Hymnes nationaux

L’Histoire en chantant

Joués ou entonnés lors des commémorations officielles, des réunions politiques ou des évènements sportifs, les hymnes nationaux sont une tradition récente. Grâce à leur puissance émotionnelle, ces chants, souvent écrits par d’obscurs anonymes, ont été élevés au rang de symboles nationaux sacrés. Leur histoire, qui remonte parfois à plusieurs siècles, est souvent méconnue.

Julien Colliat

Joueur d'aulos et sa famille devant Dionysos et Artémis, v. 360-350 av. J.-C., Glyptothèque de Munich.

De lointaines origines

Parce qu’ils sont rassembleurs et faciles à retenir, les chants sont utilisés depuis l’Antiquité comme support d’un message. La vocation première des hymnes est religieuse. Des milliers d’entre eux sont retranscrits dans le Rig-Véda, un des textes sacrés de l’hindouisme. On en trouve également dans l’Ancien Testament avec les cantiques et les psaumes.

En Grèce, les hymnes sont d’abord dédiés aux dieux, comme les dithyrambes qui célèbrent la naissance de Dionysos, avant d’honorer les héros et les batailles du passé. Lorsqu’ils sont en marche ou face à l’ennemi, les soldats grecs se donnent du courage en entonnant des chants appelés péans qui impressionnent les adversaires. On les chante aussi après les victoires, en gage de remerciements. Cette coutume est reprise par les légions romaines.

Au Moyen Âge, l’Église place le chant au seul service de la religion. Il s’agit uniquement d’exprimer la beauté de Dieu. Avant ou pendant les batailles, les chevaliers de la chrétienté entonnent des chants grégoriens, comme les antiennes qui sont des refrains liturgiques à deux chœurs.

Composée au XIIe siècle en l’honneur de la Vierge, l’antienne Salve Regina gagne une immense popularité. Ce chant en latin deviendra même au XVIIIe siècle l’hymne du royaume de Corse sous le nom de Dio vi salvi Regina.

Le Wilhelmus, doyen des hymnes nationaux

Il faut attendre la Renaissance pour voir apparaître en Europe des chants profanes à vocation politique, à l’origine des premiers hymnes nationaux. Ils ne sont plus écrits en l’honneur de Dieu mais des souverains ou des chefs politique et militaire.

Le plus vieil hymne national est créé aux Pays-Bas au début de la Guerre de Quatre-Vingts Ans. En lutte contre Philippe II d’Espagne, les sécessionnistes calvinistes néerlandais entonnent un chant de guerre en l’honneur de Guillaume d’Orange-Nassau, chef de la révolte, comparé au roi David. Il est interprété lors du siège de Haarlem en 1573 puis à l'occasion de l'entrée de Guillaume à Bruxelles, cinq ans plus tard.

Siège de Haarlem - Exécutions par les Espagnols, Frans Hogenberg, entre 1573 et 1590, Amsterdam, Rijksmuseum.

Intitulé Wilhelmus, ce long poème, dont l’auteur n’est pas connu, a la particularité d’être un acrostiche, les premières lettres de chacun des quinze couplets formant, en néerlandais, le nom de Guillaume de Nassau. Quant à la mélodie, plutôt douce pour un chant de guerre, elle serait d’origine française et aurait été composée lors du siège de Chartres, en 1568.

Malgré son immense popularité, le Wilhelmus ne sera pas choisi comme hymne national à la naissance du royaume des Pays-Bas en 1815, par égard pour les catholiques belges. Il le deviendra finalement un siècle plus tard, en 1932.

God Save the King, l’hymne monarchique

Au XVIIe et XVIIIe siècle, les hymnes des monarques européens restent des musiques religieuses. Dans les églises, lorsqu’un souverain assiste à l’office, il est d’usage de chanter une prière musicale appelée motet. Les rois de France sont ainsi accueillis par le chant Domine salvum fac regem (Seigneur sauve le roi).

À partir de 1745, la monarchie britannique est la première à adopter un hymne à vocation nationale : God Save the King. L’origine de ce chant demeure mystérieuse et plusieurs compositeurs s’en sont vu attribuer la paternité. L’hypothèse la plus vraisemblable, mais aussi la plus piquante, demeure celle d’un plagiat d’un cantique composé pour Louis XIV.

En janvier 1687, le Roi-Soleil, tout juste opéré d’une grave fistule anale, rend visite aux religieuses de Saint-Cyr. La supérieure générale de l'institution, madame de Brinon, accueille le roi avec une prière qu'elle a elle-même écrite pour la guérison du roi :
Grand Dieu, sauvez le roi,
Grand Dieu, vengez le roi, Vive le roi !
Qu'à jamais glorieux,
Louis victorieux.
Voye ses ennemis,
Toujours soumis.

Cette prière est mise en musique par Lully et devient un cantique populaire : Dieu sauve le roi. Lors d’un passage à Saint-Cyr, Georg Friedrich Haendel, musicien officiel de la cour d'Angleterre, l’aurait entendu et s’en serait largement inspiré pour écrire un hymne en l'honneur de George Ier. L’anecdote sur l’origine de l’hymne vaudra plus tard ce bon mot à la marquise de Créquy : « Que l’hymne des Anglais naquit d’un anus, voilà qui ne cesse de me faire rire sans toutefois me surprendre. »

Dès le milieu du XVIIIe siècle, God Save the King est joué dans les théâtres et les salles de spectacle lors des représentations publiques. Il sera adopté officiellement par le Royaume-Uni en 1825 et ne sera jamais modifié depuis. Seul le mot « king » est remplacé par « queen » lors de l’avènement d’une souveraine, ce qui heureusement n’altère ni la rime, ni la métrique du texte.

Solennel et majestueux, God Save the King séduit nombre de cours européennes qui le reprennent dans les cérémonies officielles, parfois sans en changer les paroles : en Prusse, en Suède, au Danemark, en Russie et même dans les cantons suisses ! L'hymne du Liechtenstein est aujourd’hui encore God Save the King.

Le Ranz des vaches : le chant interdit

L’une des premières identifications d’une nation à un hymne apparaît au XVIIIe siècle au sein des Gardes suisses. Selon les chroniqueurs, un air traditionnel helvétique, le Ranz des vaches, déclenchait un tel mal du pays pour les soldats originaires de la région de Gruyères (canton de Fribourg), que ceux-ci étaient tentés de déserter et rentrer chez eux chaque fois qu’ils l’entendaient. Le chant fut non seulement interdit à Versailles mais passible de la peine de mort pour le soldat qui l’entonnait sur un champ de bataille.

La Marcha Real, l’hymne sans paroles

Troisième plus vieil hymne du monde, la Marcha Real (Marche royale) est choisie en 1770 comme marche d’honneur par Charles III d’Espagne et interprétée dans toutes les cérémonies officielles. Cette marche militaire sans paroles, appelée à l’origine Marche des grenadiers serait peut-être un vieil air français, ramené de France par Philippe V, premier Bourbon à monter sur le trône d'Espagne.

Supprimé durant la République, la Marcha Real est réintroduite par Franco qui lui redonne son nom originel et la dote même de paroles, écrites par le poète José Maria Peman. Celles-ci seront toutefois supprimées à la mort du dictateur.

La Marseillaise, l’hymne républicain

Hymne des armées révolutionnaires, La Marseillaise est l’ancêtre de tous les hymnes nationaux modernes. Avec elle, et pour la première fois, l’exaltation de la patrie remplace celle du souverain. Elle n’était pourtant à l’origine qu’un énième chant de guerre.

Rouget de Lisle composant la Marseillaise, Auguste de Pinelli, 1875, Vizille, musée de la Révolution française.Le 25 avril 1792, cinq jours après la déclaration de guerre de la France à l’empereur d’Autriche, le maire de Strasbourg offre un grand dîner et demande à un jeune officier du génie, Claude Rouget de Lisle, d’écrire un chant de guerre patriotique. Celui-ci y travaille toute la nuit, s’inspirant au passage d’une proclamation apposée sur les murs de la ville par le club des Jacobins : « Aux armes, citoyens ! L'étendard de la guerre est déployé, le signal est donné ! »

Le Chant de guerre pour l’armée du Rhin, comme il est d’abord appelé, est imprimé à Strasbourg et se répand dans le pays comme une traînée de poudre. Il est rapidement adopté par les volontaires de Marseille qui le popularisent en montant vers la capitale et qui lui donneront finalement son nom.

Chantée lors de la prise des Tuileries, la Marseillaise supplante rapidement les chants purement révolutionnaires comme La Carmagnole ou Ça ira et s’impose comme l’hymne de la jeune république. Après la bataille de Valmy, où Goethe, présent, la compare à un cantique, le général Servan, ministre de la Guerre, ordonne que le chant soit joué face aux troupes victorieuses en guise d'hommage.

Sous la Convention, la Marseillaise est officiellement proclamée « chant national de la République ». Rouget de Lisle, incarcéré comme suspect sous la Terreur, est réhabilité et honoré. À partir du Consulat, les souverains successifs, inquiets de la force subversive de l’hymne, feront tout pour le proscrire. Napoléon qui reconnaît que « La Marseillaise a été le plus grand général de la République » lui préfère la Marche consulaire et Veillons au salut de l'Empire.

Louis XVIII tente de la remplacer par une chanson royaliste, Vive Henri IV, puis Charmante Gabrielle, écrite en l’honneur de Gabrielle d'Estrées. Louis-Philippe cherche à imposer un chant d'origine allemande, La Parisienne. Quant à Napoléon III, il choisit Partant pour la Syrie, une romance écrite par sa propre mère, Hortense de Beauharnais !

Jean Béraud, La Marseillaise, 1880.

Durant cette période de proscription, la Marseillaise fait figure de chant de ralliement républicain et est entonnée sur les barricade à chaque épisode révolutionnaire. Lors des journées de 1830, le jeune Hector Berlioz réorchestre l’hymne et obtient la bénédiction de Rouget de Lisle.

Il faut attendre 1879 et la présidence de Jules Grévy pour que, sur proposition de Gambetta, la Marseillaise soit reconnue hymne national de la France. Et c’est à la demande du général Boulanger, ministre de la Guerre, qu’une commission présidée par le compositeur Ambroise Thomas déterminera une partition et un texte officiels de La Marseillaise.

Enfin, le 14 juillet 1915, date doublement symbolique, les cendres de Rouget de Lisle sont transférées aux Invalides, consacrant définitivement la Marseillaise. Celle-ci continuera à être chantée durant les grands mouvements insurrectionnels du XXe siècle, de la révolution bolchévique aux manifestations de la place Tian'anmen, en passant par le printemps de Prague ou les révolution latino-américaines.

L’hymne polonais célèbre Bonaparte

Un deuxième hymne découle directement de la Révolution française : celui de la Pologne. Il est la conséquence du partage de 1795 qui fait disparaître l’ancienne république des Deux Nations au profit de la Prusse, la Russie et l’Autriche.

Juliusz Kossak, Le général Jan Henryk D?browski menant les troupes polonaises en Italie, 1882, Wroclaw, Institut national d'Ossoliski.Pour libérer leur pays, les patriotes polonais vont se tourner vers la jeune république française, alors en guerre contre les monarchies européennes. En 1797, durant la campagne d’Italie, des officiers polonais se mettent au service de la France au sein de la Légion polonaise, commandée par le général Jan Henryk Dabrowski. Au mois de juillet, un officier, Jozef Wybicki, écrit un chant en l'honneur des soldats polonais partant au combat, sur une mazurka traditionnelle.

Baptisé Mazurka de Dabrowski, le chant gagne le cœur des soldats polonais. Son texte exalte l'idée d'une Pologne indépendante et célèbre Bonaparte, vu en libérateur tant espéré du pays.

Une fois maître de l’Europe, Napoléon se contentera de créer un éphémère et modeste duché de Varsovie. Mais les Polonais ne lui en tiendront pas rigueur et lorsque la Pologne recouvrera son indépendance au terme de la Première Guerre mondiale, c’est la Mazurka de Dabrowski qui sera choisie pour devenir l’hymne officiel du pays, aujourd’hui le seul au monde à célébrer un chef d’État étranger.

La guerre anglo-américaine fait naître la Star-Spangled Banner

En 1812, une guerre singulière entre deux démocraties éclate entre les jeunes États-Unis et le Royaume-Uni, sur fond de différends commerciaux. En septembre 1814, forts d’une série de victoires, les Anglais espèrent porter le coup fatal aux Américains en prenant la ville de Baltimore, voisine de Washington.

Francis Scott Key le matin après le bombardement de Fort McHenry, Percy Moran, Washington, Bibliothèque du Congrès.Alors que la flotte britannique stationne au large du fort McHenry, verrou qui protège la ville, un jeune avocat, Francis Scott Key, se rend en chaloupe jusqu’à l’un des navires anglais pour négocier la libération d’un prisonnier. Sa requête est acceptée mais il est contraint de rester à bord du bateau, le bombardement du fort McHenry étant imminent.

Le 13 septembre, les Anglais ouvrent le feu et tentent un débarquement. La bataille fait rage toute la nuit mais les assaillants échouent à prendre le fort. Quand le jour se lève, Key découvre que le drapeau américain au sommet des remparts est en lambeaux mais flotte toujours.

Poète à ses heures perdues, il sort de sa poche une vieille enveloppe et griffonne d'un seul jet un poème en l’honneur de l’étendard et des hommes qui se sont battus pour lui : The Star-Spangled Banner (La Bannière parsemée d'étoiles).

Le poème est publié dans plusieurs journaux et rencontre un vif succès. Pour l’immortaliser, Kay demande qu’il soit entonné sur l’air de The Anacreon in Heaven (Pour Anacréon au paradis), une chanson à boire anglaise, hymne d’un club de gentlemen vénérateurs d’Anacréon, poète grec de l’Antiquité et chantre de l'amour et du vin !

La chanson patriotique gagne en popularité et durant la Première Guerre mondiale, le président Woodrow Wilson ordonne qu'on l'interprète en sa présence lors de cérémonies officielles ou des parades militaires. Elle est également jouée avant chaque réunion sportive, tradition qui perdure encore aujourd’hui. En 1931, le Congrès en fera l’hymne officiel du pays.


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Publié ou mis à jour le : 2024-07-14 17:04:18
Dahak (14-07-2024 15:39:43)

Excellente page Merci

Patrice Bocquet (14-07-2024 13:09:19)

Merci pour cet article, très intéressant et pour les illustrations sonores.
Cordialement.
P.Bocquet

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