Créateur de la chirurgie moderne du cerveau et fondateur de l’anthropologie, Paul Broca est à l'origine d'immenses progrès en médecine mais c’est pour sa découverte de l’ « aire de la parole » dans une région du cerveau qu’il est principalement reconnu.
Aujourd’hui, les hommages qui lui sont rendus à travers le don de son nom à des rues ou des hôpitaux posent problème, d'aucuns le soupçonnant d'avoir nourri des théories racistes. Un retour sur son parcours s’impose...
Pierre-Paul Broca naît le 28 juillet 1824 à Sainte-Foy-la-Grande, près de Libourne, dans le sud-ouest de la France. Il est issu d’une famille prestigieuse : son père Benjamin Broca est médecin et chirurgien des armées impériales et sa mère, Annette Thomas, est la fille d'un pasteur protestant, maire de Bordeaux sous la Révolution.
C’est un enfant doué d’une intelligence qui lui ouvre les portes d’une carrière scientifique exceptionnelle. Dès son plus jeune âge, il se passionne en effet pour l’histoire des origines de l’Homme et explore la Dordogne à la recherche de ses premières traces.
À l’âge de 16 ans, il obtient simultanément un baccalauréat en Lettres et en sciences mathématiques. Motivé dans un premier temps par l’idée d’intégrer Polytechnique, il change d’avis pour reprendre la clientèle de son père médecin. Rien de plus naturel sous le règne du « roi-bourgeois » Louis-Philippe qui est aussi contemporain de Balzac et de sa Comédie humaine.
Le jeune Broca entre à la faculté de médecine de Paris dont il sort diplomé à 20 ans, en 1844, âge auquel ses contemporains commencent généralement tout juste leurs études de médecine.
Il y soutient une thèse intitulée « De la propagation de l’inflammation. Quelques propositions sur les tumeurs dites cancéreuses » le 16 avril 1849 à Paris. Louis-Philippe a été renversé un an plus tôt et l'on est au début de la Seconde République, laquelle ne dure guère et laisse la place au retour de l'Empire en la personne de Napoléon III.
Paul Broca n’a encore que 29 ans quand il devient professeur agrégé de clinique médicale à l’Hôpital de la Pitié et chirurgien des Hôpitaux en 1853.
Ses premiers travaux portent sur des sujets variés : histologie du cartilage et des os, traitement de l’anévrisme, cancer ou encore mortalité infantile. Il utilise avec brio le microscope et quelles que soient les recherches qu’il entreprend, ses résultats sont excellents.
Le savant n'est pas moins un homme. Il se marie avec Augustine Lugol, fille de médecin, le 6 juillet 1857. Le couple a trois enfants, une fille, Pauline, et deux garçons, Benjamin et Élie.
Paul Broca est surtout l’un des premiers, en Europe, à s’intéresser à l’hypnose comme technique d’anesthésie chirurgicale.
En 1859, avec son collègue Eugène Azam, il rend compte d’une intervention chirurgicale pratiquée sous anesthésie hypnotique à l’Académie des sciences. Il fonde dans la foulée la Société d’anthropologie de Paris. Elle a 19 membres, la police de Napoléon III interdisant les associations de plus de 20 membres. Elle s'interdit aussi de parler politique ou religion pour complaire à la loi.
En cette même année 1859, décisive dans l'histoire des sciences, Charles Darwin publie à Londres De l'Origine des espèces, un ouvrage qui va changer notre conception de la vie et de son évolution mais aussi nourrir les thèses eugénistes et le racisme...
En attendant, en pionnier de l'anthropologie, Paul Broca crée en 1872 la Revue d’anthropologie puis l’École d’anthropologie de Paris en 1876. Il définit l'anthropologie comme une science dédiée à « l'histoire naturelle du genre humain ».
Mais le travail grâce auquel il est principalement reconnu dans l'histoire de la médecine est sa découverte de l'aire de la parole en 1861. Il publie cette année-là l'autopsie du cerveau de Monsieur Leborgne, un patient qu'il suivait depuis des années et surnommait « Tan-tan » car il ne parvenait à prononcer que ces syllabes.
Mort le 17 avril 1861, Leborgne était atteint d'aphasie, une maladie qui le rendait incapable de parler. Par l'autopsie de son cerveau, Broca parvient à identifier l'origine du handicap : une lésion neurosyphilitique du lobe frontal gauche. Il en déduit que cette zone joue un rôle essentiel dans la production de la parole.
À sa suite, les découvertes de nouvelles zones impliquées dans la production de la parole s'enchaînent. Une décennie plus tard, le neurologue allemand Carl Wernicke découvre notamment l'aire responsable de la compréhension des mots produits dans l'aire Broca.
Sur le plan social, Paul Broca s’investit auprès des plus démunis et cherche à améliorer leurs soins de santé en soutenant l’Assistance publique. Sur le plan spirituel, il s’éloigne petit à petit de la religion protestante au profit de la libre pensée militante.
En 1848, il participe aux débats de « La Libre Pensée », courant de pensée dont l’objectif est de limiter le rôle des religions et des clergés dans la vie publique et privée. Cela lui vaut des critiques de la part des autorités qui le voient comme un subversif, un matérialiste et corrupteur de la jeunesse.
À partir de 1876, Broca fait avancer l’anthropométrie crâniale ou crâniométrie, une technique visant à mesurer les capacités intellectuelles et mentales des individus à partir de l’anatomie du crâne.
Elle s’inscrit dans la continuité d’une science fondée par Franz Joseph Gall (1758-1828), la phrénologie, que le médecin allemand définit ainsi dans le titre d’un ouvrage en 1810 : Anatomie et physiologie du système nerveux en général, et du cerveau en particulier, avec des observations sur la possibilité de reconnaître plusieurs dispositions intellectuelles et morales de l'homme et des animaux par la configuration de leur tête.
Dans son appartement de la rue des Saints Pères dans le VIème arrondissement de Paris, Broca a toute une collection de crânes. Il les mesure, couvrant des centaines de pages de chiffres et de notes. « On a vu que la capacité crânienne des noirs de l’Afrique occidentale (1 372,12 cm3) est inférieure d’environ 100 cm3 à celle des races d’Europe », écrit-il.
Les noirs ne sont pas les seuls à être dans le viseur de Broca. Les femmes en prennent aussi pour leur grade. « On s’est demandé si la petitesse du cerveau de la femme ne dépendait pas exclusivement de la petitesse du corps. Pourtant, il ne faut pas perdre de vue que la femme est en moyenne un peu moins intelligente que l’homme. Il est donc permis de supposer que la petitesse relative du cerveau de la femme dépend à la fois de son infériorité physique et de son infériorité intellectuelle. »
Dans les faits, on sait aujourd'hui que l’anthropométrie crâniale n'a rien à voir avec l'intelligence. Ainsi le cerveau d’Einstein était-il de 10% inférieur à la moyenne !
Au demeurant, Paul Broca lui-même n'est pas dupe. Anti-esclavagiste convaincu, il conteste la notion de supériorité d'un groupe humain sur un autre. Adepte de la théorie évolutionniste de Lamarck, il admet que les hommes actuels peuvent avoir différentes origines (« polygénisme ») sans que cela implique une quelconque hiérarchisation. En cela, il se montre sceptique sur la théorie de Darwin selon laquelle la sélection naturelle conduirait à une amélioration continue de l'espèce et y voit le risque d'une dérive malheureuse.
De fait, cette dérive a pris la forme du darwinisme social. Aussi malheureux que cela puisse paraître aujourd’hui, en cette fin du XIXème siècle où il était de bon ton de contester l'universalisme des Lumières et de la foi chrétienne, la science prétendait avoir réponse à tout et même expliquer les immenses avancées des Européens par leur supériorité intrinséque sur les autres humains !
Si Paul Broca a passé la majeure partie de sa vie à étudier le cerveau humain, le sien finit par lâcher subitement. Il meurt d’une rupture d’anévrisme le 9 juillet 1880 à Paris, à l’âge de 56 ans. Son cerveau est conservé au laboratoire d’anthropologie du Muséum national d’histoire naturelle. Si sa taille était supérieure à la moyenne, l’histoire ne le dit pas…
Outre sa place amplement méritée dans l’histoire de la médecine, le nom de Paul Broca s’est répandu depuis dans le paysage français. Son patronyme a été donné au lycée de sa ville natale, à une rue de Bordeaux, à l’un des trois principaux centres européens de neurosciences, le centre Broca Nouvelle-Aquitaine, à Bordeaux, et également à un hôpital parisien.
L'âge atomique
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