Les Soviétiques l’ont surnommé le « match de la mort » : une rencontre de football où la victoire signifiait la mort. C’est la menace qui aurait pesé en effet sur les têtes des joueurs du FC Start de Kiev (Ukraine) affrontant le 9 août 1942 une équipe de soldats allemands de l’armée de l’air en finale d’un tournoi organisé par les services de propagande nazis.
Le jeu plus fort que la peur
Lors de l'invasion de l'URSS, la Wechmacht capture des centaines de milliers de prisonniers soviétiques. Mais elle ne tarde pas à relâcher ceux dont elle pense n'avoir rien à craindre. Parmi eux des joueurs du Dynamo de Kiev, un club omnisports créé par la police et le NKVD (police politique) soviétiques.
Au printemps 1942, huit anciens joueurs du Dynamo et trois joueurs du Lokomotiv se rassemblent à l'initiative de l'un d'eux, reconverti dans la boulangerie, et fondent une nouvelle équipe, le FC Start. Ils adoptent l'équipement de l'Union soviétique, maillot et chaussettes rouges, short blanc, parce que c'est tout ce qu'ils ont de disponible.
L'équipe participe à un premier match le 7 juin face à une autre équipe ukrainienne mais dans le cadre d'une ligue créée par des collaborateurs de l'occupant allemand.
Après quelque hésitation, les ex-vedettes du Dynamo poursuivent les compétitions au sein de la ligue. Peut-être dans le désir de rendre à leurs compatriotes le goût de vivre. Elles affrontent des équipes ukrainiennes et d'autres constituées de troupes d'occupation (hongroises ou allemandes), enchaînant victoire sur victoire.
Le 6 août, les voilà face une sélection de la Luftwaffe, la Flakelf. Les Allemands leur suggèrent de ne pas gagner mais les Ukrainiens, bien qu'affamés et amaigris, s'imposent 5 à 1 face à leurs adversaires bien nourris et surentraînés !
Cette victoire de l'« équipe des boulangers » fait mauvais effet sur les autorités d'occupation qui craignent qu'elle ne développe l'esprit de résistance chez les habitants de Kiev. Ceux-ci se montrent au demeurant assez apathiques face à l'occupation allemande qui apparaît à beaucoup comme un moindre mal au regard de ce que fut l'oppression stalinienne.
La Flakelf demande une revanche que le FC Start accepte. La partie s'engage trois jours plus tard sur le stade Zenit.
C'est un match sous haute surveillance par lequel les Allemands veulent humilier la population, laquelle est appelée à remplir les gradins, sous le regard des troupes d'occupation.
Résister malgré tout
Avant le match, selon des témoignages sujets à caution, l'arbitre, un officier SS, se serait rendu dans les vestiaires. S'exprimant en russe, il aurait exigé des joueurs ukrainiens qu'à leur entrée sur le stade, ils saluent leurs adversaires et les officiels par le salut hitlérien.
Après son départ, les joueurs se seraient concertés. Ils auraient hésité sur la conduite à tenir avant de finalement choisir la résistance.
De fait, sur la pelouse, au lieu du salut exigé, ils lancent un slogan soviétique à la gloire du sport repris en chœur par le public. Puis commence le match. Malgré la supposée partialité de l'arbitre, qui aurait fermé les yeux sur les fautes et les coups des Allemands, les Ukrainiens mènent 3 à 1 à la mi-temps.
De retour sur le stade, les joueurs du FC Start ne faiblissent pas. Quelques minutes avant le sifflet de la fin, ils mènent encore 5 à 3. C'est alors que l'un de leurs défenseurs, dans une attaque ébouriffante, pousse le ballon jusque devant les buts adverses, contourne le gardien mais, au lieu de marquer le but, renvoie le ballon au milieu du terrain.
L'humiliation est totale pour la Flakelf. Le public exulte. Au milieu de la liesse, on entend des coups de feu.
Trois joueurs ukrainiens profitent de la confusion pour se noyer dans la foule et disparaître. Les autres seront arrêtés peu après par la Gestapo officiellement du fait de leur appartenance à la NKVD. Trois d’entre eux seront exécutés dans le ravin de Babi Yar où, quelques mois plus tôt ont été massacrés plusieurs dizaines de milliers de Juifs. Plusieurs autres seront déportés dans des camps ou mouront sous la torture.
Il n'est pas pour autant certain que les joueurs du FC Start aient été persécutés en raison de leur victoire mais plus simplement du fait de la guerre et de la répression aveugle, comme d'innombrables autres Soviétiques de leur âge.
Après la fin de la guerre, la propagande soviétique va abondamment exploiter l'événement, baptisé par ses soins « match de la mort ». En 2012, il va donner lieu à un film russe, Le match et entraîner un incident diplomatique avec les autorités ukrainiennes, le réalisateur ayant rappelé la collaboration entre les nationalistes ukrainiens et les nazis.
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Jimbo (09-08-2020 14:29:02)
Pierre Louis Basse a écrit un bon livre Gagner à en mourir sur ce sujet et il aurait mérité d'être cité