Nous sommes le 29 mars 1804, à Philadelphie, capitale de l'État de Pennsylvanie (États-Unis). Dans la petite église de la paroisse Sainte-Trinité, Louise Agnès Gertrude de Sevré se dirige vers l’autel pour épouser un officier français. Cette union est un tournant dans une existence exposée aux tempêtes de l'Histoire.
Louise est une enfant des colonies, issue d'une riche famille de planteurs français. Née à Port-au-Prince, capitale de la colonie de Saint-Domingue, elle a dû s'enfuir avec sa mère pour échapper à la guerre d'indépendance qui allait faire de cette colonie le premier État noir indépendant, sous le nom d'Haïti.
Au coeur de la tragédie
Le père de Louise, Jean-Baptiste Pierre de Sevré, lointainement issu de la noblesse dijonnaise, était lui-même né à Saint-Domingue, où sa famille paternelle s'était installée à la la fin du XVIIe siècle. Sa mère Agnès Ribouet venait quant à elle de la Grenade, une autre colonie française distante d’une centaine de kilomètres à vol d’oiseau des côtes du Venezuela.
Sevré, Chevalier de Saint-Louis, dit « le marquis de Sevré », était l'un des principaux officiers du régiment de Cambrésis. Il avait mission de protéger l’île de Saint-Domingue de la menace anglaise.
Malgré une fortune familiale déjà considérable, il réclama à sa mère en 1783 la somme de 50 000 livres (note). Pour réunir cette somme gigantesque, celle-ci dut vendre ses esclaves à son époux en secondes noces, le baron Jean Couturier de Flotte (note).
Pour le marquis de Sevré, les affaires semblent bien aller ! En 1787, on le rencontre au Cap-Tiburon, au sud de l’île, où il a acquis une importante plantation de café au bord de la rivière Tiburon, achetée à son beau-père, avec ses esclaves (note).
Survient la Révolution française. Les esclaves se révoltent. Il s'ensuit une véritable guerre contre les planteurs, menée par l’esclave affranchi Toussaint Louverture.
Quand, à Paris, en 1794, la Convention vote le décret d’abolition de l’esclavage, Toussaint Louverture se rallie à la République. Les planteurs, quant à eux, regroupés dans un « Comité des colons », songent comme leurs homologues martiniquais à prendre leur indépendance et n’hésitent pas à s’allier à l’ennemi anglais.
C’est ainsi que Jean-Baptiste Sevré, « colonel d'infanterie » de l’armée des colons, trahit la cause française en livrant aux Anglais le poste de l'Islet-à-Pierre-Joseph, qu'il commandait, ce qui facilite la prise de Tiburon le 2 février 1794 (note). Ce méfait ne lui porte pas chance. Il est tué le 7 août dans un combat près des Irois (au nord du Cap-Tiburon). Son beau-père Couturier périt lui aussi dans la bataille.
Sauve qui peut
La République française reprend la main sur la colonie mais pour peu de temps. Le Premier Consul Bonaparte relance la guerre contre Toussaint Louverture, rallié à la République mais trop peu fiable. La guerre tourne au désastre, pour le plus grand malheur des planteurs et de leurs familles. Beaucoup périssent dans les combats ou sont massacrés. Certaines familles sont mises à l'abri sur l'île voisine de la Tortue. Mais toutes celles qui le peuvent s'enfuient à Cuba, colonie espagnole (note) ou, mieux encore, à la Nouvelle-Orléans ou Philadelphie, emmenant avec elles quelques esclaves fidèles.
C'est ainsi que la veuve Sevré, Catherine Liemans, s'étant retrouvée seule dans la maison de Fort de l'Isle avec sa fille, âgée de 6 ans, a décidé dès 1801 de quitter l’île pour Philadelphie, aux États-Unis, nouvellement indépendants. Là, elle va épouser en secondes noces François Breuil, qui a fait fortune comme armateur et marchand d’esclaves à Jérémie, un établissement de Saint-Domingue à la pointe dite de la Grande-Anse. Naturalisé américain en 1796, il s’est ensuite associé en affaires avec Dupont de Nemours, un brillant économiste français chassé par la Révolution (note).
Dans un climat enfin apaisé, Louise de Sevré, 16 ans, épouse à Philadelphie le 29 mars 1804, l’adjudant commandant Henri David, 42 ans, officier issu d’une famille d’artistes toulonnais.
Henri est auréolé de sa position d’officier d’état-major de l’armée révolutionnaire. Le New York Evening Post parle du « général » David (note). Il a déjà une carrière bien remplie derrière lui. Il était adjudant général pendant les journées parisiennes de Germinal an III, chargé de réprimer la dernière mobilisation des sans-culottes. Il y brisa son sabre. Puis il aurait fait les campagnes d’Italie et d’Égypte.
Selon la relation de sa fille Cécile (note), les David étaient proches de la famille du cadet de la fratrie impériale, le prince Jérôme Bonaparte. Il l'avait accompagné dans une mission diplomatique aux États-Unis. Et quelques semaines avant le mariage de Louise et Henri David, le prince Jérôme avait lui-même épousé à Baltimore Elizabeth Patterson, fille d’un commerçant de la ville, mais sans le consentement de la famille de la jeune épouse - et même contre la volonté de Napoléon Ier.
À vrai dire, Catherine Sevré n'apprécie pas davantage le mariage de sa fille Louise avec le fringant officier français. Différence d’âge ou de « camp » politique ? Ce qui est certain, c’est que le couple quitte Philadelphie peu de temps après la cérémonie et rentre en France, un pays que Louise ne connaît pas.
Le couple s’installe brièvement ) Parisd, 179, rue Neuve Saint-Augustin (note). Louise est introduite à la cour de l'impératrice Joséphine de Beauharnais. Puis ils vont à Tours, où naît leur fille Cécile. En 1808, Henri David est nommé commandant du département de la Gironde. Il réside à l’Hôtel de l’Empire, place Dauphine (devenue place Gambetta).
Comme beaucoup d'autres planteurs de Saint-Domingue spoliés suite à l'indépendance de la colonie, Louise fait ouvrir en 1811 un dossier auprès du Ministère de la Marine (note) pour demander à être indemnisée pour la perte de la plantation de Tiburon, inscrite à son contrat de mariage. Sa demande et les autres nourriront la demande de réparations qu'adressera le gouvernement de Charles X à Haïti en 1825 (150 millions de francs-or).
Riche de péripéties, l'intermède français s'achève avec la mort d'Henri à Bordeaux au 25, rue Saint-Esprit (note), le 29 juillet 1816, à l’âge de 54 ans. Cécile, qui aurait conservé le portrait de son père à la bataille de Leipzig (1813), racontera plus tard à un journaliste, dans sa maison de La Nouvelle-Orléans, qu’elle fut un temps placée en nourrice à Versailles où elle apercevait de temps en temps Louis XVIII et Madame Royale (note).
Des nobles d’Empire en Alabama
L'aventure continue ! Louise, qui n'a pas encore 30 ans, retourne à Philadelphie avec ses deux filles, Cécile et Pauline, née à Bordeaux en 1808 (note).
Elle se remarie avec Frédéric Ravesies, marchand, membre de la « Colonie du vin et de l’olive » en Alabama. Cette colonie française est un repaire de bonapartistes exilés et de réfugiés de Saint-Domingue, pour la plupart passés par Philadelphie. Le Congrès US a enlevé le territoire aux Indiens en 1817 (sa capitale, Demopolis, est aujourd’hui la principale ville du comté de Marengo).
Les Français ont entrepris sans grand succès de reconstituer sur ce territoire une économie esclavagiste centrée sur la culture de la vigne et de l’olivier (qui a vite échoué). Les mœurs de cette « aristocratie » napoléonienne semblent avoir impressioné leurs voisins anglais : « Vêtus de riches uniformes, ils ont défriché des terres boisées, les ont labourées. Leurs épouses, délicates femmes encore en robe de Paris, trayaient les vaches, portaient l'eau à la place des hommes âgés, cuisinaient les repas sur des charbons » (note).
En 1826, Pauline épouse l’avocat George Noble Stewart, qui devient maire de Tuscaloosa. Elle s’éteint le 25 mars 1879 à Mobile, où vivent encore ses descendants. Sa soeur Cécile épouse quant à elle John Foy, autre colon « du vin et de l’olive », puis M. Craemer. Elle meurt à Mobile en 1885 chez son demi-frère, le major Paul Ravesies, vétéran de l’armée confédérée.
La dynastie des Servan-Schreiber
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