Héros méconnu de la Révolution française, Toussaint Louverture réalise à 50 ans passés le rêve des Lumières en arrachant la liberté des esclaves aux planteurs de Saint-Domingue (aujourd'hui Haïti).
Cette guerre de libération, la première qui arrive à ses fins, survient dans la colonie la plus riche de l'hémisphère occidental.
Spartacus haïtien
François Toussaint est né dans l'habitation Bréda, une plantation sucrière proche du Cap-Français, la grande ville du nord de la colonie. On croit savoir que c'est le fils d'un chef africain du Bénin qui a été déporté comme esclave. Son lieu de naissance lui vaut d'être d'abord appelé Toussaint à Bréda.
L'enfant bénéficie de la protection du gérant de la plantation, Baillon de Libertat, ce qui lui permet de ne jamais travailler dans les champs mais dans la maison de son maître. Il s'occupe des bêtes, devient cocher et, à 33 ans, en 1776, obtient d'être affranchi.
Il épouse une jeune noire libre, Suzanne Simon-Baptiste, qui a déjà un enfant métis, Placide. Le couple s'installe dans une plantation de 13 hectares, avec une vingtaine d'esclaves, ce qui lui vaut une honnête aisance. Il aura au moins deux enfants, Isaac et Saint-Jean.
L'ancien esclave apprend à lire et écrire. Sans doute prend-il connaissance d'un livre fameux de l'abbé Raynal, l'Histoire des Deux Indes où l'on peut lire : « Il ne manque aux nègres qu'un chef assez courageux pour les conduire à la vengeance et au courage. Où est-il, ce grand homme, que la nature doit peut-être à l'honneur de l'espèce humaine ? Où est-il ce Spartacus nouveau, qui ne trouvera point de Crassus ? Alors disparaîtra le Code noir. Et que le Code blanc sera terrible, si le vainqueur ne consulte que le droit de représailles ».
Toussaint est un catholique fervent, réputé aussi pour ses talents médicaux et sa connaissance des herbes médicinales. Mais bien que libre et étranger au culte vaudou, il se montre bouleversé par l'insurrection des esclaves du Bois-Caïman, dans la nuit du 22 au 23 août 1791, à l'initiative d'un prêtre vaudou. C'est ainsi qu'il rejoint les insurgés. Ceux-ci battent la campagne sous les ordres de plusieurs chefs fantasques, Boukman ou encore Georges Biassou.
Le 27 novembre 1791, trois commissaires débarquent au Cap. Ils amènent de Paris un décret par lequel l'Assemblée nationale revient sur l'égalité des droits accordée le 15 mai précédent aux hommes de couleur nés de parents libres. Du coup, les mulâtres libres se rangent du côté des esclaves noirs. La guerre civile menace de se généraliser quand survient un nouvel ordre de Paris : par la loi du 4 avril 1792, la Législative accorde la citoyenneté à tous les « libres de couleur ». Au terme de ces volte-face successives, qui excluent toujours la libération des esclaves, la colonie sombre dans l'anarchie. Les blancs ne tiennent plus guère que les villes avec le concours incertain des mulâtres.
Toussaint, quant à lui, poursuit son combat avec les esclaves révoltés, aux côtés du chef Georges Biassou. Il fait très vite la preuve de son courage ainsi que de ses talents de stratège. Le surnom de L'ouverture ou Louverture s'ajoute à son nom en raison de la bravoure avec laquelle il enfonce les brèches !
Général galonné
L'Espagne étant entrée en guerre contre la République française en janvier 1793, les chefs insurgés se laissent séduire par les propositions du gouverneur de la partie espagnole de l'île de Saint-Domingue (aujourd'hui la République dominicaine). Ils entrent à son service avec des titres ronflants et de beaux uniformes. C'est ainsi que Toussaint Louverture se voit propulser général.
La colonie française, troublée par la guerre civile, est en même temps assaillie par les Espagnols et les troupes de Toussaint Louverture d'un côté, la flotte anglaise de l'autre.
En désespoir de cause, les commissaires de la République promettent le 21 juin 1793 la liberté aux esclaves qui combattrainet à leurs côtés. Puis le commissaire Léger-Félicité Sonthonax accorde la liberté à tous les esclaves de la province nord le 29 août 1793 et étend la mesure aux provinces ouest et sud le 4 septembre.
Le général en chef Étienne Laveaux obtient enfin de la Convention qu'elle vote le décret d'abolition de l'esclavage qui permettra de rallier les noirs. C'est chose faite le 16 pluviôse An II (4 février 1794).
Toussaint, qui supporte mal de passer derrière Biassou et comprend que les Espagnols ne sont pas prêts à libérer les esclaves, choisit de rejoindre le camp républicain avec ses hommes.
Il combat désormais aux côtés du général Laveaux avec le grade de général de division. Il chasse les Anglais, devient le gouverneur de la colonie, encourage les planteurs à revenir et oblige ses frères de couleur à travailler comme salariés dans les plantations dont ils étaient auparavant les esclaves.
Fort de ses succès, il s'empare de la partie espagnole de l'île et se désigne Gouverneur général à vie le 8 juillet 1801, avec le droit de désigner son successeur. N'ayant plus qu'un lien virtuel avec l'ancienne métropole, il administre son île en toute indépendance et conclut même des accords de commerce avec les États-Unis et la Grande-Bretagne.
Ce gouvernement n'est pas de tout repos. Les lieutenants de Louverture, Jean-Jacques Dessalines, Christophe et son propre neveu Moyse sont à couteaux tirés. Moyse, chargé de maintenir l'ordre dans la région du nord, ne peut empêcher le massacre de 200 blancs. Louverture, qui le soupçonne de vouloir s'emparer du pouvoir, le fait arrêter et juger par un tribunal commandé par un général blanc. Le jeune homme est exécuté le 25 novembre 1801.
Le gouverneur, au sommet de la puissance, respecté par les blancs comme par les affranchis de couleur est sans illusion sur sa position. À une blanche de la haute société qui le prie de devenir le parrain de son fils, il oppose un refus poli. Il comprend que la femme est seulement motivée par le désir d'obtenir une place pour son mari et que son fils pourrait plus tard pâtir de ce parrainage...
À Paris, le Premier Consul Bonaparte n'accepte pas les velléités autonomistes de Toussaint Louverture et son irritation déborde quand, en février 1802, il reçoit de celui-ci une lettre intitulée : « Du Premier des Noirs au Premier des Blancs ».
Extrait : « Je vis cette malheureuse île en proie à la fureur des factieux. Ma réputation, ma couleur, me donnèrent quelque influence sur le peuple qui l'habite ; et je fus, presque d'une voix unanime, appelé à l'autorité. [...] En me renversant, on n'a abattu, à Saint-Domingue, que le tronc de l'arbre de la liberté des Noirs, il repoussera par les racines parce qu'elles sont profondes et nombreuses. »
Décidé à le remettre à la raison, Bonaparte lui envoie une puissante armée de 25 000 hommes sous les ordres de son beau-frère Leclerc.
Le 2 mai 1802, peu après la capitulation de la forteresse de Crête-à-Pierrot, Toussaint Louverture, traqué, propose sa soumission à Leclerc et obtient de se retirer sur l'une de ses plantations. Mais il est finalement arrêté le 7 juin suivant, à la suite d'une dénonciation de son lieutenant Jean-Jacques Dessalines.
Il est incarcéré dans le Jura, au fort de Joux (département du Doubs), l'un des endroits les plus froids de France, séparé de sa famille et simplement accompagné de son vieux domestique Mars Plaisir, lequel finira sa vie à Haïti. Toussaint Louverture est interrogé par le général Auguste Caffarelli sur son rôle à Saint-Domingue, également sur un hypothétique trésor. Victime du froid et du dénuement, il ne tarde pas à tomber malade et mourir.
Entretemps, à Saint-Domingue, les esclaves et les « libres de couleur » se sont une nouvelle fois soulevés après qu'ils eussent appris le rétablissement de l'esclavage en Guadeloupe par le général Richepanse. Sous la conduite de Dessalines et Christophe, ils vont avoir raison des troupes de Leclerc et Rochambeau. En devenant indépendante le 1er janvier 1804, Haïti consacre la victoire posthume de Toussaint Louverture.
Bibliographie
On peut lire sur Toussaint Louverture une biographie fouillée de Pierre Pluchon (Fayard, 1989). À noter aussi l'étude brillante d'Aimé Césaire : Toussaint Louverture, La Révolution française et le problème colonial (Présence africaine, 1981).
Vos réactions à cet article
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AYDA (09-10-2023 03:31:50)
Je ne connaissais pas Toussaint L'ouverture. Je m'empresse d'acheter le livre d Aime Cesaire. Merci à ce site si enrichissant pour la culture générale.
Domon (08-10-2023 09:48:59)
Le fort de Joux où Toussaint Louverture est décédé est situé dans le département du Doubs.