1er juillet 1766

Exécution du chevalier de la Barre

Le chevalier de la Barre, un jeune homme âgé d'à peine 19 ans, est exécuté à Abbeville le 1er juillet 1766, dans d'atroces conditions. Son crime ? Il aurait avec d'autres jeunes gens blasphémé lors d'une procession et lacéré un crucifix. Ce châtiment d'un autre temps survient en plein siècle des « Lumières », sous le règne de l'impopulaire Louis XV.

Camille Vignolle
Crise morale

Le supplice du chevalier de la Barre se déroule quatre ans après celui de Jean Calas et moins de dix ans après l'écartèlement du pitoyable Damiens. Le 6 juillet 1750 furent aussi brûlés en place de Grève, à Paris, Bruno Lenoir et Jean Diot, surpris dans l'acte sexuel. Jamais auparavant, en France, on n'avait condamné des homosexuels pour ce seul motif ! Cette conjonction de drames insensés dans un temps très rapproché traduit la crise morale d'une société de privilèges d'apparence encore prospère mais en fin de course... 

Monument érigé en 1907 à Abbeville sur le lieu de l'exécution du chevalier de la Barre, le 1er juillet 1766 (sculpteur : Raoul Delhomme)

Malentendus tragiques

L’affaire a débuté un an plus tôt, le 9 août 1765, à Abbeville, quand on a découvert qu'un crucifix en bois suspendu sur le parapet du Pont-Neuf avait été tailladé à coup d’épée.

La rumeur accuse un groupe de jeunes aristocrates repérés pour ne pas s’être découverts lors des processions de la Fête-Dieu : François-Jean Lefebvre, chevalier de La Barre (19 ans), ainsi que Gaillard d'Étallonde, Moisnel et quelques autres fils de notables. Ces libertins auraient aussi chanté des chansons irréligieuses et se seraient vantés de ne pas s’être découverts devant une procession du Saint Sacrement. On les soupçonne qui plus est d'avoir profané un cimetière.

L’enquête est menée par le lieutenant criminel, M. Duval de Soicourt. Il fait arrêter le jeune Moisnel, âgé d'à peine 15 ans, et le chevalier de la Barre, un orphelin qui vit au crochet de sa tante. Gaillard d'Étallonde n'a pas attendu la maréchaussée pour s'enfuir à l'étranger.

Le lieutenant criminel ne se fait pas faute d'inculper le chevalier. Peut-être par désir de se venger de sa tante qui a autrefois repoussé ses avances... Le chevalier nie toute responsabilité et garde confiance en ses protecteurs, parmi lesquels l'un des présidents du Parlement de Paris, Louis François de Paule Lefebvre d'Ormesson. Mais la découverte chez lui du Dictionnaire philosophique de Voltaire, ouvrage réputé antireligieux, vient aggraver son cas.

Tandis que Moisnel, du fait de son jeune âge, s'en tire avec une amende, le chevalier de la Barre est condamné à mort le 28 février 1766 pour « impiété, blasphèmes, sacrilèges exécrables et abominables. »

Le Parlement de Paris est saisi de l’affaire. Comme les magistrats ont trois ans plus tôt obtenu l’expulsion des Jésuites de France, ils ont besoin de se refaire une réputation de « bons chrétiens » et n’hésitent pas à confirmer la condamnation à mort du chevalier le 4 juin 1766. Ils veulent aussi rentrer dans les bonnes grâces du roi après la célèbre « séance de la flagellation », quand, trois mois plus tôt, le 3 mars 1766, Louis XV s'était présenté à eux en simple habit de chasse pour leur rappeler qu'il était le seul à pouvoir parler au nom de la nation.

Les magistrats espèrent toutefois que le roi Louis XV usera de son droit de grâce. Mais celui-ci, malgré les supplications de l’évêque d’Amiens, s’y refuse. La mort de son fils, le dauphin, le 20 décembre précédent, à 36 ans, a assombri son caractère. D'autre part, aigri par l’attentat de Damiens, il estime qu’il ne saurait épargner l’auteur d’un attentat contre le Christ dès lors qu’il n’a pas épargné l’auteur d’un attentat contre lui-même !

Le jeune homme fut soumis à la « question ordinaire » pendant une heure, ce qui veut dire qu'on lui rompit les os. Il fut ensuite transporté sur le lieu du supplice où le bourreau Sanson lui trancha la tête.

Les esprits éclairés de toute l'Europe, pour la plupart bons chrétiens, s'émurent de cette mort insensée. Le nonce apostolique lui-même s'en indigna. Voltaire, de son refuge de Ferney, réclama en vain la réhabilitation du chevalier. Prisonnier d'un tragique faisceau d'intrigues, le jeune homme avait hélas manqué de chance. Vingt ans plus tôt, en 1744, à Issoudun, pour une affaire similaire, d'autres jeunes libertins s'en étaient tirés avec une simple amende de 60 livres. 

Bien entendu, il n'allait plus y avoir de condamnation à mort pour blasphème en France et les députés de la Constituante allaient s'empresser d'abolir le délit de blasphème.  

Publié ou mis à jour le : 2022-06-15 11:06:20

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