18 octobre 2018. Dix-sept mois après son élection, le président Macron bascule comme ses prédécesseurs dans l'impopularité. Ses traits de caractère et sa méthode de gouvernement y ont une part de responsabilité. Mais le malaise vient surtout de l'incompatibilité entre une fonction présidentielle quasi-monarchique et une liberté d'action sévèrement bridée par les instances européennes et, dans une moindre mesure, l'OTAN et les États-Unis. De la sorte, le pays peut se satisfaire d'un bon gestionnaire. Nul besoin que le président possède comme le fondateur de la Ve République (de Gaulle) un charisme exceptionnel ou une vision politique de long terme...
Depuis l’affaire Benalla et la révélation de l’impunité dont a bénéficié le garde du corps de l'Élysée, Emmanuel Macron semble jouer de malchance. Oubliées son intronisation royale dans la cour du Louvre, la réception de Poutine à Versailles et la poignée de main virile avec Trump. Le président va de bourde en bourde, depuis la réprimande surjouée à un collégien qui l’avait salué d’un « Manu » familier jusqu’au selfie entre deux jeunes Antillais, pour le coup franchement irrespectueux et vulgaires.
Pris de court par les démissions brutales de deux ministres d’État, Nicolas Hulot (Environnement) et Gérard Collomb (Intérieur), il a eu besoin de deux semaines pour recomposer l’équipe ministérielle avec des « seconds couteaux ».
Ces difficultés rappellent celles de Nicolas Sarkozy et François Hollande. Ces présidents auraient-ils, par une insigne malchance, des faiblesses qui les rendent inaptes à assumer leur fonction ? Les premiers présidents de la Ve République avaient aussi leurs faiblesses mais elles ne les ont pas empêchés de diriger jusqu’au bout le char de l’État avec plus ou moins de fermeté. Seules les deux dernières années des seconds mandats de François Mitterrand et Jacques Chirac ont été gâchées par une grave crise d’autorité.
Les monarques tel Louis XIV avaient soin de toujours employer le « nous de majesté », lequel ne désignait pas leur personne charnelle mais leur personne morale, autrement dit le Trône et l’ensemble de la Nation. Quand le roi proclamait : « Nous avons décidé... », ses auditeurs comprenaient qu’il s’exprimait en porte-parole et arbitre de l’ensemble des institutions représentatives du royaume, quitte à contredire tout ou partie de celles-ci. On ne songeait pas alors à dévisager la personne royale, ses faiblesses et ses tics, son humble enveloppe charnelle. On s’inclinait devant la figure de la Nation.
Rappelons-nous que le seul monarque qui ait employé le « moi, je » est Louis XVI, face aux députés des états généraux, et cela fut perçu comme l'aveu de faiblesse d'un homme désespérant de se faire obéir sur son seul charisme. En abusant du « moi, je » d’autorité (« Je veux », « J’ai décidé »), le président Emmanuel Macron exprime malgré lui cette même angoisse, avec le risque qu'en se plaçant ainsi au milieu de l'arène, il se voit imputer tous les échecs gouvernementaux.
Le président de la République aurait tout intérêt à employer plus souvent le « nous » faussement qualifié de « majesté ». Il apparaîtrait alors comme un arbitre qui exprime un avis consensuel et non personnel. Ses décisions seraient plus facilement acceptées et ses erreurs et faux-pas plus facilement pardonnés. Mais en est-il capable ?
Né en 1977, Emmanuel Macron est l'enfant de son époque. Comme les jeunes déculturés, adeptes des réseaux sociaux et de l'hyperconsommation, il tend à croire que le monde a commencé avec lui et que lui seul compte... Ainsi que le note l'écrivain Kamel Daoud, il est significatif qu'après les attentats islamistes de janvier 2015, les Français défilaient en clamant : « JE suis Charlie ! » cependant que les musulmans du dar al-islam (le monde musulman) répliquaient par le cri : « NOUS sommes Mohamed ! » (c'est-à-dire solidaires du Prophète).
Un pouvoir vide de contenu
En ce XXIe siècle, les présidents ont beau afficher leur autorité à coups de menton auprès de leurs ministres et de leurs concitoyens, leur impuissance n'en apparaît pas moins flagrante sur la scène internationale et en matière de politique économique. Plus décisif que les traits de caractère des uns et des autres, il s’est produit depuis les années 1990 un bouleversement qui a transformé la présidence de la République en « mission impossible ».
La France, comme les autres démocraties de l’Union européenne, a fait le sacrifice de sa souveraineté, vidant de leur substance les mandats électifs et en premier lieu celui du président de la République. À quoi peut donc servir dans ces conditions un président qui a plus de pouvoir que Louis XIV (au moins pendant cinq ans) mais n’en peut rien faire ?
En matière de monnaie, politique industrielle et commerciale, droit civil, protection des frontières et citoyenneté, le président et son gouvernement n’ont pratiquement plus de marge de manœuvre. Pareil en matière diplomatique, militaire et stratégique.
La monnaie unique a divisé plus que jamais les États de la zone euro. Cette monnaie unique avait été voulue par François Mitterrand. En 1989, attaché à une vision dépassée de l’Europe (il était né en 1916), le président craignit que l’Allemagne fédérale se détournât de la France et de l’Europe occidentale pour fonder une nouvelle Mitteleuropa. Il crut habile de la retenir en dissolvant le mark dans l’euro, ainsi que le rappelle le philosophe Marcel Gauchet (Comprendre le malheur français).
Dans les faits, cette monnaie unique a eu des effets désastreux sur les économies européennes (Comment la monnaie unique tue l’Europe) : surévaluée au regard de la France et sous-évaluée au regard de l’Allemagne, elle est responsable d’un déséquilibre commercial entre les deux pays qui n’en finit pas de croître.
Faute de pouvoir rétablir l’équilibre par un simple ajustement des taux de change, le gouvernement français en est réduit d'une part à promettre des aides aux paysans surendettés pour les détourner du suicide, d'autre part à aider les ouvriers à négocier au mieux leurs primes de licenciement !
Comme par ailleurs, il lui faut combler le déficit de monnaie engendré par l’excès d’importations, il doit emprunter massivement à l’étranger et se console en se disant que la bonne image des banquiers de Francfort auprès des fonds spéculatifs lui permet d’obtenir des taux d’intérêt modérés. On se console comme on peut.
Il n’y a pas là de quoi rehausser le prestige de la classe politique, d’autant que celle-ci s’est très largement fait berner par les promesses de la monnaie unique : convergence des économies européennes et prospérité pour tous ! C'est tout le contraire qui s'est produit et, depuis deux décennies, la machinerie européenne n’a qu’un seul but : assurer la survie de l’euro envers et contre tout. Elle a renoncé à lancer de nouveaux projets mobilisateurs comme autrefois Airbus, Ariane, Erasmus… Périsse l’Europe pourvu que survive l’euro. Même le journaliste Jean Quatremer, fervent partisan de l'Europe, a perdu ses illusions sur cette Europe-ci et n'en attend plus rien (note).
Au milieu des années 1980, les dirigeants européens, au premier rang desquels les socialistes français, se sont convertis à l’idéologie néolibérale apparue peu avant dans le monde anglo-saxon (nous en avons détaillé l’origine et le contenu dans l’Histoire de la Crise européenne, le sursaut des années 1980).
Jouant aux apprentis sorciers, ils ont fait de l’Europe un laboratoire du néolibéralisme en appliquant sans aucune restriction ses principes : pas question d'autoriser des politiques industrielles qui favoriseraient un champion national ou même européen ; pas question de faire barrage à l'offensive des Gafa en opposant des concurrents locaux à ces géants de l'internet comme l'ont déjà fait avec succès les Russes et les Chinois (c'est à peine si Bruxelles arrive à leur faire payer des impôts !)...
C'est ainsi que nos dirigeants ont ouvert l’Europe aux bourrasques de la mondialisation et du libre-échange (note) sans prendre garde que leurs principaux concurrents gardaient quant à eux de solides protections.
• Les États-Unis usent et abusent de leur puissance militaire et monétaire. Ils viennent une nouvelle fois de le démontrer en reniant le traité avec l’Iran et en obligeant les entreprises européennes à renoncer à ce marché prometteur.
Ils transforment le traité commercial entre le Canada et l’Union européenne (CETA) en une passoire en obligeant le Canada à souscrire avec eux un traité bilatéral de libre-échange plus avantageux. Quel bénéfice les entrepreneurs européens peuvent-ils attendre du CETA dès lors que leurs concurrents étasuniens bénéficient de meilleures conditions douanières au Canada ? Les Européens auront tous les inconvénients du traité et plus aucun des avantages escomptés.
• Faut-il insister sur la Chine ? Cette économie, devenue la première du monde, est aussi la moins libérale qui soit. Toutes les banques et les entreprises stratégiques sont contrôlées par le gouvernement de Xi Jinping.
Grâce aux devises étrangères récupérées par le secteur bancaire d’État et aussitôt prêtées au gouvernement américain, le gouvernement chinois a pu entretenir artificiellement la sous-évaluation du yuan. Ce dumping monétaire lui a permis de favoriser ses exportations et de ravager les industries occidentales à faible valeur ajoutée (L’arme monétaire de Pékin). Maintenant, il se sert de ses excédents commerciaux pour racheter les entreprises occidentales de haute technologie par l’intermédiaire de ses propres entreprises, fussent-elles bancales et déficitaires.
L’irruption de Donald Trump sur la scène internationale a mis à nu l'impuissance de l’Europe et de la France (Le côté obscur de l'empire américain). Le président américain a renié le traité COP21 signé par son prédécesseur et tourné le dos aux engagements environnementaux pris par l’ensemble des autres gouvernements de la planète sans que personne puisse s’y opposer.
Il a aussi, on l'a vu, renié le traité laborieusement conclu avec l’Iran. Le président Macron, lucide, a perçu la signification de ce geste : « Si nous acceptons que d'autres grandes puissances, y compris alliées, y compris amies dans les heures les plus dures de notre histoire, se mettent en situation de décider pour nous notre diplomatie, notre sécurité, parfois en nous faisant courir les pires risques, alors nous ne sommes plus souverains » (Aix-la-Chapelle, 10 mai 2018). Le président français et ses collègues européens ont-il agi en conséquence ? Que nenni. Ils se sont couchés et nous avec. La conclusion est sans appel et Emmanuel Macron lui-même l’a exprimée publiquement : nous ne sommes plus souverains !
De fait, Paris a abandonné à d’autres (Bruxelles, Francfort, Berlin, Washington…) la grande politique et le domaine régalien : monnaie, échanges commerciaux, politique industrielle, protection des frontières, alliances stratégiques, etc.
Par petites touches, la France et les autres États européens ont troqué leur souveraineté contre une « servitude volontaire » (l'expression est de La Boétie, 1576). Voilà pourquoi les hommes politiques français et le président lui-même n’arrivent plus à se faire entendre. L’hôte de l’Élysée n’a pas plus de pouvoirs qu’un maire de village : il distribue des aides et des permis ; il augmente les taxes ici, les diminue là ; il « fait du social » ou du « sociétal » et place ses hommes aux postes-clé pour affermir son autorité et assurer sa réélection... Ne soyons pas surpris que Gérard Collomb ait lâché le ministère de l'Intérieur pour sa mairie de Lyon, chose qui ne se serait pas vue au siècle précédent quand la France était encore la France, un État souverain et partout respecté. Le ministère de l'Intérieur était alors bien plus riche de sens qu'une municipalité, fut-elle celle de Lyon.
Cette servitude est-elle sans appel ? Disons-nous que la « Grande Nation » dispose encore d’un atout majeur : à la différence de la Grèce (pauvre) ou du Royaume-Uni (marginal), elle occupe une position centrale dans l’Union européenne. Sans elle, l'Union disparaît.
Si le président français agitait la menace d’un référendum sur le Frexit (sortie de l’Union européenne), les autres dirigeants européens seraient bien obligés de l’écouter avec respect et d'envisager avec lui, pourquoi pas ? la fin de la monnaie unique et son remplacement par des monnaies nationales chapeautées par une monnaie commune (voir notre analyse), la protection des activités et des entreprises européennes face au dumping chinois ou nord-américain, le retour à de grands projets mobilisateurs, la création d'une Europe de la défense indépendante des États-Unis...
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Phf (08-06-2022 19:08:17)
Il faudrait savoir: E. Macron est un Jupiter décidant de tout au mépris du Parlement et pour infliger le plus grand tord à la France, ou finalement c’est un roitelet sans pouvoir ? Nous sommes ma... Lire la suite