Joseph François Dupleix a attaché son nom au premier empire colonial de la France. En moins de trois décennies, il a bâti une fortune colossale et assit sa domination, autrement dit celle de la France, sur une grande partie de la péninsule indienne.
Mais faute d'être compris par le gouvernement de Louis XV, il dut prématurément abandonner son entreprise et rentrer en France. L'empire français des Indes s'effondra au traité de Paris, en 1763, et passa aux Anglais. Reste le souvenir d'une aventure hors du commun...
Fils d'un puissant actionnaire de la Compagnie française des Indes orientales (une création de Colbert), Joseph Dupleix devient en 1720 commissaire des guerres et membre du Conseil supérieur de la Compagnie à Pondichéry.
Dans ce comptoir français situé sur la côte orientale, en pays tamoul, près de Madras (aujourd'hui Chemnai), Dupleix s'enrichit considérablement, par des spéculations audacieuses, tout en accomplissant efficacement ses tâches.
Au bout de dix ans, le voilà nommé gouverneur de Chandernagor, un comptoir secondaire et à l'abandon dans le Bengale, près de l'actuelle Calcutta (Kolkata). Il va réveiller la petite ville en développant un commerce fructueux avec la Chine, dont les produits (soieries, laques...) sont très prisés en Europe. Ces produits sont échangés contre des marchandises d'origine indienne comme le thé.
En 1741, à 44 ans, il épouse une belle veuve, métisse franco-indienne, Jeanne Albert de Castro, que l'on surnomme la « Bégum Jeanne ». L'année suivante, il est nommé gouverneur général des Établissements français en Inde et revient à Pondichéry. Son ambition, désormais, ne va plus connaître de limite.
Le sous-continent indien est alors divisé en de nombreuses principautés rivales, avec des souverains hindous ou musulmans. Le principal État, l'empire moghol, est en pleine déliquescence.
Comme son prédécesseur François Dumas, Joseph Dupleix veut profiter de cette situation pour offrir à la Compagnie une base territoriale et ainsi consolider son emprise commerciale sur le pays. Il noue des alliances avec les princes et leur loue les services de son armée, composée de soldats indiens armés à l'européenne et commandés par des Français. En échange, il reçoit des avantages commerciaux et territoriaux. Son épouse l'aide activement dans ses entreprises grâce à sa connaissance des milieux indiens.
Les Anglais, également présents en Inde, voient cela d'un mauvais oeil, d'autant qu'il sont en guerre contre la France à propos de la Succession d'Autriche. Maîtres de la mer et alliés au nabab du Carnatic (aujourd'hui le Karnataka), ils semblent avoir la partie facile.
Mais grâce à l'arrivée de la flotte du gouverneur de l'île de France, Mahé de la Bourdonnais, Joseph Dupleix réussit à s'emparer de Madras, siège de la Compagnie anglaise des Indes orientales, en septembre 1746.
Là-dessus, Mahé de la Bourdonnais négocie presque aussitôt la restitution de la ville contre 40 000 livres (ce qui lui vaudra d'être embastillé pendant trois ans).
Mais Dupleix, mécontent, refuse l'accord. Il profite de ce que son rival a perdu sa flotte dans un ouragan pour reprendre la guerre contre les Anglais avec le marquis de Bussy. Il peut compter sur quelques centaines d'officiers français et l'appui des princes locaux. Il défend pendant 42 jours Pondichéry, assiégée par la flotte de l'amiral Boscawen. Le traité d'Aix-la-Chapelle, par lequel Madras est finalement cédé aux Anglais en échange de Louisbourg, altère à peine son triomphe.
Ralliant à lui le nabab du Carnatic et le nizam d'Hyderabab, Dupleix arrive à dominer la moitié du sous-continent indien.
Ses entreprises, si prometteuses soient-elles, ont toutefois un prix élevé. Elles absorbent les ressources de la Compagnie et aussi la fortune personnelle de Dupleix, lequel vit avec sa femme dans un faste très oriental. Qui plus est, les Anglais ne relâchent pas leur pression et la guerre menace à nouveau. La Compagnie craint de tout perdre et voudrait s'en tenir au commerce comme précédemment. Le 4 août 1754, Joseph Dupleix est destitué de sa charge de gouverneur des Indes par Godeheu de Zaimont, l'un des directeurs de la Compagnie.
Peu après, le 26 décembre 1754, alors que débute la guerre de Sept Ans, la France concède à son ennemie, l'Angleterre, le « traité Godeheu ». Les signataires conviennent à Madras que leurs compagnies de commerce s'interdiront désormais toute activité politique dans le sous-continent indien. En fait, l'Anglais Robert Clive va reprendre pour le compte de son pays la stratégie d'alliances avec les princes locaux qui avait si bien réussi à Dupleix...
En avril 1758 débarque à Pondichéry un puissant corps expéditionnaire de 8000 hommes commandé par le comte Thomas de Lally-Tollendal. Fils d'un Irlandais entré au service du roi de France, il a été nommé lieutenant général, syndic de la Compagnie des Indes et commandant de tous les établissements français des Indes orientales en remplacement de Dupleix. Mais à la différence de ce dernier, il a de mauvaises relations avec les princes indiens et s'entend mal avec ses propres officiers.
Le 7 mars 1759, Lally-Tollendal doit lever le siège de Madras, défendue par 4000 Anglais et bien ravitaillée par la mer. En janvier 1760, il échoue à reprendre le fort de Vandavasi (Fort Wandiwash), près de Pondichéry. Lui-même assiégé dans le comptoir, il finit par se rendre après une résistance héroïque le 16 janvier 1761. Accusé de trahison et concussion, il sera embastillé puis décapité le 9 mai 1766 en place de Grève, à Paris, après un procès expéditif. Voltaire plaidera pour sa réhabilitation et son jugement sera révisé par Louis XVI en 1778.
À la signature du traité de Paris, en 1763, la France ne conserve plus aux Indes que cinq comptoirs : Chandernagor, Pondichéry, Karikal, Mahé et Yanaon. Ils seront restitués à l'Union indienne en 1954. Quant à Dupleix, confiné en France, il n'a de cesse de plaider sa cause et une indemnité pour la fortune qu'il a perdue. Il meurt quelques mois après le traité qui voit la fin de son rêve.
Guerres
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