L'impossible réforme territoriale

Villages en sursis

La France a hérité de son lointain passé un total de 36 000 communes dont une très grande majorité de villages de quelques dizaines à quelques centaines d'habitants. Cette richesse patrimoniale est devenue une source majeure de coûts et de blocages du fait de la dispersion des moyens et des responsabilités. Mais comment y remédier ? Voici notre analyse et notre proposition...

Avec ses 36 000 communes, la France fait figure d'exception en Europe, les autres grands pays en ayant tout au plus 4 000 à 6 000.

Créées par l'Assemblée nationale constituante, le 14 décembre 1789, les communes sont les héritières des villes et des paroisses rurales d'Ancien Régime. Ce sont à ce titre les plus anciennes circonscriptions françaises (après les départements).

Grandes ou petites, elles ont toutes un conseil municipal et un maire élus au suffrage universel, et un budget propre. Ce budget est alimenté par les impôts locaux et varie dans de grandes proportions selon que les contribuables sont aisés ou non, et plus ou moins pressurés par l'équipe municipale. Il est en partie seulement corrigé par des dotations de l'État.

Témoins d'un maillage territorial hérité du Moyen Âge, les communes rurales conservent envers et contre tout de beaux restes : charme des paysages et vie sociale. La disparition des rituels festifs attachés à l'agriculture et à la religion (rogations, moissons, vendanges...) a été en partie compensée par les fêtes votives, les repas communautaires, les vide-greniers et autres occasions de retrouvailles. 

Exode rural

Les communes rurales ont en général atteint un pic de population au milieu du XIXe siècle, vers 1860. Depuis lors, elles ont vu leur population diminuer, d'abord en raison de la dénatalité, ensuite des pertes de la Grande Guerre. Après la Seconde Guerre mondiale, l'exode rural s'est accéléré, alimentant l'expansion industrielle et l'urbanisation du pays.

Depuis les années 1980, on assiste à un mouvement en sens inverse du fait de l'urbanisation de l'espace rural. Fuyant les centre-villes devenus inaccessibles et les banlieues réputées invivables, les familles des classes moyennes s'installent à la périphérie des agglomérations, jusqu'à des distances de cinquante ou soixante kilomètres du centre. 

Sur la voie rapide qui mène de Toulouse à Saint-Gaudens (70 kilomètres), dans la vallée de la Garonne, on assiste désormais à un mouvement pendulaire qui n'a rien à envier aux encombrements de la région parisienne : trafic saturé le matin en direction de Toulouse et le soir en sens inverse. De ce fait, beaucoup de communes rurales voient à nouveau leur population croître, mais en se transformant en « cités-dortoirs » et sans regagner les institutions et les notables qui faisaient d'elles des communautés villageoises.

À l'écart des agglomérations et de ce mouvement de « rurbanisation », la grande majorité des 36 000 communes françaises continuent de voir leur population  décroître. La plupart ne comptent plus que quelques dizaines ou quelques centaines d'habitants à la moyenne d'âge très élevée. Trop petites, elles ne sont plus en mesure de résister à leur déclin. Elles ne peuvent compter que sur des Anglais ou des Parisiens aisés pour acheter et restaurer une fermette à l'abandon.

Ce dépeuplement s'accélère de lui-même. À mesure que diminue la population, le coût relatif des administrations par habitant s'accroît mécaniquement jusqu'à ce qu'un(e) ministre issu des cénacles parisiens finisse par conclure à la nécessité de fermer ces administrations (tribunaux, hôpitaux, écoles, collèges, bureaux de poste...). 

L'État et ses agents abandonnant les régions rurales, les jeunes médecins libéraux ne voient pas de raison d'agir différemment (ce qui leur vaut d'être stigmatisés par ceux-là mêmes qui ont décidé la fermeture des administrations !). Tant pis pour les habitants condamnés à rester sur place et bonne chance aux téméraires qui auraient envie de s'installer. Dans beaucoup de villages, aujourd'hui, le principal employeur est la maison de retraite et les rares jeunes qui persistent à y demeurer ne se voient d'autre débouché que l'assistance aux personnes âgées.

Nos hommes politiques aiment-ils la France ?

On peut s'interroger sur l'amour que les hommes politiques français portent au pays profond... Y voient-ils autre chose qu'un réservoir d'électeurs dociles ?
À quoi rêvent-ils tandis que meurent les villages et se délite le tissu rural ? À de grandes métropoles « de taille européenne » qui seraient à la tête de grandes régions qui rivaliseront avec les Länder d'outre-Rhin ! « Grand Paris », « Grand Montpellier », « Grand Dijon »... Voilà leur horizon. On pourrait épiloguer sur la dimension pénienne ou sexuelle de ce fantasme de grandeur. Plus sérieusement, on peut s'interroger sur sa pertinence.
Y a-t-il un quelconque lien entre la taille d'une ville et sa prospérité ? Que nenni. Aucune ville allemande ne dépasse en population le tiers de l'agglomération parisienne. Aucune ville suisse ou scandinave ne dépasse la taille de l'agglomération lyonnaise. Toute la prospérité de ces pays repose sur les usines disséminées dans les petites villes et les villages.
À chaque village, son usine. C'est un schéma que l'on rencontre encore dans quelques régions françaises : la Vendée, l'Alsace, le Boulonnais... Mais il est gravement mis à mal par la priorité politique donnée aux métropoles, lesquelles sont des lieux de pouvoir, d'administration et de consommation, avec leurs quartiers résidentiels et leurs cités pour immigrés, mais ont depuis longtemps cessé d'être des lieux de production.
Abandonnant le modèle médiéval à l'origine de notre décollage économique, nous nous orientons vers le modèle prédateur des métropoles de l'Antiquité ou de l'Orient, qui consomment simplement les ressources procurées par le peuple laborieux des campagnes. Il n'est pas sûr que ce soit le modèle que souhaitent la grande masse des citoyens français.

Villages sous-administrés

Les villages réduits à la taille d'un hameau et seulement habités par des personnes âgées ne retrouveront jamais leur vitalité d'antan. Dans la Creuse, par exemple, sur 266 communes, on en compte une vingtaine seulement qui dépassent le millier d'habitants et une seule, le chef-lieu Guéret, qui dépasse 10 000 habitants. Avec cela, le département compte 266 maires, au moins autant d'adjoints et quelques milliers de conseillers municipaux.

Malgré leur bonne volonté, les élus sont impuissants à stopper l'agonie de leur village. Retraités de l'agriculture pour la plupart, ils n'ont d'autre choix que de déléguer leurs missions d'intérêt général (collecte des ordures ménagères, entretien de la voirie...) à des sociétés d'économie mixte locales, dont la gestion leur échappe complètement ainsi qu'à leurs électeurs.  Avec le budget qui leur reste, ils font du saupoudrage sans grande utilité pour la pérennité du village : éclairage public, goudronnage de chemins, subvention aux associations locales, éventuellement construction d'une salle des fêtes.

Un regroupement s'impose pour sauver ce qui peut l'être du tissu rural, dans la Creuse comme dans les Ardennes ou les Hautes-Alpes. Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, les gouvernants ont encouragé les communes à fusionner entre elles en leur offrant pour l'occasion une dotation financière. Quelques téméraires ont surmonté leurs réticences et s'y sont résolus. Mais les réussites demeurent en général très rares et beaucoup de fusions ont même abouti à des « défusions ».

On a depuis lors tenté d'associer les communes rurales sous la forme de pays, de communautés de communes et d'intercommunalités, avec des dirigeants cooptés et non élus, auxquels les électeurs ne peuvent donc demander des comptes. Cette solution n'a remédié ni à la dispersion des budgets communaux, ni à l'absence de perspective à long terme. Elle s'est traduite par une grande opacité dans la gestion des sociétés d'économie mixte locales en charge des missions d'intérêt général (rémunérations...). Plus fort encore, elle s'est soldée en général par des coûts supplémentaires très importants, tout simplement parce que l'on a mutualisé les services communaux (informatique, culture etc) sans pour autant supprimer les services préexistants au niveau des communes !

Ainsi est-il habituel que des communes disposent de leur propre service informatique ainsi que de musées, médiathèques etc, en concurrence avec les mêmes services au niveau de l'intercommunalité.

Parlons gros sous

Le principal obstacle à une réforme en profondeur du tissu communal vient de l'hostilité des maires et de leurs adjoints. Ceux-ci craignent d'y perdre leur statut social et aussi leurs indemnités financières !
Le maire d'une petite commune coûte environ 600 euros par mois et son adjoint 200 euros. Le total des indemnités financières pour l'ensemble des petites et très petites communes s'élève donc à 300 millions d'euros environ. Il serait dommage que la réforme du tissu communal achoppe sur cette dépense somme toute modeste au regard des enjeux.
Si l'on veut que les élus des petites communes cessent de s'opposer à la réforme communale, cela se peut en maintenant à titre symbolique ces communes ainsi que leur maire et leur adjoint, avec leurs indemnités et une fonction purement consultative (voir plus loin l'élection des conseillers et du maire). 

Opération chirurgicale

Les obstacles au regroupement des communes pourraient être surmontés avec une formule analogue aux « conseils d'arrondissement » de Paris, Lyon et Marseille. Il s'agit de regrouper les communes dans des « supercommunes » de taille convenable (au moins 5 à 8 000 habitants), autour de leur chef-lieu de canton ou de leur agglomération-centre, avec un conseil municipal démocratiquement élu.

- élection des conseillers et du maire :

Suivant le modèle PLM (Paris-Lyon-Marseille), les électeurs ruraux continuent d'élire le conseil municipal et le maire de leur commune habituelle. Une partie de ces élus des communes de base est ensuite appelée à siéger au conseil municipal de la « supercommune » (nous pouvons l'appeler « municipalité » pour la distinguer des communes de base) et à élire son maire.

On peut aussi plus simplement imaginer que les citoyens élisent deux listes, l'une pour leur commune, l'autre pour la « supercommune » ou « municipalité »... L'avantage est que le choix du maire principal se fait sur une base élargie à l'ensemble de la population de la « supercommune », avec toutes les chances de pouvoir élire une personne relativement jeune et formée à la gestion.

NB : dans tous les cas, les maires des communes ordinaires et leurs adjoints conservent leurs indemnités, cette concession étant destinée à réduire les oppositions à la réforme.

- budget communal :

Pour remédier aux doublons et au chevauchement des compétences, seule la « supercommune » ou « municipalité » dispose d'un budget.

Principal avantage : un budget unique au niveau de la « supercommune » au lieu de micro-budgets communaux. Relativement consistant, ce budget permet d'envisager non plus du saupoudrage mais des investissements durables, avec un objectif prioritaire : renforcer les services (santé, commerces, transports, administrations) de façon à faciliter la vie de tous les habitants et encourager l'installation de familles et d'entreprises.

Disposant d'une taille critique et d'un budget suffisants, avec un maire apte à diriger des services complexes, la « supercommune » peut aborder de front son avenir. Rien ne l'empêche, si besoin, de déléguer des missions aux représentants des communes ordinaires. Ainsi seraient conciliées l'efficacité gestionnaire,  la démocratie et la permanence des anciennes communes, elles-mêmes héritières des paroisses d'Ancien Régime et des villages médiévaux. Ainsi disparaîtraient surtout ces horreurs technocratiques dont nous avons évoqué plus haut les inconvénients (fonctionnement non démocratique, rémunérations opaques) : pays, communautés de communes... sans compter les Métropoles, nouvel ectoplasme non démocratique inventé pour complaire aux notables des grandes agglomérations.

Appliqué à la Creuse par exemple, le regroupement aboutirait à la création d'une vingtaine de « municipalités », centrées sur les communes de plus d'un millier d'habitants. Ces « supercommunes » de bonne taille deviendraient les points de fixation des services futurs, les animateurs d'une véritable politique de développement et l'âme du renouveau rural.  Ne nous leurrons pas, ces « supercommunes » ou « municipalités » ne sauveront pas les plus petits villages, au moins à court terme. On peut au moins espérer qu'elles restaurent des services publics harmonieux dans les bourgs centraux, de façon à encourager le maintien - voire le retour - des entrepreneurs, des professions libérales et des familles.

L'alternative à cette réforme communales est le dépérissement de l'ensemble du tissu rural, jusqu'à ne plus conserver qu'un désert piqueté de quelques métropoles tentaculaires. Est-ce cela que nous voulons ?

André Larané
Publié ou mis à jour le : 2022-04-23 16:05:39
Patrice Devienne (24-05-2013 22:44:08)

Il me paraît utile d’apporter une précision de vocabulaire. L’expression syndicat d’économie mixte intercommunal est inappropriée. Il existe des syndicats de communes, (uniques ou à vocatio... Lire la suite

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