L’Histoire de France comme si vous y étiez (épisode 4)

En passant par la Flandre...

L’Histoire de France… dont vous êtes le héros ! Avec Vincent Boqueho, scientifique et passionné d'Histoire, vous êtes au cœur de l’action, au plus près des événements et des personnages.

Dans son livre L’Histoire de France comme si vous y étiez, publié par Armand Collin en partenariat avec Herodote.net, notre collaborateur plonge le lecteur dans la réalité qu’il décrit et le met dans la peau des protagonistes !

D'abord Homo sapiens en pleine glaciation de Würm, puis marin vénète farouche défenseur de la Gaule, vous êtes ensuite devenu fils d’un riche propriétaire menacé par les Francs, célèbre évêque de Tours et premier duc de Vasconie.

Cette fois, vous êtes transporté au XIIe siècle à Lille. La ville fait partie de la Flandre et constitue un nœud du commerce de la mer du Nord, alors en pleine expansion. Vous en bénéficierez pleinement puisque vous serez un marchand lillois ! Et ce n’est pas tout. Vous allez aussi découvrir les fastes et les servitudes de la vie de roi. Et quel roi : Richard Cœur de Lion, fils d’Henri II Plantagenêt et d’Aliénor d’Aquitaine ! Votre vie sera une succession de batailles. Mécontent du partage qui divise le royaume entre vos trois frères, vous allez guerroyer ferme pour récupérer leurs territoires et les soumettre à votre férule. Puis vous voudrez vous couvrir de gloire lors des croisades...

La France en 1170.

Draps de Flandre et foires de Champagne (1180, de Lille à Troyes)

Vous êtes un marchand de Lille, une ville récente du comté de Flandre fondée il y a un peu plus d’un siècle. Peu à peu, les comtes de Flandre ont acquis une grande autonomie vis-à-vis de leur suzerain le roi de France.

Depuis la fin des raids vikings et l’édification de royaumes stables en Angleterre et en Scandinavie, votre région a repris des couleurs et se retrouve au centre du commerce en Mer du Nord : il y a d’un côté le Danemark, la Suède et la Norvège, et de l’autre la Normandie et l’Angleterre. Elle se situe par ailleurs à la charnière entre le royaume de France et le Saint-Empire romain germanique qui commence à quelques encablures à l’est de votre ville.

Cette croisée des mondes est aussi linguistique : le comté lui-même est divisé en deux parties avec au sud la zone latine et au nord la zone flamande. Les Flamands sont les héritiers de ces Francs Saliens qui virent l’essor de la dynastie des Mérovingiens : en quelque sorte, ils sont à la racine de la France et de l’Allemagne. Clin d’œil de l’Histoire, ils n’arriveront jamais à se décider entre ces deux nations et finiront par créer leur propre pays indépendant.

En tant que Lillois, vous appartenez à la zone latine : vous parlez la langue d’oïl en usage jusqu’à Amiens, le picard, très proche du français. Par chez vous, cette langue prendra le nom de ch’ti.

Cette croisée commerciale et culturelle couplée à la fin des menaces barbares est très favorable au développement économique de la Flandre. Les comtes mènent une politique intelligente en accordant une grande autonomie aux villes afin de ne pas contrecarrer leur vitalité : une véritable bourgeoisie est en train de naître dans les cités de Gand, de Bruges, d’Ypres et de Lille, dont vous aspirez à faire partie.

L’enrichissement par le commerce permet de se lancer dans des activités à forte valeur ajoutée : les draps de Flandre, ces étoffes obtenues par le travail de la laine du mouton, commencent à faire la réputation de votre région jusque dans le monde méditerranéen où ils sont très prisés.

Scène de foire. Miniature extraite du Chevalier errant de Thomas de Saluces vers 1403 - 1404, Paris, BnF.

En tant que marchand, vous avez une vie extrêmement bien remplie. La moitié du temps, vous restez basé à Lille où vous achetez des marchandises flamandes. Dès que vos stocks sont pleins, vous montez tout cela sur vos chariots, vous vous joignez à d’autres marchands pour partager les coûts, vous vous payez une escorte militaire, et vous vous lancez vers le sud à la tête de la caravane en direction des foires de Champagne.

Celles-ci sont en train de profiter de votre propre dynamisme : elles sont idéalement situées à la croisée de l’axe France-Allemagne (est-ouest) et de l’axe Flandre-Méditerranée (nord-sud). Grâce à vous, la Champagne est devenue le nouveau pivot commercial de l’Europe Occidentale en lieu et place de la Bourgogne. Ce glissement vers le nord est révélateur des nouveaux pôles de richesse : la Méditerranée, qui était longtemps restée le seul moteur des échanges, est aujourd’hui concurrencée par la Manche et la Mer du Nord.

Les foires de Champagne se tiennent à des moments bien précis dans l’année. Celles de Troyes sont particulièrement spectaculaires : c’est une curieuse sensation que d’entendre toutes ces langues qui s’entremêlent : français et latin principalement, mais aussi flamand, allemand, et même quelques langues occitanes et franco-provençales. Vous avez l’impression de vous retrouver au beau milieu d’un village-monde.

Des marchandises exotiques viennent ici de très loin, comme les épices et les soieries des confins de l’Asie qui ont transité par Constantinople. Vous en achetez un bon poids en échange de vos draps flamands pendant que d’autres, focalisés sur le commerce est-ouest, vendent leurs grains de sel de Guérande en échange des cuirs et des fourrures venus d’Allemagne.

Les affaires sont bonnes et vous repartez dans votre pays tout ragaillardi. Vous en êtes convaincu : rien ne pourra réprimer l’essor qui est en train de saisir l’Europe Occidentale. Cette croissance repose sur des bases beaucoup plus profondes que ses structures politiques fluctuantes : en cette fin du XIIe siècle, on sent déjà poindre le doux parfum de la Renaissance européenne.

Croisade de Richard Cœur de Lion (1189 – 1192).

Le roi Lion (1173-1199, de l’Aquitaine à la Terre Sainte)

Vous êtes Richard que certains surnommeront Cœur de Lion, fils d’Henri II Plantagenêt et d’Aliénor d’Aquitaine. Votre père est un mâle vigoureux et votre mère une femelle fertile : vous êtes noyé à l’intérieur d’une populeuse fratrie, mais vous ne vous laissez pas faire. Vous parvenez à convaincre votre père de ne pas tout miser sur l’aîné et de diviser son empire à sa mort.

Voici ce qui est prévu :
- L’aîné Henri le Jeune doit obtenir l’Angleterre, la Normandie, l’Anjou et le Maine.
- Vous devez récupérer l’héritage de votre mère, l’Aquitaine.
- Votre frère Geoffroy doit devenir le nouveau duc de Bretagne en se mariant avec la duchesse Constance. Votre père possède déjà une forte emprise sur ce duché.
- Il ne reste rien pour le petit cadet, Jean, que votre père appelle pour cette raison « Jean sans Terre ». Tant pis pour lui : il n’avait qu’à pas naître en dernier.

Cette répartition vous est très favorable par rapport à la tradition donnant tout à l’aîné ; et pourtant vous êtes insatisfait. Vous en voulez plus. Le pire, c’est que l’aîné Henri se sent spolié lui aussi ; quant à Geoffroy, il a l’impression qu’on lui laisse les miettes. Bref, la décision de votre père ne convient à personne, sauf peut-être au pauvre Jean sans Terre qui ne se plaint même pas d’être mis de côté.

En cette année 1173, vous décidez de vous liguer contre votre père aux côtés de Geoffroy et d’Henri le Jeune. Vous mettez le royaume à feu et à sang, à la plus grande joie du roi de France qui s’empresse de mettre de l’huile sur le feu. Sans vouloir vous vexer, votre comportement d’enfants gâtés ressemble beaucoup à celui des fils de Louis le Pieux qui avait conduit à la division de l’empire carolingien.

Henri Plantagenêt parvient à vous remettre au pas mais il en sort profondément affaibli. Dépité, vous vous concentrez sur votre Aquitaine en violant et en massacrant du gueux. Il y a de quoi faire parce que la Gascogne est toujours aussi frondeuse : vous fondez la ville de Marmande sur la Garonne et vous couvrez la région de châteaux-forts.

Vous ne tardez pas à vous taper dessus avec vos frères : votre père est désespéré. Heureusement, Henri le Jeune meurt en 1183 de façon très opportune : vous devenez l’unique héritier de l’empire Plantagenêt. Seule la Bretagne vous échappe au profit de Geoffroy, mais c’est le cadet de vos soucis. Quant à Jean sans Terre, il continue de rester à l’écart de vos guerres fratricides sans rien revendiquer : cela vous convient parfaitement.

CÅ“ur de Lion, gisant, cathédrale de Rouen, XIIIe siècle.L’année 1189 est décisive : Henri II Plantagenêt meurt d’un ulcère que vos rébellions incessantes ont certainement occasionné et vous montez sur le trône d’Angleterre. Vous vous moquez éperdument de cette île lointaine noyée dans les brumes : à aucun moment vous n’envisagez d’apprendre l’anglais, la langue des culs-terreux de cette contrée maussade. Vous parlez l’occitan en usage en Aquitaine, le français qui a court sur le reste de vos possessions continentales, et le latin qui est la langue diplomatique incontournable pour un homme de votre rang.

Cette même année, tout le monde se prépare pour la Troisième Croisade : le sultan d’Égypte Saladin a repris Jérusalem aux dépens des chrétiens ! Plein de fougue, vous y voyez une magnifique opportunité d’aventures et vous vous placez en pôle-position aux côtés du roi de France Philippe II Auguste.

Depuis l’époque de la Première Croisade il y a près d’un siècle, l’Europe Occidentale s’est considérablement enrichie : elle n’a plus à craindre les attaques des barbares qui ne cessaient de défiler au cours des précédents millénaires, ce qui lui a permis de reprendre son souffle. Les guerres sont toujours là, plus fréquentes que jamais, mais elles se font maintenant entre gens civilisés : il y a des codes à respecter. Comme tout le monde est chrétien, les édifices religieux deviennent des lieux de refuge pour la population : l’économie n’est plus anéantie à chaque razzia.

Les batailles se font entre personnes bien nées et ne rassemblent plus ces effectifs pléthoriques des anciens âges. Signe des temps, le défrichement des forêts se poursuit depuis maintenant deux siècles, augmentant peu à peu la superficie des terres arables : on n’a pas encore retrouvé la vitalité agricole de l’époque romaine, mais on s’en approche. La population s’accroît, l’économie est prospère : tous les signaux sont au vert pour un avenir meilleur.

Vous avez maintenant les moyens d’organiser une croisade par voie de mer, beaucoup plus rapide et confortable que la voie terrestre. Philippe Auguste parvient à trouver l’argent nécessaire auprès des Juifs : commerçants traditionnels sur la Méditerranée, certains sont devenus de riches banquiers en se focalisant sur le commerce de l’argent. Le roi de France peut les spolier sous les applaudissements de sa population chrétienne. Pour votre part, vous vous contentez d’emprunter et de ratisser l’argent du royaume anglais jusqu’à plus soif.

Les détails de votre périple mériteraient tout un roman-photo. Il faut le reconnaître : vous êtes un grand guerrier. Vous n’avez pas peur de mourir et vos ennemis le constatent à leurs dépens. Vous faites preuve d’une grande brutalité, ce qui ne contribue pas à embellir l’image des chrétiens aux yeux des musulmans.

Vous parvenez à vous emparer de l’île de Chypre qui devient rapidement un nouveau royaume chrétien indépendant ; mais vous échouez à reprendre Jérusalem : la Ville Sainte restera dorénavant aux mains des musulmans et les États Latins du Levant poursuivront leur lente érosion. Fondamentalement, cette croisade est un nouvel échec.

Comme Philippe Auguste est reparti avant vous, vous êtes contraint de rentrer par voie de terre. En passant près de Vienne en Autriche, vous êtes capturé par l’empereur germanique qui demande une forte rançon pour votre libération. Votre royaume est encore obligé de se ruiner pour vous libérer : décidément, votre croisade aura coûté cher à vos sujets !

Quand vous rentrez au bercail, vous découvrez que Jean sans Terre en a profité pour imposer son autorité sur l’Angleterre : le petit frérot s’est enfin réveillé ! Le roi de France Philippe Auguste, pour sa part, est en pleine reconquête de votre Normandie : ils ont tous cru que vous étiez irrécupérable ! Vous reprenez la situation en main sur l’île comme sur le continent en multipliant les batailles. Vous semez des châteaux-forts à la volée pour défendre votre territoire.

Votre vie n’est qu’une succession de batailles : le fracas des armes, vous aimez ça. C’est ce qui a raison de vous : le 26 mars 1199, trop impliqué dans les combats, vous vous prenez un carreau d’arbalète dans l’épaule lors du siège du château de Châlus-Chabrol tenu par des rebelles limousins. Vous mourez de la gangrène quelques jours plus tard et votre frère Jean sans Terre se retrouve enfin à la tête de l’empire Plantagenêt, lui qui a si longtemps attendu son heure.

Durant toute votre vie, vous aurez fait preuve d’une grande brutalité et d’une faible considération pour vos sujets, mais peu importe : les gens aiment les grands guerriers. Vos descendants loueront votre mémoire jusqu’à faire de vous un héros aux côtés d’un certain Robin des Bois.

À suivre : Au cœur des heures les plus sombres du Moyen Âge

Publié ou mis à jour le : 2019-06-06 10:48:44

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