Au cours de l'été 2014, les lecteurs d'Herodote.net et Notre Temps ont été invités à raconter un souvenir marquant de la libération de leur commune, 70 ans plus tôt. Ces témoignages complètent notre récit de la Libération de Paris (25 août 1944).
Voici l'ensemble des témoignages recueillis par Herodote.net. Au total près de 150 récits émouvants, drôles ou tragiques, toujours sincères et inattendus, qui inspireront peut-être plus tard des historiens ou des romanciers.
Trois témoignages ont été primés le 30 septembre 2014 par le ministre délégué aux Anciens Combattants, M. Kader Arif.
Il s'agit de ceux de Lucienne Delannoy (Saône-et-Loire), Gilbert Garibal (Boulogne-Billancourt) et Michel Pesneau (Manche). La lauréate se verra offrir une croisière en Méditerranée pour deux et les deux lauréats un voyage familial en Grande-Bretagne...
Témoignage de Georges HERVE à Broons
Je venais d'avoir 12 ans. Ma mère et moi avions quitté mon Alsace natale depuis l'été 1940. Depuis 1943 nous habitions le village natal de mon père. Celui-ci état prisonnier en Allemagne.
Tous les soirs, ma mère écoutait radio Londres. C'est ainsi que nous avons su, début juin 44 que les Alliés avaient débarqué en Normandie.
Le couvent de Brôons servait d'hôpital militaire aux Allemands qui n'en sortaient huère.
Dans les jours qui avaient suivi le débarquement, des camions de FFI venaient parfois traverser le village à grands renforts de klaxons, arborant le drapeau tricolore. Dans la nuit du samedi au dimanche, les maquisards venaient placarder des affiches à la porte de l'église. Les prix des produits alimentaires y étaient précisés avec menaces contre les paysans qui les dépassaient.
Dès lors, nous étions parfois réveillés le dimanche matin par les paysannes qui nous proposaient du beuure, des oeufs, des poulets...Alors que les mois précédents, il fallait parcourir les hameaux voisins pour trouver quelques produits au prix fort !
On sentait que l'heure avait changé, nous attendions.
Et puis, un après-midi du mois de juillet, la nouvelle nous arriva : des jeunes du village parcouraient les rues en criant, "les Américains arrivent !".
Tout le monde se précioitait vers la grand-place... Et les premiers véhicules militaires arrivèrent de la direction de la gare : tanks, automitrailleuses, des soldats casqués assis dessus, riant, jetant des paquets de cigarettes et des tablettes de chocolat.
Les troupes allemandes avaient disparu comme par enchantement. Il fausait un temps splendide.
Le soir, un grand bal s'organisa sur la place. Je dansais pour la première fois de ma vie. Mes cavalières étaient des jeunes filles plus âgées que moi. Je venais de grandir en une soirée.
Le lendemain, je fus attiré sur la place par des cris. J'y courus, croyant que d'autres Américains venaient d'arriver, mais là, je vécus l'une des plus grandes douleurs de ma vie : quelques femmes, tondues, seins nus, barbouillées de goudron étaient poussées par des hommes armés arborant des brassards rouges. Des habitants du village, ceux-là même qui avaient manifesté leur joie hier, formaient une haie vociférante à ce cortège honteux. J'étais glacé d'horreur.
Soixante-dix ans plus tard, je ressens encore ce sentiment d'horreur devant la barbarie de ces hommes que je ne connaissais pas. Je vois encore ces visages de femmes hagardes, bousculées, conspuées.
Etait-ce cela la Libération ?