Après l’exploration timide de quelques cités englouties et la chasse aux épaves, l’archéologie sous-marine a pris son véritable essor grâce à la mise au point du scaphandre.
Les premières explorations ont lieu au XIXe siècle, à l'initiative des frères Deane, des Britanniques qui découvrent les épaves de deux voiliers, le Royal George et le Mary Rose.
Dès 1917, une équipe de plongeurs bien entraînés plonge sur le site du naufrage du SS Laurentic, un paquebot coulé la même année par des mines dans l’Atlantique alors qu’il transportait des barres de métal précieux. Les Alliés ne peuvent laisser ce trésor au fond de l’eau.
Le succès est impressionnant : la trentaine de tonnes d’or envoyée par le fond est presque entièrement remontée… mais seulement au bout de sept ans, après des centaines de plongées !
Même scénario dans les années trente lorsque des scaphandriers plongent sur l’épave du cargo Egypt, disparu en 1922 dans la Manche, avec des centaines de lingots d’or et d’argent (évalués à l’époque à plus d’un million de livres) : une vaste noria permet de récupérer quasiment toute la cargaison, coulée à cent vingt mètres de fond, mais au bout de dix années seulement.
Dans les années cinquante s’ouvre une nouvelle étape : la mise au point du scaphandre autonome, sans lien avec la surface, autorise une plongée sous-marine plus souple et plus mobile, que les films du Commandant Cousteau vont populariser dans le monde entier.
En s’intéressant en 1952 à l’épave du Grand-Congloué, près de Marseille, Cousteau focalise l’attention du monde scientifique et du grand public sur l’archéologie sous-marine, même si les méthodes de fouille restent rudimentaires. Les plongeurs travaillent sur deux épaves superposées de navires de commerce antiques, datant du II et du Ier siècle avant JC. Ils en remontent des centaines d’amphores, aujourd’hui conservées au Musée des docks romains de Marseille.
L’analyse des timbres imprimés de ces amphores montre l’existence de voies maritimes entre la cité phocéenne et l’Étrurie, l’actuelle Toscane, ainsi que la Grèce.
Le mouvement est lancé, il ne s’arrêtera plus : les fouilles se développent et se professionnalisent avec l’utilisation de la photographie, d’un relevé planimétrique…
À la fin des années soixante, des recherches méthodiques sont menées, toujours près de Marseille, sur l’épave Planier III, un navire de commerce daté de 47 av JC, qui prouvent des importations d’huile, de vin et même des tubes de colorants vers la Gaule Narbonnaise.
Dix ans plus tard, les scientifiques explorent cette fois l’épave de la Madrague de Giens, où gît un voilier de commerce depuis son naufrage vers 70 av JC, chargé de plus de six milles amphores de vin. Les fouilles apportent des informations précieuses sur l’organisation du transport antique, en démontrant que les amphores étaient empilées en quinconce sur trois couches, et calées entre elles avec des brindilles et des branchages pour éviter le frottement et la casse.
Ces différentes fouilles en Méditerranée auront des répercussions considérables et forment les premiers tests grandeur nature de l’archéologie sous-marine moderne.
Les passionnés de la plongée n’ont pas attendu les scientifiques pour découvrir à leur tour le fond des mers. Grâce à la plongée autonome, le grand public a lui aussi accès à des épaves en toute liberté et ne se gêne pas pour fouiller des sites précieux.
C’est le cas de l’aventurier néo-zélandais Reece Discombe, un plongeur professionnel à la recherche des vestiges de l’expédition de La Pérouse, disparue en 1788 à Vanikoro (îles Salomon), en plein Pacifique.
Le plongeur Reece Discombe repère dès 1962 des ancres et des canons pris dans des coraux par quinze mètres de fond, des informations cruciales qu’il partage ensuite avec la Marine Nationale pour authentifier les restes de La Boussole, le bateau de La Pérouse, lors d’une campagne officielle menée sous l’autorité de l’amiral Brossard.
Ces succès donnent des idées à beaucoup de «plongeurs du dimanche», tel le retraité américain Kip Wagner, à l’origine d’une découverte stupéfiante à la fin des années soixante, sur les côtes de Floride : croix incrustées de pierres précieuses, pièces d’or et d’argent, escudos et doublons…
En quelques coups de palmes, le chasseur occasionnel tombe sur une petite partie de la cargaison de la Flotte d’Argent, cette expédition organisée chaque année pour ramener l’or du Nouveau Monde à Séville. Mais en 1715, un énorme ouragan disperse la flottille après son départ de Cuba. Deux cent cinquante ans plus tard, Kip Wagner, féru d’archives, met ainsi la main sur de formidables trésors en plongeant près de la rive.
De quoi réveiller bien des appétits et susciter des vocations dans les années suivantes, car les routes de commerce sont bien connues : cabotage des vaisseaux de l’Europe jusqu’en Inde pour les Portugais, convois chargés d’or en partance des Caraïbes, grands ports stratégiques où les marchandises transitaient…
Les sites chargés d’épaves ne manquent pas ! Dans la seule baie de Montevideo, en Uruguay, plus de 200 naufrages ont été recensés entre 1772 et 1930 ! Aux Açores, on estime que près de 800 navires, dont 90 galions espagnols, attendent d’être visités. Le «banc d’argent», situé sur les côtes de Saint-Domingue (l’ancienne Hispaniola, île découverte par Christophe Colomb lors de son premier voyage en 1492) est une mine d’or à elle toute seule.
Une épave parmi tant d’autre a longtemps attiré les convoitises, celle du galion Nuestra Señora de la Conception, échoué là depuis 1641, les cales remplies des splendides cadeaux du vice-roi, le marquis de Villena, au roi d’Espagne Philippe IV.
Parti de la Havane en direction de Cadix avec une flotte de trente voiles, il essuie une tempête redoutable : les ponts sont couverts de caisses, il faut abattre le grand mât, le navire devient un vrai sabot, il dérive au gré des vents qui finissent par le rabattre sur les écueils de Saint-Domingue où il se casse en quatre et coule. Sur 514 personnes présentes à bord, 300 périssent.
Quarante ans plus tard, le capitaine anglais William Phips repère l’épave et récupère une infime partie de la cargaison grâce aux indigènes. Ses plongeurs utilisent une cloche d’air. En 1978, le navire est enfin retrouvé et le reste du butin remonté à la surface : soixante mille pièces d’argent et or, des lingots, des porcelaines chinoises Ming, de superbes objets en ivoire, trois astrolabes d’époque…
En 1985, après seize années de recherche obstinée, le chasseur d’épaves Mel Fisher met la main sur le galion Neutra Señora de Antocha à une cinquantaine de kilomètres de Key West (Floride) et récupère un butin évalué à quatre cent millions de dollars, composé de quarante tonnes d’argent et d’or, dix mille pièces de real, des coupes, des émeraudes colombiennes, des bijoux, ainsi que des objets qui témoignent de la vie quotidienne au XVIIIe siècle.
Car il n’y a pas que de l’or au fond des océans : si sa présence excite les chercheurs et les rembourse de leurs frais, sa valeur archéologique est tout aussi importante que les bois des structures, les clous, la taille et la disposition de l’épave, la vaisselle, les ustensiles de cuisine ou encore les coffres ou les pistolets, bref, tout ce qui est susceptible de révéler une information, d’être une réelle source historique.
Aux yeux des archéologues, toute épave est à juste titre un Pompéi miniature que certains chercheurs privés transforment parfois en champ de bataille, par ignorance ou voracité, en utilisant trop vite ou bien mal «la suceuse», un aspirateur à boue pratique mais souvent comparé à un bulldozer sous-marin par les archéologues.
Ces différences d’approches suscitent inévitablement des frictions entre les archéologues et les chasseurs professionnels. Ces derniers font valoir, à juste titre, qu’ils sont à l’origine de 80% des découvertes et que sans eux les épaves resteraient méconnues et les objets perdus à jamais.
Les États n’ont pas les moyens ni la souplesse d’engager des fouilles régulières. En revanche, ils peuvent légiférer. Et devant le risque encouru dès l’après-guerre par leur patrimoine sous-marin, ils ont pris des mesures drastiques, à commencer par la France.
Protection du patrimoine
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