Le Siècle des Lumières

L'Europe en marche vers un monde nouveau

Au XVIIIe siècle, les philosophes et les savants mettent en cause les fondements religieux, politiques, économiques et sociaux de la société d’ordres. La France est avec l'Angleterre au cœur de ce mouvement intellectuel sans équivalent à aucune autre époque.

Tina Malet

Les Attributs des Sciences, Jean Siméon Chardin, 1731, Paris, musée Jacquemart-André. Agrandissement : Nature morte avec des attributs des Arts, Jean Siméon Chardin; 1766, Saint-Pétersbourg, musée de l'Ermitage.

Les « Lumières »

On a coutume de donner le nom de « Lumières » - ce qui éclaire l’esprit - à un vaste mouvement intellectuel et philosophique qui domine le monde des idées en Europe au XVIIIe siècle et dont les traits fondamentaux sont un rationalisme en prise sur l’expérience, ouvert au sensible et au monde des sentiments, le rejet de la métaphysique et des préjugés religieux, la croyance dans le progrès et dans la perfectibilité de l’homme, le combat pour la tolérance et le respect des libertés individuelles. À ce mot correspondent en Allemagne le mot Aufklährung et en Angleterre l'expression Enlightenment Age.

Monseur De Voltaire : Elémens de la philosophie de Newton, mis à la portée de tout le monde, éditeur Etienne Ledet et Compagnie, vers 1738.Pour que la raison et les Lumières triomphent, les écrivains philosophes luttent contre l'autorité religieuse et politique, contre tous ceux qui cherchent à limiter les connaissances de l'homme et à empêcher l'exercice de l'esprit critique.

Ce thème de la liberté individuelle se fera omniprésent avec le développement de la liberté économique qui se manifeste par la montée de la bourgeoisie et l’enrichissement des négociants, ainsi que par la recherche d’une plus grande liberté politique. Elles entraînent dans leur sillage la liberté de pensée et de dire malgré la censure, les autodafés et les mesures d’exil. Ce mouvement gagne également les moeurs et la littérature dite libertine.

La France, à l’apogée de sa civilisation, sert de modèle à l’Europe entière non seulement par ses idées, mais également par sa littérature, ses arts, ses modes, son élégance et son esprit. On conçoit aisément que nos écrivains se disent « européens » et même « citoyens du monde », comme Montesquieu : « Je suis homme avant d’être Français […]. Si je savais quelque chose utile à ma patrie et qui fût préjudiciable à l’Europe […], je la regarderais comme un crime. »

Les despotes éclairés

Les souverains européens contribuent, à leur manière, à ce mouvement. Frédéric II, roi de Prusse à partir de 1740, roi-philosophe et musicien, parle français, construit à Potsdam son château de Sans-Souci (en français) imitant Versailles et rassemble autour de lui l’élite philosophique du temps : Voltaire, La Mettrie, Maupertuis et le marquis d’Argens.

Il incarne ce qu’on a coutume d’appeler « le despotisme éclairé », de même que Catherine II la Grande qui monte sur le trône de Russie en 1762 (réformes politiques et ouverture à la vie intellectuelle), Joseph II en Autriche et Gustave III en Suède.

Même si le statut de ces princes ne change pas - ils restent des « despotes » -, ils veulent projeter une image davantage corrélée à l'effervescence de leur siècle. Ils se sentent investis d’une mission nouvelle, ce qui n’empêche ni la guerre de Sept Ans (1756-1763) où la France est vaincue par l’Angleterre et la Prusse, ni le dépeçage de la Pologne. Gardons-nous de les idéaliser.

Lecture de la tragédie de Voltaire, l?Orphelin de la Chine, dans le salon de Mme Geoffrin en 1755. Anicet Charles Gabriel Lemonnier, 1812, Château de Malmaison.

Multiplication des échanges

Les échanges entre penseurs et savants allemands, anglais ou français se multiplient en utilisant des canaux divers.

À travers l’art épistolaire d’abord : la lettre privée, souvent lue en public dans les salons, est très travaillée et remaniée et il n’y a que peu de frontières entre lettre et littérature. Il faut insister sur l’importance de ces « salons », tenus par des femmes, comme Mme de Tencin, Mme du Deffand, Mme Geoffrin, Mlle de Lespinasse ou Mme d’Épinay. Ces salons deviennent un lieu de vie intellectuelle où se rencontrent des penseurs, des auteurs, des savants et des artistes français ou étrangers. Le baron Grimm, un Allemand, les fréquente assidûment et il tient une Correspondance littéraire lue dans toute l’Europe.

Voltaire et Frédéric II, Gravure, XIXe siècle, Paris, BnF. Agrandissement : Adolph von Menzel, Voltaire à la cour de Frédéric II de Prusse, 1850, Berlin, Alte Nationalgalerie.À travers les voyages ensuite : Voltaire se rend à la cour de Frédéric II en 1750 et Diderot séjourne chez la Grande Catherine, en 1773. Les jeunes nobles européens, pour parfaire leur éducation, accomplissent « le Grand Tour », voyage d’agrément mais aussi d’apprentissage : ils séjournent à Londres, Vienne et Paris et fréquentent l’élite cultivée de l’Europe, la noblesse et la bourgeoisie ouverte au progrès qui enrichissent leur bibliothèque et fréquentent les académies de provinces. Arthur Young, ingénieur agronome anglais, nous a laissé un vivant témoignage dans ses Voyages en France.

Ce cosmopolitisme se traduit par l’accueil réservé aux influences étrangères, notamment anglaise : Montesquieu et Voltaire trouvent dans le régime politique de l’Angleterre (monarchie constitutionnelle) des leçons de tolérance et de liberté ; la physique de Newton détrône celle de Descartes et on traduit Shakespeare. L’anglomanie se traduit dans les moeurs : on crée des clubs, on boit du thé, on préfère les parcs à l’anglaise aux jardins à la française.

On voyage en Europe, mais aussi dans le vaste monde et on en rapporte des récits ou des réflexions. L’exotisme et le dépaysement deviennent à la mode. En France, Colbert crée en 1664 la première Compagnie des Indes et ces échanges commerciaux permettent l’importation de produits exotiques, comme le thé ou les « indiennes », étoffes légères et fleuries dont se parent les élégantes.

Tahitiens présentant des fruits à Bougainville entouré de ses officiers, vers 1768.En Angleterre, Daniel Defoe écrit Robinson Crusoé, Jonathan Swift Les Voyages de Gulliver, ouvrages rapidement traduits en français. Manon Lescaut, l’héroïne du roman éponyme de l’abbé Prévost (1731), meurt dans le désert du Nouveau Monde. Paul et Virginie (1788), de Bernardin de Saint-Pierre, nous entraîne sur l’île Maurice. James Cook parcourt les océans, Bougainville découvre Tahiti et écrit Voyage autour du monde (1771).

Grâce à ces récits de voyage, les Européens découvrent des peuples différents. Rousseau met en scène le « bon sauvage », c’est-à-dire l’être naturel, non dégradé par la civilisation, afin de dénoncer les travers de la société de son temps. Le respect et la reconnaissance de l’Autre conduiront les philosophes à dénoncer l’esclavage, comme Diderot qui, dans le Supplément au voyage de Bougainville, réfléchit sur la colonisation et la liberté, ou bien Marivaux qui écrit L’Île des esclaves.

Dans L'Esprit des Lois, Montesquieu débusque par l'ironie la collusion de l'Église avec le racisme et l'esclavagisme : « On ne peut se mettre dans l'esprit que Dieu, qui est un être très sage, ait mis une âme, surtout bonne, dans un corps tout noir. » Les voyages ne permettent donc pas seulement de découvrir l’autre : ils amènent l’Européen à s’interroger sur lui-même.

La notion de progrès

La notion de progrès est essentielle et s’organise autour de l’Encyclopédie dont le maître d’œuvre, Diderot, y travaille une vingtaine d’années. Plus d’une centaine de savants et écrivains y apportent leur contribution. Il s’agit d’une vaste synthèse des connaissances de l’époque, accordant une large place aux techniques et au progrès humain, fondée sur la certitude que le progrès matériel rendra l’homme plus heureux.

Le progrès de la médecine contribue à l'accroissement démographique européen. La France passe de 20 à 28 millions d’habitants en un siècle : recul des disettes et des épidémies, progrès de la médecine (vaccine).

Les sciences connaissent aussi un développement sans précédent. Avec Montesquieu s’ouvrent les prémices de la science politique et de la sociologie : les Lettres Persanes (1721) proposent une analyse critique des mœurs contemporaines et sont suivies de L’Esprit des lois (1748) où il met en avant la théorie de la séparation des pouvoirs, ouvrage qui inspirera la constitution de 1791.

Rousseau, très admiré par les révolutionnaires, défend la démocratie élective dans son ouvrage Du contrat social. Buffon publie son Histoire naturelle en quarante-quatre volumes (histoire de la terre, géologie, minéralogie, zoologie), ouvrant ainsi les portes à la biologie. 

Hendrik Hollander, Carl von Linné  en costume de lapon, entre 1735 et 1740. Agrandissement : Alexander Roslin, Carl von Linné , 1775, Stockholm, National Portrait Gallery.Les « physiocrates » créent en 1758 la science économique et Quesnay publie son Tableau économique. Linné, en 1738, établit la nomenclature des espèces animales et végétales, qui est à la base de celle utilisée aujourd’hui.

L’archéologie prend naissance avec les fouilles d’Herculanum et de Pompéi (1748) et l’astronomie prend son essor : Halley étudie la comète qui porte son nom (1758) et la planète Uranus est découverte en Allemagne par Herschel.

Les philosophes des Lumières abordent toutes les disciplines et leurs œuvres nourrissent encore nos réflexions sur la liberté, le bonheur, la justice, le progrès, et l’éducation. Elle occupe une place centrale dans notre conception de l’homme et du monde : ne trouva-t-elle pas son aboutissement le 26 août 1789 par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, promulguée par la Constituante ?

Publié ou mis à jour le : 2024-05-31 19:14:48

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