« C'était un nouveau monde, inconnu, inouï, difforme, reptile, fourmillant, fantastique... » Lorsqu'il rédige Notre-Dame de Paris (1831), Victor Hugo ne peut éviter d'évoquer cette « Cour des miracles » qui, croyait-on, s'était développée en plein Paris pendant le Moyen Âge. Située traditionnellement du côté de la rue Montorgueil, cette sorte de société-ghetto aurait rassemblé criminels et mendiants qui se retrouvaient le soir pour profiter de leurs rapines.
En fait, tout cela n'a jamais existé : il s'agit d'un mythe qui est né du développement de la misère dans les grandes villes, aux XVIe et XVIIe siècles. Croissance démographique, déplacements de populations dûs aux guerres, démobilisation des soldats... les miséreux se font de plus en plus visibles et commencent à faire peur. Fini, l'image christique du pauvre ! Les élites, désormais, s'inquiètent et tombent dans le piège de la rumeur selon laquelle toute une société de miséreux vivrait au cœur de la ville.
Déguisés en estropiés, pendant la journée, ils harcèlent le chaland en tout point de la capitale. Mais la nuit, selon ce que l'on croit, ils se replient dans un quartier mal famé adossé à l'ancienne enceinte de Charles V, près de la porte Saint-Denis. Ils « ne sont pas plutôt de retour chez eux, qu'ils se dégraissent, se débarbouillent et deviennent sains et gaillards en un instant » (Dictionnaire historique de Paris, 1779). Cette transformation proprement « miraculeuse » vaut au quartier l'appellation ironique de « Cour des miracles » !
Pour faire face à cette engeance, la capitale disposait avant la nomination de La Reynie de guets, gardes et polices inefficaces, mal gérées et rivales, héritées du Moyen Âge et subordonnées à telle ou telle magistrature ou corporation. Fin stratège, Louis XIV en profite pour se présenter comme garant de la sécurité publique en envoyant en 1667 son premier lieutenant de police, Gabriel Nicolas de la Reynie, disperser ces truands.
Le mythe de la Cour des miracles y survivra grâce notamment à la description d'Henri Sauval, historien du XVIIe siècle qui s'intéressa à l'évolution de la capitale. Voici un extrait de son évocation des bas-fonds :
« De tant de cours des miracles, il n’y en a point de plus célèbre que celle qui conserve encore, comme par excellence, ce nom. Elle consiste en une place d’une grandeur très considérable, et en un très grand cul-de-sac puant, boueux, irrégulier, qui n’est point pavé ; elle se trouve entre la rue Montorgueil, le couvent des Filles-Dieu et la rue Neuve Saint-Sauveur, comme dans un autre monde. Pour y venir, il se faut souvent égarer dans de petites rues, vilaines, puantes, détournées ; pour y entrer, il faut descendre une assez longue pente de terre, tortueuse, raboteuse, inégale. […]
On s’y nourrissait de brigandages, on s’y engraissait dans l’oisiveté, dans la gourmandise, et dans toutes sortes de vices et de crimes ; là, sans aucun soin de l’avenir, chacun jouissait à son aise du présent, et mangeait le soir avec plaisir ce qu’avec bien de la peine, et souvent avec bien des coups, il avait gagné tout le jour ; car on y appelait gagner ce qu’ailleurs on appelle dérober ; et c’était une des lois fondamentales de la Cour des miracles de ne rien garder pour le lendemain. Chacun y vivait, dans une grande licence ; personne n’y avait ni foi ni loi ; on n’y connaissait ni baptême, ni mariage, ni sacrements » (Histoire et recherches des antiquités de la ville de Paris, 1724).