Il m’a été donné d’assister le 4 janvier 2023 à la projection du film Tirailleurs en avant-première. Elle a été suivie d’une présentation par le producteur qui n’est autre qu’Omar Sy, vedette du film et star internationale depuis son triomphe dans Intouchables en 2011. Il était accompagné du réalisateur Mathieu Vadepied. L’un et l’autre ont dit n'avoir jamais entendu parler à l’école des tirailleurs indigènes et avoir voulu réparer cet oubli...
Ce qui importe aux amoureux de l’Histoire que nous sommes, ce sont les rapports que la fiction entretient avec les faits. De ce point de vue, le pré-générique du film Tirailleurs donne une première clef. La scène se situe au Fouta-Toro, une région au nord du Sénégal et l’on voit des cavaliers au service de la France, poursuivre et frapper de paisibles paysans pour les enrôler et les envoyer au front.
La scène est plausible, du moins en 1917. Le recrutement largement forcé a concerné en effet 53 500 soldats en 1916 et 12 000 en 1917. Un décret en date du 9 octobre 1915 a imposé la conscription obligatoire pour les hommes de plus de 18 ans et des quotas de recrues ont été adressés aux chefs de village. Il s’ensuit que les années 1915-1917 ont été marquées par des mutilations volontaires, de la résistance passive, des « fuites de brousse », et parfois même des révoltes notamment en pays Bambara et dans l’Ouest de la Haute-Volta.
La plupart des Africains voyaient mal l’intérêt d’aller combattre en Europe dans une guerre dont ils ne comprenaient pas les enjeux, du moins au commencement du conflit... Dans la dernière année, le président du Conseil Georges Clemenceau, résolu à mettre toutes les chances du côté de la France, a convaincu le député du Sénégal Blaise Diagne de mener campagne auprès de ses compatriotes. Avec le soutien des chefs mourides et tidianes Ahmadou Bamba et Malick Sy, le député a ainsi obtenu 77 000 recrutements volontaires (63 000 en AOF, 14 000 en AEF) dont 45 000 ont été envoyés en Europe et se sont illustrés notamment dans la défense victorieuse de Reims lors de la seconde bataille de la Marne, en mars 1918.
Les Africains dans les tranchées
Le film adopte logiquement le regard des Africains. Les tirailleurs forment une communauté chaleureuse malgré des frictions entre les diverses communautés linguistiques africaines (pulaar/wolof) à l’intérieur des unités combattantes. Ces frictions étaient à vrai dire très limitées car le « parler tirailleurs » partagé par tous les combattants indigènes et leurs officiers, s’est vite imposé dans les unités comme le langage efficace pour donner et comprendre les ordres. Soulignons aussi que les désertions ont été très rares et les révoltes quasi-inexistantes, y compris lors des mutineries de 1917.
Regrettons enfin que le film ne s'étende pas davantage sur la fraternité des tranchées entre Français et Africains alors que la plupart des témoignages d’époque mettent l’accent sur la bravoure des troupes africaines et leur solidarité fraternelle tant vis-à-vis de leurs compatriotes que des soldats français.
La séquence qui clôt le film suggère que le Soldat inconnu qui repose sous l’Arc de Triomphe pourrait être sénégalais. Dans le film, on voit le héros libérer sous le feu de l’ennemi un renard empêtré dans les barbelés ; allusion transparente au fait que lors de la première commémoration de l’Armistice, un renard passa près du cercueil du Soldat inconnu.
La question posée par le journal l’Œuvre dès le 12 novembre 1920 avait donné lieu à un démenti formel du ministre de la guerre André Maginot. La polémique n’est toujours pas close puisque dans la série de BD-fiction « L’homme de l’année » (Delcourt 2013), on imagine que ce soldat inconnu serait Bouba, « un indigène venu en France pour y mourir »…
Pour ne pas conclure
Le réalisateur Mathieu Vadepied s’était défendu au festival de Cannes d’avoir fait un fim « frontalement politique » et ne voulait que supprimer les « caries » du récit national. Position partagée par le magazine Africultures qui déplore que les tirailleurs sénégalais restent « exclus du récit national »... Le propos reste à vérifier car, semble-t-il, ce pan de l’Histoire française a toujours figuré dans les manuels scolaires français mais aussi africains, sans compter qu’il a donné lieu à des monuments commémoratifs, à Reims par exemple.
Ce film qui se présente comme un hommage aux tirailleurs sénégalais et à ses héros, pour les sortir de l’oubli, prend de ce fait une autre coloration. Il n’est pas une simple fiction car il met en scène un contexte historique précis, malgré le flou volontaire de l’identification des lieux et de la chronologie, celui d’une guerre dont l’inutilité est soulignée par l’un des gradés : « Victoire totale, mon ami ! On a avancé de 300 mètres, on a perdu 2000 hommes pour cette colline et maintenant on va attendre sagement pour tenir la position jusqu’à ce que les Allemands considèrent qu’ils veulent à leur tour prendre notre première ligne. C’est la loi de la guerre, caporal ».
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Voir les 14 commentaires sur cet article
Yves Petit (15-01-2023 13:26:22)
Ce film semble bien être conforme à la mode du jour. Ici en Amérique du nord, cette mode se résume à "bon indien, méchant blanc". La version française serait "bon Africain, méchant Français".... Lire la suite
Aerts (15-01-2023 01:32:42)
Importante mise au point
JB (13-01-2023 12:08:31)
Mon grand-père a commandé des tirailleurs sénégalais Ils les trouvaient loyaux et très courageux. Cependant le froid faisait des ravages parmi eux. Ils craignaient le son du canon, mais n'avaient... Lire la suite