Le 27 mai 1942, Reinhard Heydrich (38 ans) est blessé dans un attentat commis à Prague par des résistants tchèques parachutés de Londres.
Il mourra le 4 juin de ses blessures. Il s'ensuivra une vague de répression sanglante contre les Tchèques. Le village de Lidice sera rasé et les sept auteurs de l'attentat (Jan Kubis, Adolph Opalka, Josef Volcik...) tués dans l'assaut de l'église pragoise où ils s'étaient réfugiés.
Homme de confiance de Hitler, Heydrich était « Protecteur du Reich » en Bohême-Moravie et par ailleurs chef des services de sécurité nazis (RSHA) et grand ordonnateur de la « Solution finale ». À ce titre, il fut l'homme le plus puissant d'Europe après Hitler ! Son élimination est le premier coup porté à la toute-puissance nazie.
Fils d'un directeur de conservatoire de musique, Heydrich rejoint en 1931 la Schutzstaffel (SS), le corps d'élite du parti nazi. Le chef des SS, le Reichsführer Heinrich Himmler, séduit par son physique aryen et son intelligence synthétique, lui confie l'organisation d'un service interne de sécurité (Sicherheitsdienst).
Son fanatisme et son efficacité valent à Heydrich d'être promu à la veille de la guerre à la tête de l'Office central de sécurité du Reich (Reichssicherheitshauptamt, RSHA), un organisme tout-puissant qui inclut la police criminelle et la Gestapo, avec le titre de Reichssicherheitshauptamt.
Désormais, il n'est plus seulement le bras droit de Himmler mais l'un des personnages les plus puissants de l'Allemagne nazie. C'est alors qu'il conçoit le projet d'extermination physique des Juifs d'Europe.
Sans cesser d'oeuvrer à cette entreprise, Heydrich est sollicité par Hitler pour devenir « Reichsprotektor in Böhmen und Mähren » (la Bohême-Moravie, aujourd'hui République tchèque).
Très vite, Heydrich instaure l'état d'exception sur le pays et fait couler le sang : massacres, déportations et germanisation forcée. Ses manières ô combien brutales lui valent le surnom de « boucher de Prague ».
L'engagement
Edvard Beneš, président du gouvernement tchécoslovaque en exil à Londres, désespéré par le peu de résultats de la résistance intérieure, a liquidé d'éliminer Heydrich pour rappeler au monde l'existence de la malheureuse Tchécoslovaquie.
Le colonel Moravec, son chef des services secrets, sélectionne quelques volontaires parmi les jeunes Tchèques et Slovaques qui s'entraînent en Grande-Bretagne aux côtés des Britanniques.
Un commando est formé en Écosse. Dans la nuit du 28 décembre 1941, trois groupes sont parachutés au-dessus du territoire tchèque : Jan Kubis et Jozef Gabcik (nom de code : « Anthropoïd »), Alfred Bartos, Josef Valcik et Jiri Potucek (nom de code : « Silver A »), Jan Zemek et Vladimir Skacha (nom de code : « Silver B »).
Le 28 mars 1942, c'est le tour d'Adolf Opalka et Karel Curda (nom de code : « Distance »). Le 28 avril 1942, Josef Bublik, Jan Hruby... (nom de code : « Bioscop »). Le 30 avril 1942, Jaroslav Svarc... (nom de code : « Tin »).
Le Tchèque Jan Kubis et le Slovaque Jozej Gabcik, l'un et l'autre âgés d'à peine trente ans, sont d'anciens militaires, démobilisés après l'annexion de leur pays par Hitler en 1938. Réfugiés à Cracovie, en Pologne, c'est là qu'ils se sont rencontrés et ont noué amitié avant de fuir à nouveau jusqu'en France, puis en Grande-Bretagne pour reprendre enfin le combat.
C'est à eux qu'est confiée l'élimination de Heydrich. Ils ont toute liberté de s'organiser, avec l'aide dévouée des résistants locaux.
Les autres groupes se voient confier d'autres missions comme l'élimination d'Emmanuel Moravek, principal représentant de la collaboration avec l'ennemi.
L'attentat
Au prix de difficultés inouïes, contraints de faire confiance à des patriotes inconnus, les parachutistes organisent de premiers réseaux de renseignements, essentiellement à Prague, où l'anonymat est plus aisé que dans les villages.
Après une soigneuse préparation, les groupes « Anthropoïd » et « Silver A » sont prêts à l'offensive. Ils décident d'attaquer le Reichsprotektor sur le chemin qui le mène quotidiennement, à heure fixe, de sa résidence à son bureau, dans le château qui domine la ville. Ils tirent profit de ce que Heydrich, par orgueil et défi, se plaît à circuler le plus souvent sans escorte, seulement accompagné de son chauffeur.
Le jour venu, Gabcik et Kubis, déguisés en cyclistes, se mettent en position sur la route de Liben, un quartier animé de Prague, dans un virage où la Mercedes de Heydrich est obligée de ralentir. Un peu plus haut, Valcik doit leur signaler avec un petit miroir l'arrivée de la Mercedes de Heydrich.
Une jeune fille de seize ans, Rela Fafkova, doit passer devant eux en voiture : si elle porte un chapeau, c'est que Heydrich est escorté de ses gardes du corps, sinon, c'est qu'il est seul avec son chauffeur... La jeune fille sera ultérieurement exécutée ainsi que toute sa famille.
À 10h25, le miroir de Valcik lance un éclair et voilà que passe Rela Fafkova. Sans chapeau. La Mercedes arrive à son tour. Gabcik, saute au milieu de la route. Il jette son imperméable qui cachait une mitraillette Sten et vise Heydrich, qui est assis à côté de son chauffeur. Mais rien ne se passe. L'arme est enrayée ! De l'autre côté de la chaussée, voyant cela, Kubis prend une bombe et la lance derrière la voiture. Puis il s'enfuit à toutes jambes ainsi que son ami. Le chauffeur tente de les poursuivre cependant que Heydrich, un pistolet à la main, se dresse sur son siège, livide, puis chancelle. Le dos labouré par des éclats, il est bientôt transporté à l'hôpital...
Sans attendre, les nazis mettent Prague en coupe réglée. Dans les maisons qui hébergent les membres du commando, c'est la terreur. On tente de faire sortir les hommes de la ville mais celle-ci est bientôt cernée. À défaut, Gabcik et cinq autres hommes du commando trouvent refuge dans la crypte de l'église orthodoxe Saints-Cyrille-et-Méthode, sous la protection bienveillante et discrète des prêtres. Ils sont rejoints par le capitaine Adolph Opalka, seul officier du commando, qui renonce à une cachette sûre chez une veuve de la ville pour partager leur sort et organiser le combat.
Tandis que Heydrich lutte dans un hôpital pragois entre la vie et la mort, Hitler, furieux, confie à titre temporaire sa charge de « Reichsprotektor » à un fonctionnaire nazi originaire de Karlsbad (Karlovy-Vary), K.H. Frank. Zélé, celui-ci soumet au Führer un vaste plan de représailles.
On commence par fusiller des « suspects » (artistes, fonctionnaires...) et leurs noms s'affichent sur de sinistres affiches rouges. Kurt Daluege, SS Obergruppenführer, promet par ailleurs dix millions de couronnes à quiconque dénoncerait les auteurs de l'attentat. Mais aucun indice ne parvient aux nazis.
C'est alors que le 4 juin 1942, Heydrich succombe à une banale infection consécutive à ses blessures. Son cercueil traverse Prague en grand cortège à la lumière des torches. Il est transporté à Berlin en vue de funérailles grandioses le 9 juin 1942. Chez les Alliés et les Européens soumis au joug nazi, cette cérémonie est source d'immense satisfaction car c'est le premier coup dur qu'ait à encaisser l'État nazi. Mais c'est aussi le signal d'une terrible vengeance.
Dès le lendemain des obsèques, le 10 juin 1942, un détachement de SS, sous le commandement du Standartenführer Max Rostock, investit un paisible village à une vingtaine de kilomètres de Prague. Il a nom Lidice.
On suspecte des membres du commando de s'y être réfugiés. 263 adultes, dont 71 femmes, sont massacrés. Ils sont fusillés par groupes de dix devant un mur. 198 autres, essentiellement des femmes, sont déportés à Ravensbrück et 98 enfants dispersés dans des orphelinats. Quelques-uns au physique réputé aryen seront adoptés par des familles allemandes dans le cadre du programme Lebensborn (16 seulement survivront à l'épreuve).
Le village est incendié et rasé pour ne laisser aucune trace du massacre (deux ans jour pour jour avant celui d'Oradour). Par une insigne maladresse, Hitler et les nazis font une grande publicité à ce crime de guerre, alors que jusque-là, ils avaient eu soin de plus ou moins dissimuler leurs crimes, notamment les massacres de Juifs par les Einsatzgruppen en Europe orientale.
Trois ans après l'occupation de la Tchécoslovaquie et le début de la Seconde Guerre mondiale, trois ans avant l'effondrement du IIIe Reich, l'opinion publique des pays libres et d'URSS est soulevée par une violente vague d'indignation. Sur les avions, les tanks et les bombes, en Angleterre comme en URSS, on peint le nom du village martyr : Lidice. À Washington comme à Rio, on défile au cri de « Lidice vivra ! »
Comble du cynisme, la veuve de Heydrich choisira un emplacement au-dessus du village pour y construire sa résidence, avec les plus belles pierres du village. Après la guerre, prétextant avoir tout ignoré des agissements de son mari, Lina Heydrich, veuve avec quatre enfants, se remariera et finira paisiblement sa vie en 1985 à 74 ans !
La répression, les fusillades et les menaces se poursuivent dans tout le pays. L'un des membres du commando, Karel Curda, réfugié chez sa mère, d'origine allemande, prend peur. Il écrit une lettre anonyme à la gendarmerie tchèque où il donne les noms de Gabcik et Kubis. Le 16 juin 1942, enfin, il se rend au siège de la Gestapo à Prague et livre les noms de différentes familles qui hébergent des membres du commando.
La chasse commence. En quelques heures, les familles sont arrêtées et torturées. Les nazis remontent très vite les filières jusqu'à la crypte de Saints-Cyrille-et-Méthode. Le chef de la Gestapo Otto Geschke fait fusiller toutes les personnes qui ont de près ou de loin aidé le commando, ainsi que leur famille. Puis, le 18 juin 1942, commence l'assaut contre la crypte. Ils sont reçus par des rafales de mitraillette et doivent reculer, non sans emporter avec eux les cadavres de trois résistants dont Kubis et Opalka, qui a avalé une capsule de poison et s'est tiré une balle dans la tête.
Il reste quatre hommes dans la crypte. Faute de mieux, les nazis demandent aux pompiers d'inonder celle-ci. Mais les résistants rejettent à l'extérieur les lances à incendie. Enfin, les SS arrivent à défoncer la porte de la crypte et pénètrent par petits groupes. Après des échanges de tirs, quatre coups de feu puis le silence. Les assiégeants entrent dans la crypte et découvrent les cadavres des quatre derniers parachutistes. Ceux-là se sont donné mutuellement la mort. Huit cents Allemands ont pris part à l'assaut. Leurs pertes sont tenues secrètes !
Les prêtres de Saints-Cyrille-et-Méthode seront fusillés ou déportés, de même que leur évêque. L'église, dans la rue Resslova, entretient avec dévotion le souvenir du drame. Quant au traître Curda, il sera jugé et exécuté en 1947.
L'élimination de Heydrich et l'opération « Anthropoïd » ont inspiré à Laurent Binet, 37 ans, agrégé de lettres, le roman HHhH (Grasset, 442 pages, 20,90 euros). Le titre dérive d'un surnom donné à Heydrich par les SS : « Himmlers Hirn heisst Heydrich » (Le cerveau de Himmler s'appelle Heydrich). Le roman a obtenu le 2 mars 2010 le prix Goncourt du premier roman 2010.
En 2017, un film signé Cédric Jimenez a repris le titre du roman pour décrire de façon très linéaire d'une part l'ascension de Heydrich, d'autre part l'attentat. Il fait suite à plusieurs autres films sur les mêmes sujets, dont Conspiracy (2001, Franck Pierson), avec Kenneth Branagh dans le rôle de Heydrich.
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Voir les 13 commentaires sur cet article
tollet (15-01-2022 03:42:11)
je ne suis pas sur que la population des Sudètes ait été exemplaire dans la résistance aux allemands avant l'invasion du pays par les. Nazis
Letty (15-06-2017 18:40:05)
Dans la série "Holocauste", Heydrich est interprété par l'acteur anglais David Warner, qui je crois est juif, une bonne revanche, non ? L'assassinat n'y est qu'évoqué. Cette série a été très... Lire la suite
Jean-Dominique GLADIEU (15-06-2017 17:44:48)
Dans son livre "HHhH", Laurent Binet fait état de l'hypothèse suivante : Churchill aurait commandité la liquidation d'Heydrich car il craignait que celui-ci ne finisse par renverser Hitler et entam... Lire la suite