Dans cette lettre ouverte au Roi-Soleil, Marie-Françoise Ousset revient sur les guerres entre protestants et catholiques avec un point de vue qui ne manquera pas de hérisser beaucoup de lecteurs...
Cher Louis XIV,
Comme vous le savez sans doute, beaucoup de gens vous reprochent encore d’avoir révoqué l’Édit de Nantes et chassé du royaume les protestants.
Je pensais que ces derniers avaient raison de « protester » contre les méchants catholiques qui les empêchaient de pratiquer leur religion et avaient organisé les massacres de Wassy en 1562 et de la Saint-Barthélemy en 1572 avec plus de 30 000 morts dans tout le royaume.
Mais je découvre qu’il ne faut pas aller pas trop vite en besogne ! D’abord, le mot « protestant » vient de pro-testarer (pour « témoigner » ). Il n’a rien à voir avec une protestation. Et puis, bien avant la Saint-Barthélemy ou Wassy, il y a eu le sac de Rome par les mercenaires allemands du connétable de Bourbon, au service de l’empereur Charles Quint…
En la fête de la Pentecôte, le 6 mai 1527, les Romains étant à la messe, ce fut l’assaut aux cris de « Vivat Lutherus Pontifex » . Le pape dut se réfugier au château Saint-Ange. Massacres, pillages et destructions durèrent huit jours, les tombeaux des papes profanés, des religieuses violées. Total : 20 à 40 000 catholiques tués.
C’est ce que le Petit Robert relate avec une certaine complaisance : « le sac de la ville par les Impériaux permit finalement d’améliorer l’urbanisme » ! Mais réfléchissez donc, petit… Robert ! À l’époque, les Impériaux, c’est-à-dire l’armée de Charles Quint, étaient pour la plupart des catholiques qui allaient en principe à la messe. Ceux qui ont impunément pillé Rome, ce furent des lansquenets luthériens.
Toujours bien avant Wassy, le protestant Caboche (tête dure sans doute !) avait tenté d’assassiner notre roi Henri II. Puis, le 13 mars 1560, ce fut la conjuration d’Amboise menée par le prince de Condé mais financée par l’Angleterre pour enlever le jeune François II à l’influence des Guise, trop catholiques ! En 1560 et 1561, ce fut le ravage de la Provence par Antoine de Mauvans sur lequel les livres nous laissent le plus souvent dans l’ignorance !
Peut-être, Sire, vous a-t-on appris, qu’en la seule année 1561, à La Rochelle, le 9 juin, les protestants enfermèrent les catholiques dans l’église Saint-Barthélemy et y mirent le feu ; le même jour, à Orange, le président du Parlement Perrin et Parpaille passa à la Réforme et à la tête de 1 500 huguenots, profana les églises, fit égorger les opposants et massacrer un millier de paysans avant de piller la cathédrale. À Montpellier, le 19 octobre au soir, 800 protestants attaquèrent l’église Saint-Pierre : prêtres et fidèles furent égorgés. Le 20 au matin, les mêmes pillèrent les 60 autres églises et chapelles de la ville, égorgèrent plus de 200 catholiques, déterrèrent 40 cadavres et leur arrachèrent les entrailles. À Montauban, le 15 août, l’église Saint-Jacques fut pillée, les catholiques rassemblés dans l’église et tués.
Mais l’année fatale demeure 1562. Était-ce en réaction au massacre de Wassy qui eut lieu le 1er mars ? C’est en tous cas le 8 mars que le comte de Montgomery (celui qui tua Henri II d’un coup de lance dans l’œil) passé au protestantisme, saccagea la cathédrale et le palais épiscopal d’Avranches ; c’est encore en cette année que les calvinistes jouèrent à la boule avec la tête du roi Louis XI avant de brûler ses os ainsi que ceux de sa pieuse fille sainte Jeanne de France.
À Montbrison, le baron des Adrets força les soldats catholiques à se jeter du haut d’une tour du château sur les piques de ses hommes : 800 morts. À Orléans, les églises furent mises à sac pendant 12 jours. Sans parler des abbayes de Fontevraud, de Saumur, Saint-Benoît-sur-Loire, Mehun, Avranches, Meaux, de l’abbaye des Hommes et de celle des Femmes à Caen ! Au total : 22 000 églises et 2 000 couvents détruits.
Calvin n’avait-il pas dit : « Des images en un temple sont une abomination, une souillure » ? Ce qui choquait aussi beaucoup le peuple était de voir les calvinistes jeter les hosties aux chiens, cirer leurs bottes avec l’huile sainte et souiller les bénitiers de leurs excréments.
La guerre continua sous la régence de Catherine de Médicis, auquel Ronsard reprocha son attitude fluctuante envers les protestants qu’il avait en haine : « Si vous hussiez puni par le glaive tranchant le huguenot mutin, l’hérétique méchant, le peuple fut en paix : mais votre connivence a perdu le renom et l’empire de France » . Il écrit aussi : « Mais ces nouveaux Chrétiens qui la France ont pillée, volée, assassinée, à force dépouillée… Vivent sans châtiment, et à les ouïr dire, C’est Dieu qui les conduit… En la dextre ont le glaive, et en l’autre le feu, Et comme furieux qui frappent et enragent, Volent les temples saints et les villes saccagent. Et quoi ! Brûler maisons, piller et brigander, Tuer, assassiner, par force commander, N’obéir plus aux Rois, amasser des armées, Appelez-vous cela Églises réformées ? »
Je préfère m’arrêter là, Sire, de peur de vous lasser. Ces faits sont consignés, entre autres, dans des livres éblouissants de clarté et de concision (note), livres qui n’excusent pas la « Saint-Barthélemy » catholique mais montrent qu’il y en eut aussi du côté protestant.
Pour mettre fin à ces guerres de religion, votre grand-père Henri IV a promulgué le fameux Édit de Nantes du 30 avril 1598. Les « Réformés » se virent confirmer Chatellerault, La Rochelle, Royan, Saumur, Bergerac, Montauban, Nimes, Arles, Briançon et Montpellier. Ils reçurent aussi 200 « places de sûreté » . De plus, une indemnité annuelle leur fut versée par le Trésor royal. Alors qu’ils ne représentaient que 7 à 8 % de la population, ils possédaient près du quart de la France.
Que demandait en contrepartie l’édit aux protestants ? Qu’ils reconnaissent la religion catholique, rendent les biens pris à l’Église et paient la dîme comme de vulgaires papistes !
Dans quel pays protestant, a-t-on jamais offert les mêmes avantages aux catholiques ? Aucun ! Bien au contraire, en Angleterre, tous les ans, des jésuites étaient pendus et ensuite écartelés (c’était quand même mieux que de l’être avant !).
Eh oui ! Les protestants avaient beaucoup de privilèges et formaient un État dans l’État. Ils étaient plus anglais que français, plus proches de votre grand ennemi Guillaume d’Orange que des légitimes rois de France. Plusieurs fois, la flotte anglaise avait essayé de prendre La Rochelle avec leur approbation. On aurait pu les accuser de « connivence avec l’ennemi » .
Mais vous n’aviez aucune aversion de principe contre eux et ils avaient droit de cité à Versailles, comme votre fidèle Abraham Duquesne, lieutenant général de la flotte.
Cher Louis XIV, ce n’est pas vous qui auriez dit : « Tous ceux qui le peuvent doivent assommer, égorger, passer au fil de l’épée, secrètement ou en public en songeant qu’il n’est rien de plus vénimeux, de plus nuisible de plus diabolique qu’un rebelle. Il faut l’abattre comme un chien enragé » . Non, c’est Martin Luther, dans un texte publié le 15 mai 1525.
Dans ces conditions, Sire, pourquoi avez-vous révoqué l’Édit de Nantes ?...
Le pas de trop
Souvenez-vous : tout jeune, en 1661, vous avez envoyé dans chaque province deux commissaires, l’un catholique l’autre réformé, chargés d’enquêter sur la situation réelle des protestants et avant même d’en connaître les résultats, vous aviez augmenté les libertés des protestants.
Mais, en 1680, les rapports d’enquête arrivent et vous convainquent qu’il ne reste plus guère de protestants dans le royaume mais que les récalcitrants perturbent les cérémonies catholiques, mettent le feu aux maisons des papistes, s’opposent même à la collecte de la taille et à l’entretien des routes. Vrai ou faux ? On ne sait. En tout cas, tout votre entourage était convaincu de la véracité de ces rapports.
Alors, vous révoquez le fameux édit. Vous faites démolir les temples et poussez les protestants à se convertir, avec des avantages fiscaux à la clé. Mais beaucoup préfèrent fuir. Ceux qui sont rattrapés sont condamnés aux galères. Quelle perte pour la France que ces intelligences en fuite ! 80 ou 100 000 d’après Vauban ; 200 000 d’après l’historien (protestant) François Bluche.
Vous interdisez aussi aux protestants les métiers de sages-femmes, de la Justice et de la police.
Vous me direz qu’en terre réformée, cela faisait 120 ans que les catholiques en étaient exclus et qu’en France même, votre arrière-grand-mère, la très protestante Jeanne d’Albret, mariée à Antoine de Bourbon, avait non seulement interdit aux catholiques de pratiquer et d’enseigner sur ses terres, mais obligation leur était faite de loger des « ministres » calvinistes… Un précédent dont s’était inspiré l’intendant René de Marillac pour ses fameuses « dragonnades » , dès le règne de Louis XIII.
Alors, Sire, comme vous avez maintenant beaucoup de temps et comme nous savons depuis Kafka que « l’éternité c’est long, surtout à la fin! » , puissiez-vous intervenir auprès de la Providence afin d’éviter que nous ne reproduisions nos erreurs et nos crimes.
En vous en remerciant par avance, je vous prie d’agréer, cher Louis XIV, l’expression de ma toujours « irrévocable » admiration.
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