce culte universel – d’offrir diverses espèces d’animaux dans ces temples où l’on plaçait les idoles (..) En conséquence, la sagesse de Dieu … ne jugea pas convenable de nous ordonner le rejet de toutes ces espèces de cultes, leur abandon et leur suppression ; car cela aurait paru inadmissible à la nature humaine, qui affectionne toujours ce qui lui est habituel. (..)
Cette prévoyance divine eut pour résultat d’effacer le souvenir du culte idolâtre et de consolider le grand et vrai principe de notre croyance, à savoir l’existence et l’unité de Dieu, sans que les esprits soient rebutés et effarouchés par l’abolition des cérémonies qui leur étaient familières et hors desquelles on n’en connaissait point. » 
(Le guide des égarés, traduction de Salomon Munk, Verdier, 1979)

Publié ou mis à jour le : 2020-07-29 09:23:15

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