« La Carlingue »

Des truands au service de la Gestapo

Dans la France occupée, de 1941 à 1944, la Gestapo nazie a pu opérer avec le concours d’un ramassis de truands sans foi ni loi, « La Carlingue ». Installée dans les beaux quartiers de la capitale, cette Gestapo française était sise à la trop célèbre adresse parisienne du 93, rue Lauriston, entre le Trocadéro et l’Étoile.

Ces hommes « ont pu voler, piller, tuer, au vu et au su de tous, à Paris mais aussi en province, lancer des opérations de grande envergure, lever une armée, traquer des résistants, spolier des juifs, avec le soutien actif des Allemands, sans craindre de quelconques représailles, » raconte l’historien David Alliot dans son dernier ouvrage.

« La Gestapo française du 93, rue Lauriston »

David Alliot, La Carlingue. La Gestapo française du 93, rue Lauriston, éd. Tallandier, 2025.Tous ceux qui ne nourrissent guère d’illusions sur la nature humaine seront confortés dans leur intuition par le livre de David Alliot « La Carlingue » (Tallandier, 555 pages, 24,90 €), cette Gestapo française, sise à la trop célèbre adresse du 93, rue Lauriston à Paris XVIe.
Cet ouvrage fort bien documenté et truffé de témoignages, raconte l’histoire d’un ramassis de truands sans foi ni loi, qui ont profité sans vergogne pendant quatre ans de l’occupation allemande. « Installés pour la plupart dans les beaux quartiers de la capitale, des voyous, des crapules, des bandits, avec à leur tête un malfrat et un policier véreux, ont pu voler, piller, tuer, au vu et au su de tous, à Paris mais aussi en province, lancer des opérations de grande envergure, lever une armée, traquer des résistants, spolier des juifs, avec le soutien actif des Allemands, sans craindre de quelconques représailles », résume l’auteur.
Son livre relate également avec précision les opérations de contre-parachutage, l’infiltration des réseaux de Résistance, dont celui de « Défense de la France » de Geneviève de Gaulle.

Les cerveaux de l’organisation

L’un des chefs de la Carlingue est Henri Chamberlin dit « Lafont », né en 1902, un escroc sans grande envergure qui a fait plusieurs séjours en prison pour vols et malversations, mais qui est aussi beau parleur, charmeur. Incarcéré en 1940 à la prison du Cherche-Midi, il y fait la connaissance d’un Suisse, Max Stoecklin, qui travaille depuis de nombreuses années pour l’Abwehr, les services secrets allemands.

Henri Chamberlin, dit Henri Lafont en 1940. Agrandissement : Pierre Bonny en octobre 1944.Au cours d’un transfert des prisonniers vers la province, les deux hommes parviennent à s’évader et rejoignent les lignes allemandes avant d’être envoyés à l’hôtel Lutetia à Paris où s’est installée l’Abwehr. Dès lors, le cours de la vie de Chamberlin « Lafont » bascule définitivement dans la voie de la collaboration.

L’autre chef de la Carlingue est Pierre Bonny, un inspecteur de police sulfureux, aux comportement véreux qui sera finalement révoqué avant de se recycler comme administrateur dans un laboratoire pharmaceutique. C’est par l’intermédiaire d’une de ses connaissances, un avocat trouble, indic de la Gestapo qu’il entre en contact avec les chefs de l’Abwehr qui se montrent très intéressés par le profil de cet ancien flic qui a gardé des relations dans le Milieu et chez les « mouchards ».

Tout oppose Lafont et Bonny. Le premier est volubile et expansif, flambeur, alors que le second est terne, réservé et mène une vie rangée. Ils ont néanmoins deux points communs : ils ont navigué en eaux troubles et ont une revanche à prendre sur leur passé et la société. Lafont dirige les actions et opérations de la Carlingue, Bonny prend en charge l’organisation et la gestion.

Des bandits zélés

La Carlingue, ce surnom mystérieux de cette Gestapo française n’a jamais été vraiment élucidé, faisant peut-être référence à la carcasse des avions ou des voitures, ou à une expression argotique du Milieu… En revanche, ses membres sont bien identifiés. Ce qui surprend, c’est l’effarante facilité avec laquelle, ils ont été recrutés.

Il a suffi que Lafont se présente à la prison de Fresnes, le 6 juillet 1940, « mandaté par les autorités allemandes » et escorté de deux soldats allemands armés pour qu’il libère une trentaine de prisonniers de droit commun condamnés pour vols, escroqueries, recels, cambriolages, extorsion de fonds, parmi lesquels un policier véreux, et autres corrupteurs de fonctionnaires…

Affiche de propagande de Vichy contre contre le marché noir (1943).Ces membres du grand banditisme, tout heureux de se retrouver de manière inattendue au grand air, constitueront le noyau dur de la Carlingue auquel s’adjoindront pour des missions ponctuelles quelques autres « collègues » de la pègre, des tueurs et un médecin.

Au total, pendant quatre ans, près de 500 malfrats séviront au sein de cette organisation, porteurs des précieux Ausweis qui leur assuraient une liberté de manœuvre totale. Bien sûr, ils seront d’une fidélité totale en leur chef Lafont à qui ils doivent la liberté.

Très rapidement, les Allemands comprennent tout le bénéfice qu’ils peuvent tirer de cette collaboration active : ils n’apparaissent pas en première ligne pour l’exécution de basses besognes. « A partir de ce moment, l’influence de Henri Lafont devient considérable, et son champ d’action ne connaîtra plus de limite », observe David Alliot.

Affiche du Parti communiste français accusant les hommes des trusts d'avoir collaboré avec l'occupant nazi (1945), bibliothèque historique de la ville de Paris.À la base du système de la Carlingue : les bureaux d’achat. Ceux-ci achetaient des produits à un prix au-dessus du marché, payés en francs, revendaient ensuite cette marchandise aux Allemands en mark « avec une jolie culbute à la clef ». Une partie des bénéfices était rétrocédée à l’Abwehr et à ses chefs qui prenaient leur commission incognito. Évidemment ces transactions se faisaient en l’absence de toute comptabilité écrite.

« Cette mise en retrait des Allemands permettait à de simples citoyens, industriels, entreprises intermédiaires en tous genres d’écouler discrètement des produits acquis plus ou moins légalement, à des officines « françaises » ou du moins tenues par des Français in fine plus acceptables que les administrations d’occupation. Cela permettait de lever les scrupules de ceux qui refusaient de vendre directement des marchandises au profit du Reich (…) Et c’est ainsi qu’en complément des frais d’occupation, la France se vidait des richesses de son terroir, qui prenaient par trains entiers le plus légalement du monde, le chemin du Reich », analyse David Alliot.

On trouvait de tout dans ces bureaux d’achats : des métaux, de l’or, des tableaux, des meubles, des vêtements, des tissus etc. « Celui de Lafont brasse des sommes considérables et des fortunes colossales émergent dans leur sillage », écrit David Alliot. La rue Lauriston est alors un lieu de fêtes, voire un lupanar. Dans cette foire à l’enrichissement, la Carlingue participa sans vergogne à la spoliation des Juifs et certains de ses membres occupèrent même les appartements ainsi « libérés ».

Au service du crime

Rapidement, les Allemands employèrent aussi ces zélés supplétifs français à des missions plus politiques : traque des Résistants, des communistes, entre autres. La Carlingue devint un lieu d’interrogatoires musclés.

Pierre Bonny et Henri Lafont caricaturés dans L'Humanité lors du procès de la Gestapo française de la rue Lauriston, le 2 décembre 1944. Agrandissement : Au premier plan, Henri Lafont (à gauche) et Pierre Bonny (à droite), lors du verdict rendu par la Cour de justice de la Seine, le 11 décembre 1944, qui les condamne à mort, Libération.Quant aux tortures, notamment le supplice de la baignoire, elles furent infligées certainement en dehors de locaux de la rue Lauriston, contrairement à une légende, mais elles furent bien l’œuvre des hommes de Lafont et Bonny.

Loin de se limiter à Paris, Lafont est ses acolytes organisent une milice qui, au printemps 1944, terrorise la Dordogne et la Corrèze, aidant les Allemands à lutter contre les maquisards. Pour la Carlingue, il s’agit d’un macabre chant du cygne car la défaite des nazis approche et avec elle…l’Épuration.

Certains de ses membres passeront à travers les mailles du filet de la police et de la justice françaises… mais pas tous.

Le 27 décembre 1944, Henri Lafont et Pierre Bonny, au terme d’un procès rapide - leur culpabilité ne faisait guère de doute et les preuves s’avéraient accablantes - ainsi que cinq autres de leurs sbires sont fusillés aux abords du fort de Montrouge. Ce châtiment est bien la seule chose qu’ils n’ont pas volée.

Jean-Pierre Bédéï

Épisode suivant Voir la suite
La Résistance
Publié ou mis à jour le : 2025-06-03 19:16:16
Émile (14-06-2025 19:38:53)

Toujours comme un silence gêné sur la BRIGADE Nord Africaine ! Heureusement Patrick Rolli a fait deux ouvrages sur « la BNA « et le « 11 Juin 1944 à MUSSIDAN «  et les villages environnants... Lire la suite

tena beaumont (06-06-2025 10:14:07)

Excellent rappel, j'ai 88ans.

Jimbo (05-06-2025 22:14:39)

Quelques mots sur les « SS Mohamed » pour un descendant d’une famille de Mussidan .

Respectez l'orthographe et la bienséance. Les commentaires sont affichés après validation mais n'engagent que leurs auteurs.

Actualités de l'Histoire

Histoire & multimédia

Nos livres d'Histoire

Récits et synthèses

Jouer et apprendre

Frise des personnages