Vichy et la Shoah

Alain Michel : « J’ai témoigné au procès de Zemmour »

9 avril 2025. Il y a une semaine, la cour d’Appel de Paris a condamné Éric Zemmour à dix mille euros d’amende pour « contestation de crime contre l’humanité ». Le président du parti Reconquête était jugé pour avoir affirmé le 21 octobre 2019 sur CNews que le maréchal Pétain avait « sauvé » des juifs français pendant l’Occupation.
Auteur d’une magistrale enquête sur Vichy et la Shoah (CLD, 2012), l’historien israélien Alain Michel a été appelé par la défense à la barre des témoins. Il explique ici aux lecteurs d’Herodote.net la portée de l’enjeu pour l’Histoire et ceux qui en font profession…

Je ne remets pas en cause ici ni la bonne foi du tribunal ni son droit à l’interprétation des faits qui lui étaient soumis.

Cependant, il me semble important de faire un certain nombre de remarques et je m’appuierai pour ce faire sur le résumé des attendus du jugement tels que rapportés par l’avocat Michaël Ghenassia dans l’émission La Matinale de RCJ.

Le point essentiel est le fait que le tribunal reproche à Éric Zemmour d’avoir accompli une banalisation outrancière du régime de Pétain en prétendant que celui-ci avait sauvé « les Juifs français » plutôt que « des Juifs français ». Je voudrais ici à la fois montrer les limites de ce reproche, et ses conséquences.

Dans l’émission incriminée, Face à l’Info, Éric Zemmour s’affronte à Bernard-Henri Lévy. En réécoutant l’émission, il est facile de s’apercevoir que dans les quelques secondes que dure cette séquence, ce n’est pas le polémiste qui prononce ces mots, mais bien le philosophe.

Éric Zemmour se contente de rappeler qu’il n’a jamais parlé de Juifs en général. « Français, dites Français », précise-t-il. Bernard-Henri Lévy le reprend en laissant tomber : « Les Juifs français ». Formellement, on peut reprocher au journaliste de ne pas avoir corrigé son interlocuteur mais n’est-ce pas pousser trop loin l’exigence que l’on peut attendre d’un participant à un débat passionné ?

Ce reproche obligerait tout participant à un échange quelconque à faire attention non seulement à ses propres paroles, ce qui est normal, mais également aux propos inexacts exprimés par son alter ego.

La cour d’appel, suivant les arguments des avocats de la partie civile, a considéré qu’en tant que journaliste professionnel, Zemmour aurait dû préciser qu’il s’agissait « des » et pas « les ». L’argument sera sans doute considéré comme « spécieux » par certains, mais « dura lex sed lex », c’est ainsi que les juges ont tranché.

L'émission du 21 octobre 2019 est aujourd'hui indisponible sur CNews mais reprise sur le blog de Bernard-Henri Lévy (avec quelques arrangements cosmétiques). L'échange qui a valu à Éric Zemmour d'être condamné en appel y figure entre la 25e et la 26e minute :

La liberté de l’historien est préservée

Ce qui me semble beaucoup plus intéressant cependant, en tant qu’historien, est le fait que par voie de conséquence, le tribunal légitime tout travail d’enquête qui montrerait que le gouvernement collaborationniste de Vichy a pu sauver une partie « des » Juifs français.

Ainsi ai-je pu légitimement le rappeler en 2012 dans mon livre Vichy et la Shoah. Bien évidemment, ce constat, qui relève d’un long travail d’enquête, ne constitue pas une négation de crime contre l’humanité ! Encore moins une banalisation des crimes de Vichy ! Il n’occulte pas non plus la part très grande des Français ordinaires dans le sauvetage de la majeure partie des Juifs

Si j’avais accepté de témoigner devant la Cour, c’était avant tout pour éviter qu’une décision de justice puisse entraîner une limitation de la libre recherche et de la liberté d’expression des historiens dans le domaine de l’histoire de Vichy. Je me sens maintenant rassuré si mon interprétation est exacte.

Les juristes peuvent-ils se faire historiens ?

Au cours du procès lui-même, je me suis toutefois demandé s’il était pertinent de laisser à des juristes le soin d’évaluer ce qui est légitime ou non en matière de recherche historique.

Je prendrai juste un exemple : l’un des avocats des parties civiles, Patrick Klugman, m’a demandé mon avis par rapport à deux documents :
• Dans le premier, daté du 15 juin 1942, Dannecker, l’envoyé d’Eichmann à Paris, écrit qu’il a été décidé de déporter pour le travail des hommes juifs entre 16 et 40 ans.
• Dans le deuxième, daté du 4 juillet 1942, il est précisé par le même Dannecker que Pierre Laval a demandé que lors de l’évacuation des Juifs apatrides, leurs enfants les accompagnent.

J’ai tenté d’expliquer que voici deux documents séparés par trois semaines pendant lesquelles le contexte avait beaucoup évolué en ce qui concerne le sort des Juifs. Les chercheurs peuvent le voir et le comprendre au prix d’une recherche fastidieuse. Mais peut-on en demander autant à un avocat dont l’objectif est le triomphe de sa cause et non pas la recherche d’une quelconque vérité historique ?

Malheureusement nous ne sommes pas encore arrivés à une période où chacun aurait le courage d’avouer qu’il y a des domaines dans lesquels il n’est pas compétent. Je ne me sens pas de compétence pour trancher en matière juridique. Il serait bon que les femmes et les hommes qui accomplissent un très important travail dans le domaine judiciaire acceptent d’avouer leur incompétence dans le domaine historique.

Alain Michel
Publié ou mis à jour le : 2025-04-16 13:58:22

Voir les 18 commentaires sur cet article

Mothes (25-04-2025 11:36:43)

Très intéressant

Michel51 (22-04-2025 10:07:13)

Hérodote a visiblement servi de lieu de débat entre Laurent Joly et Alain Michel...Néanmoins rien ne remplace un vrai débat direct qu'aurait mérité le sujet...

Michel51 (18-04-2025 09:53:52)

En effet le distinguo "les juifs" et "des juifs" (français) semble le point de bascule qui justifie semble t'il la condamnation (ce qui paradoxalement, comme le fait subtilement remarquer Alain Miche... Lire la suite

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