L’archéologie sous-marine s’est beaucoup développée dans les dernières décennies du XXe siècle, en lien avec les progrès techniques et l'invention du scaphandre qui ont permis d’aller repêcher des objets au-delà de vingt mètres de fond.
Il s’en est suivi des abus de la part de chasseurs d’épaves professionnels qui n’hésitent pas à piller et saccager des sites archéologiques précieux pour en extraire l’or et les bijoux qui seuls les intéressent.
La France a été tôt sensibilisée à ce problème car l’enjeu est pour elle important. Deuxième propriétaire maritime de la planète avec ses 11 millions de km2 de zone économique exclusive, elle a des droits exclusifs sur 150 000 à 200 000 sites sous-marins à découvrir.
En 1966, le ministre français des Affaires culturelles André Malraux réagit à la multiplication des découvertes sous-marines intempestives en créant le DRASM (département des recherches archéologiques sous-marines, aujourd'hui DRASSM).
Cet organisme a pour vocation de gérer le patrimoine sous-marin de la France, réglementer les fouilles et faire appliquer la loi sur les biens culturels maritimes.
En clair, dès qu’un vestige est découvert dans les eaux territoriales, il est obligatoire de le déclarer auprès des autorités. Auparavant, un partage était toujours possible entre le découvreur et l’État, mais la législation s’est durcie et tous les trésors sous-marins sont désormais la propriété de la France, une prime pouvant être versée selon l’intérêt scientifique de l’épave.
Cette approche peu gratifiante n’incite guère les chasseurs à investir dans l’inconnu… Alors, le DRASM procède lui-même à des campagnes officielles de fouilles, comme ce fut le cas sur le site du naufrage de l’expédition La Pérouse. Il a lancé entre 2012 et 2016 quatre campagnes de fouilles de l’épave de La Lune, un navire de guerre de Louis XIV qui coula en rade de Toulon au retour d’une expédition en petite Kabylie – l’épave gît par 95 mètres de fond.
Le gouvernement français peut également accorder des autorisations de sondage ou de prospection, la fouille pouvant alors se dérouler en toute quiétude, même si les contraintes restent très lourdes et en découragent plus d’un. Dommage, car le potentiel est gigantesque, tant sur le plan culturel qu’économique. Il serait donc logique que les entreprises privées en obtiennent un plus grand nombre dans les années à venir, à condition qu’elles jouent le jeu et que les règles de partage soient claires…
Hors de France, notamment dans les pays émergents, le partage 50/50 est admis mais avec toutes les complications inhérentes à des régimes plus ou moins corrompus. Avec les Anglo-saxons, le système est bien rodé, le découvreur repart rarement les mains vides, les plus beaux objets sont récupérés par l’État et le reste vendu aux enchères (une amphore antique peut se négocier entre cinq et dix mille euros).
La tension peut monter d’un cran quand les États s’affrontent sur un magot conséquent. Ainsi en 2008, l’Espagne interpelle la Maison-Blanche lorsque l’entreprise américaine Odyssey Marine Exploration, spécialisée dans la chasse aux épaves, commence à remonter de l’Atlantique dix-sept tonnes d’objets précieux d’une valeur dépassant les trois cent soixante-dix millions d’euros !
Pour l’Espagne, très attentive aux manœuvres de la société, il s’agit de la frégate Nuestra Señora de Las Mercedes, disparue en 1804, de retour du Pérou avec les biens accumulés depuis des années par des militaires et commerçants espagnols.
Il faut dire que Madrid entend bien protéger son remarquable patrimoine sous-marin et le butin perdu de ses anciennes colonies. D’après son ministère de la Culture, au moins 400 navires se sont échoués autour du détroit de Gibraltar, avec dans leurs entrailles des trésors dépassant un milliard d’euros !
La jurisprudence qui sortira de ce premier bras de fer aura une valeur décisive. Selon Odyssey, le site de l’épave ne relève d’aucune souveraineté, ce qui les autorise à conserver 90% du butin si aucun État ne prouve l’identité du navire au moment du naufrage… L’Espagne s’acharne donc à démontrer que près de 20 000 pièces extraites de l’eau ont bien été frappées à Lima au XVIIIe siècle. La justice vient tout juste de donner raison à Madrid, mais Odyssey, désireuse de rentrer dans ses frais, a fait appel…
Se dirige-t-on pour autant vers une archéologie sous-marine privée ? Les enjeux sont énormes et les motivations différentes. L’archéologue n’est pas pressé et s’intéresse par définition à toute épave, le chasseur veut arriver le premier là où un butin est sans doute enfoui.
La chasse aux épaves ne fait donc que commencer… sans compter que les possibilités de recherche se démultiplient avec l’arrivée des robots articulés et les mini sous-marins automatisés, qui permettent d’atteindre des fonds de 4 000 ou 5 000 mètres, voire 10 000 mètres.
Pour la première fois, des caméras ont ainsi filmé l’épave du Titanic par près de 4 000 mètres de fond dans l’Atlantique nord. Dès 1987, soit deux ans après son repérage, des clichés saisissants ont été pris du navire où 1500 personnes ont péri lors du naufrage de 1912.
Ils ont permis de mieux identifier les causes du naufrage, notamment les six entailles le long de la coque, par lesquelles des tonnes d’eau se sont engouffrées dans les compartiments, démentant une bonne fois pour toute l’hypothèse d’une brèche béante ouverte par le sinistre iceberg.
Un millier d’objets ont été peu à peu remontés, comme autant de témoignages de la vie à bord et de reliques pour les familles des victimes : effets personnels, vaisselle, billets de banque, papiers d’identité… Tous restaurés, ils sont conservés par la RMS Titanic Inc, société commerciale détenue par des investisseurs anglo-saxons, et font l’objet de multiples expositions à travers le monde.
Pour certains, il s’agit ni plus ni moins d’un pillage de tombes, sans compter les dommages provoqués sur le site par les submersibles – «des éléphants dans un magasin de porcelaines» selon des spécialistes. D’autres répondent que ce sauvetage est un devoir de mémoire et que de toute façon l’épave aura disparu en 2030 : il était donc temps d’en retirer ce qui pouvait l’être, et de rendre témoignage.
L’épopée du Titanic, largement médiatisée, a prouvé au monde entier qu’aucun site n’est désormais inaccessible, surtout pour des entreprises privées capables de lever d’énormes investissements pour aller récupérer les pactoles disparus en eaux profondes. La récente découverte de la société Odyssey, au large de l’Irlande, le prouve : elle est parvenue à identifier, à plus de 4 700 mètres de profondeur, le cargo SS Gairsoppa, coulé par les Allemands en février 1941 tandis qu’il rentrait d’Inde chargé de thé et d’argent.
Prudente, la société a négocié à l’avance avec le gouvernement britannique : elle conservera 80% du butin (cent cinquante millions d’euros sous forme de lingots d’argent) et cédera le reste à l’État. Ce genre d’accord risque de se multiplier à l’avenir, tant il est vrai que les gouvernements n’auront pas forcément les fonds pour aller fouiller des épaves trop endommagées ou gisant dans des eaux trop profondes.
La chasse au trésor n’en est qu’à ses débuts, et les opérations futures peuvent se révéler très rentable… Le potentiel de recherche est énorme : l’Unesco estime à plus de trois millions les épaves disséminées au fond de l’eau ! Certains spécialistes avancent que 40% des métaux précieux extrait par l’homme depuis l’Antiquité gît sous les flots.
L’un des trésors les plus mythiques reste celui du Soleil d’Orient, un vaisseau français de mille tonneaux disparu au sud de Madagascar en 1681, les cales remplis de cadeaux d’un luxe inouï envoyés à Louis XIV par le roi de Siam : l’équivalent de huit cent mille livres de l’époque en objets somptueux, dont deux éléphants en or massif caparaçonnés de pierres précieuses… De quoi satisfaire les historiens et les passionnés.
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Amie de Kauko (05-11-2016 07:32:31)
Merci pour cet article tout à fait passionnant. L'archéologie marine peut nous éclairer tellement sur notre passé, pas seulement à travers les objets précieux, mais surtout par la remontée des ... Lire la suite