Le monde russe entre nostalgie et futur

Géorgie : le retour d'Ivan le Terrible ?

18 août 2008. Confrontée à la sécession de la petite province musulmane d'Ossétie du Sud, la Géorgie tente le 7 août 2008 de la réduire par la force. La Russie prend prétexte de cette agression pour aussitôt envahir son voisin. C'est la première intervention militaire du président russe Vladimir Poutine hors de ses frontières, une intervention au demeurant peu brillante qui révèle les insuffisances de l'armée russe...

Le drame est tombé comme la foudre dans un ciel d'orage. Tandis que l'opinion mondiale n'avait d'yeux que pour les prochains Jeux Olympiques de Pékin, la secrétaire d'État américaine Condoleezza Rice se rendait le 10 juillet 2008 à Tbilissi, capitale de la Géorgie, pour s'entretenir avec le président Mikheïl Saakachvili (40 ans), diplômé de Harvard, élu à la tête du pays en 2004, deux ans après la « Révolution des roses ». Sans doute ont-ils évoqué la candidature de la Géorgie à l'OTAN, un motif d'irritation pour l'ancien tuteur russe. L'a-t-elle assuré de son soutien face aux pressions de Moscou ou au contraire mis en garde ? On ne le saura jamais...

Au même moment, le gouvernement russe concentrait des troupes à la frontière de la Géorgie, sous le prétexte de protéger les habitants de l'Ossétie du Sud, un territoire sécessionniste, grand comme la Lozère (70 000 habitants pour 3 500 km2). Mais dans le même temps, il faisait mine de désapprouver les Abkhazes et les Ossètes qui agressaient quelques patrouilles géorgiennes sur la ligne de cessez-le-feu.

Mikheil Saakachvili a-t-il vu dans l'attitude des Russes et des Américains un encouragement à agir ? D'après des télégrammes diplomatiques américains publiés par Wikileaks et Le Monde (3 décembre 2010), il pensait que les Russes le laisseraient agir en Ossétie du Sud mais resteraient intraitables sur l'Abkhazie. Et sans doute imaginait-il que sa candidature à l'OTAN lui vaudrait le soutien de l'Occident.

Toujours est-il que le président géorgien, jusque-là loué par la presse occidentale pour son flair politique, a pris le risque, le 7 août 2008, de réoccuper militairement l'Ossétie du Sud. La réaction russe a été instantanée et brutale. L'armée russe, encore vétuste, sous-équipée, taraudée par l'indiscipline et la maltraitance, mais surdimensionnée par rapport à l'armée géorgienne, n'a fait qu'une bouchée de celle-ci. Elle l'a chassée d'Ossétie du Sud mais également d'Abkhazie, menaçant même la capitale Tbilissi et ravageant au passage une grande partie de ce pauvre petit pays.

Les Occidentaux dans l'embarras

L'intrusion de la Russie dans les affaires intérieures d'un État souverain, la Géorgie, a plongé chacun dans l'embarras. Les chancelleries ont craint de fâcher le fournisseur privilégié de l'Union européenne en pétrole et gaz.

Nicolas Sarkozy, en qualité de président en exercice de l'Union européenne, interrompit ses vacances pour transmettre aux belligérants, le 12 août, une demande de cessez-le-feu avec les formules d'usage. Il eut le soutien implicite du président américain George Bush Jr, peu soucieux de s'engager personnellement dans cette affaire alors qu'il arrivait en fin de mandat.

Les Russes, sûrs de leur force, se payèrent le luxe d'annoncer ledit cessez-le-feu dès le 11 août, avant même que le Français ne leur en fasse la demande, tout en se gardant de l'appliquer sur le terrain. Cela nous valut un morceau d'anthologie journalistique avec cette Une du quotidien Le Monde : « Comment la France a arraché l'amorce d'une négociation » (13 août 2008)... Arracher une amorce de négociation ? Diable, voilà de quoi réjouir les victimes des missiles et des chars.

Le 8 septembre 2008, les Russes n'ayant toujours pas retiré leurs forces de Géorgie, Nicolas Sarkozy fut contraint à une nouvelle médiation à Moscou et Tbilissi. Après bien des atermoiements, l'armée russe s'installa pour longtemps dans les territoires d'Ossétie du Sud et d'Abkhazie.

Victoire de la force sur le droit

Vladimir Poutine, Premier ministre russe mais véritable maître du pays, a donc gagné sur toute la ligne. Ce tsar plus vrai que nature a ramené la Géorgie dans le giron russe et forcé les Européens à s'incliner devant l'usage de la force.

Tout est dit dans une déclaration de Nicolas Sarkozy à son homologue Dimitri Medvedev, le 12 août, au Kremlin : « Il est parfaitement normal que la Russie veuille défendre ses intérêts ainsi que ceux des Russes en Russie et des russophones à l'extérieur de la Russie ». Les commentateurs, curieusement, n'ont pas relevé malgré son caractère stupéfiant, cette formule empreinte d'un gros bon sens prudhommesque, dans la manière du président français, légitime par avance une intervention russe dans les pays baltes, membres de l'Union européenne, pour le cas où des ressortissants russophones de ces pays viendraient à se plaindre d'être opprimés... De la même façon, sur la base du même principe, on pourrait imaginer que, demain, des Wallons francophones appellent l'armée française à les protéger contre leurs voisins flamands !

André Larané
Fatalité russe, aveuglement occidental

La Russie a perdu avec Mikhaïl Gorbatchev (1986-1991) une rare occasion d'échapper à son destin. En dédaignant de soutenir ce courageux réformateur, émule du tsar libérateur Alexandre II, les Occidentaux portent une lourde part de responsabilité dans son échec. Avec son successeur, le fantasque Boris Eltsine, la Russie est retombée dans ses ornières. Une nouvelle oligarchie, issue de la nomenklatura soviétique, a fait main basse sur les reliques de l'ancienne URSS, ressources naturelles incluses, sous les applaudissements des idéologues néolibéraux d'Occident. En reprenant à leur compte le galimatias marxiste sur les vertus de l'« accumulation primaire du capital » (!), ceux-ci s'étaient convaincus que la nouvelle classe de possédants était le préalable indispensable à l'avènement d'une économie de marché capitaliste et d'un État de droit !
Dans les faits, comme au temps des tsars ou des Soviets, le pouvoir et les richesses sont captés par une étroite minorité de privilégiés, cependant que les masses russes supportent arbitraire et dénuement. Le pillage du pays sous couvert de démocratie a achevé de convaincre le peuple russe de l'inanité du modèle occidental de développement. Voilà comment la Russie en est revenue avec Vladimir Poutine aux recettes du passé, celles d'Ivan le Terrible, Pierre le Grand et Staline : un « petit père » protecteur mais ferme au service d'une Russie respectée. Mais le temps n'est plus où la Russie débordait de forces vives, jusqu'à pouvoir sacrifier 20 millions d'hommes dans la lutte contre le nazisme.

Publié ou mis à jour le : 2023-09-12 10:07:50

Voir les 13 commentaires sur cet article

Roland Pirard (30-08-2008 01:15:23)

Dans l'affaire géorgienne, la Russie tente, pour la première fois depuis près de 20 ans, de contrecarrer les plans américains de la démanteler complètement. Depuis la fin de la Guerre froide, n... Lire la suite

Michel Cotte (30-08-2008 00:56:23)

L'article prend fait et cause pour Saakachvili contre Poutine, avec des arguments qui pourraient se retourner si on les appliquait au Tibet (le président chinois ne serait alors coupable que "d'éven... Lire la suite

Claude Rochet (30-08-2008 00:53:48)

Il est regrettable qu'Hérodote confonde l'histoire et le commentaire de l'actualité dans l'affaire géorgienne. Certes, vous rappelez la provocation du président géorgien poussée par les Etats-... Lire la suite

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