22 avril 2013

Crise ? Révolution ? Les médias à l'école de l'Histoire

En quête de clés pour trouver un sens aux bouleversements du monde actuel, plusieurs médias français se tournent vers l'Histoire. Que penser de ces approches par analogies ?...

Signe du désarroi contemporain, deux hebdomadaires français font, dans la même semaine, leur couverture sur l'Histoire.

Le Point se demande crûment : Sommes-nous en 1789 ? Comment naissent les Révolutions. Quant au Nouvel Observateur, il lance : C'était les années 30... Sont-elles de retour ? Crise, chômage, scandales, xénophobie, extrême-droite...

Bien qu'ils cultivent habituellement, l'un et l'autre, une vision très « européenne », les deux magazines se concentrent très prioritairement sur la France, comme si ses problèmes et leurs remèdes éventuels pouvaient être dissociés d'un débat sur l'Union européenne, l'hégémonie allemande et la monnaie unique.

Sommes-nous en 1789 ?

Le Point (18 avril 2013)Du dossier du Point, nous retenons le très intéressant avec l'historien Patrice Gueniffey. Spécialiste de la Révolution, celui-ci voit un air de famille entre 1788 et 2013. Il ose envisager une explosion très prochaine de la société et des cadres nationaux.

Comme à la veille de la Révolution française, il observe le cumul de plusieurs crises : la monnaie avec un euro trop fort (selon lui), une dette publique exorbitante (idem), une crise économique depuis 2008, mais aussi une crise du leadership politique et des institutions.

Sous l'Ancien Régime déjà, la France est paralysée par le grand nombre de rentes, d'exemptions fiscales et de privilèges. Les gouvernements successifs sont impuissants à réformer quoi que ce soit tant sont fortes les résistances. Or, en 1788, l'État n'a plus le sou et doit à tout prix faire passer une grande réforme fiscale. Mais le souverain en est bien incapable...

« Louis XIV a créé un système fort, conçu pour lui seul, ingérable pour les autres. Il en va de même avec la Ve République, conçue par de Gaulle, pour lui seul. Le drame, c'est quand un système fort est occupé par un homme faible. Ce fut le cas avec Louis XVI. C'est le cas aujourd'hui. Hollande se trouve un peu dans la situation de Louis XVI en 1789 : souhaitons-lui de finir mieux », déclare l'historien.

Faut-il pour autant croire à une répétition de l'Histoire ? Dans le même magazine, l'essayiste Marcel Gauchet apporte un éclairage intéressant, qui fait la différence entre 1788 et 2013. 

« Ce qui nous menace n'est pas l'explosion mais l'implosion, le chaos, l'impuissance complète du politique, la paralysie, et donc les effets d'autodestruction douce qui vont avec ce genre de situation, affirme-t-il. Pour qu'il y ait explosion, il faudrait un programme, un espoir, un horizon. Il n'y en a pas ».

De fait, la Révolution française a été faite par les élites (avocats, aristocrates, curés...) qui avaient en tête une claire conscience des réformes nécessaires, celles-là même que Turgot avait tenté d'imposer par voie autoritaire. Ils avaient aussi et surtout un modèle pour l'avenir : rien moins qu'une monarchie constitutionnelle à l'anglaise.

Rien de tel aujourd'hui. Les classes dirigeantes et les élites, en rupture avec les classes populaires, n'ont d'autre projet  que de rétablir l'équilibre du budget en sacrifiant l'État-Providence et l'industrie. Sauver le système financier en détruisant les ressorts de la solidarité nationale et de l'activité économique : pas de quoi faire rêver les foules, d'autant qu'il n'y a aucune garantie que cela ramène la prospérité. 

L'absence de perspective tout comme l'absence d'une élite éclairée, confiante et ouverte sur l'avenir, sont autant de handicaps qui pèsent sur l'avenir de la France et plus généralement du Vieux Continent. Mais l'Histoire n'est pas avare de surprises.

Le retour des années 30 ?

Le Nouvel Observateur (18 avril 2013)Le Nouvel Observateur établit des analogies systématiques entre les années qui ont précédé la Seconde Guerre mondiale et la période actuelle. Là aussi, pas de quoi sourire.

L'hebdomadaire se permet un rapprochement approximatif entre l'escroc Stavisky et le menteur Cahuzac, ou encore entre les diatribes antisémites et la dénonciation de l'islamisme.

Mais  tout cela laisse un sentiment d'inachevé... C'est que rien ou presque n'est dit de la conjoncture européenne, si prégnante dans les années 30 comme aujourd'hui. Comme si la situation politique et économique de la France pouvait s'apprécier indépendamment du reste de l'Europe et du monde !

Notons tout de même un éclairage intéressant de l'historien Serge Berstein, spécialiste du XXe siècle. Il rappelle que « l'idée dominante des cercles dirigeants, c'est que la crise est due au fait que l'État dépense plus qu'il ne reçoit. La solution, c'est la diminution des dépenses de l'État, c'est-à-dire la déflation (...). Ceux qui préconisent une dévaluation, comme Paul Reynaud, sont traités comme des moutons noirs, accusés de vouloir vider le bas de laine des Français. La dévaluation, c'est le vol par l'État des économies des Français ».

Ce qu'oublie Le Nouvel Obs :

Il nous eut paru pertinent de rapprocher les deux crises davantage que ne le fait Le Nouvel Observateur :

- 1929 / 2008 : une bulle spéculative explose à Wall Street ; elle met à mal le système financier international mais est assez rapidement résorbée aux États-Unis même ; ceux-ci retrouvent un début d'équilibre au début de la décennie suivante,

- En Europe, les effets du krach se résorbent également ; mais le 21 mars 1931, le gouvernement français de Pierre Laval bloque un projet d'union douanière entre l'Allemagne et l'Autriche, deux pays alors démocratiques ; le 11 mai suivant, la Kreditanstalt Bank, principale autrichienne, fait faillite ; la France, qui dispose d'énormes réserves de devises, refuse de la secourir, ce qui a pour effet de relancer la panique financière à travers le continent. 

Dès le mois de septembre 1931, le Royaume-Uni décide de dévaluer sa monnaie ; en Allemagne, par contre, le chancelier Brüning, au nom du « mark fort »,  applique une très dure politique de rigueur (« déflation ») qui désespère les classes populaires et les classes moyennes.

En France, Pierre Laval, de retour au pouvoir en 1935, applique la même politique, avec le même objectif : préserver à tout prix une monnaie « forte ». Tandis qu'en Allemagne, la rigueur amène Hitler au pouvoir, en France, c'est Léon Blum et le Front populaire qui l'emportent. En dépit de ses réticences, Léon Blum se résigne à dévaluer le franc. Bien que trop tardive et insuffisante, cette dévaluation débouche sur une bénéfique relance de l'activité économique, ainsi que le souligne l'économiste Alfred Sauvy.

Nous voyons dans ce rappel des années 30 une similitude avec la situation actuelle de l'Europe, avec l'Allemagne dans le rôle de la France comme gardien de l'orthodoxie monétaire et créancier de la planète ; Nicolas Sarkozy et François Hollande dans le rôle de Laval ou de Brüning, en champions de la rigueur et défenseurs déterminés de la monnaie...

Hier comme aujourd'hui, on le voit, on a affaire aux mêmes erreurs de jugement. Mais sur quoi déboucheront-elles ? Si l'on voit de claires similitudes dans les dysfonctionnements économiques et sociaux des deux décennies, on ne voit pas encore les personnalités susceptibles de corriger celles qui nous affectent. Manquent encore au générique Roosevelt, Hitler et Blum.

Joseph Savès
Publié ou mis à jour le : 2018-11-27 10:50:14

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