Le vote des femmes

Les Françaises, tardives bénéficiaires du droit de vote

En France, le combat pour le vote des femmes a été à la fois beaucoup plus long et beaucoup moins violent que du côté britannique. On peut dater de 1848 le début d’une prise de conscience en France de l’injustice faite aux femmes et il s'écoulera près d'un siècle avant qu'elles puissent voter.

Manifestation de suffragistes à Paris en mai 1935 sous la conduite de Louise Weiss (au premier plan)

En matière électorale, la Révolution française distinguait des citoyens actifs et des citoyens passifs, tandis que sous les régimes de la Restauration et de la monarchie de Juillet, le suffrage censitaire excluait de fait la plus grande partie des hommes. Or, avec la proclamation en 1848 du suffrage universel masculin, au tout début de la Deuxième République, les femmes sont désormais les seules à être exclues du droit de vote.

Dès le 16 mars 1848, une pétition de femmes affirme qu’« il ne peut y avoir deux libertés, deux égalités, deux fraternités ; la liberté, l’égalité de l’homme sont bien évidemment celles de la femme ». Le 20 mars, la militante féministe Eugénie Niboyet fonde le journal La voix des femmes, dans lequel elle réclame purement et simplement le droit de vote féminin. Deux jours plus tard, le 22 mars, une délégation de femmes se rend auprès du gouvernement républicain provisoire, afin de s’assurer que les femmes sont effectivement concernées par le suffrage universel tel qu’il a été proclamé le 2 mars précédent.

Le maire de Paris Armand Marrast, qui reçoit le 22 mars la délégation féminine au nom du gouvernement, fait aux femmes une réponse ambiguë : le 2 mars 1848, la République a rétabli le droit de vote des hommes, dont ils avaient été injustement privés sous les monarchies censitaires. En ce qui concerne le vote des femmes, il ne peut être question de le rétablir, dans la mesure où il n’a jamais existé jusque-là. Ce n’est donc pas au gouvernement provisoire, mais à l’assemblée constituante prochainement élue qu’il appartiendra de statuer sur le suffrage féminin. Pour les femmes, il est donc urgent d’attendre. Et de fait, elles vont devoir attendre près de cent ans.

À partir de 1848, la lutte pour l’obtention du droit de vote est au centre de toutes les revendications des féministes françaises. Les méthodes qu’elles emploient ne seront jamais toutefois aussi violentes que celles de leurs consœurs britanniques.

En 1849, la militante Jeanne Deroin, pour attirer l’attention de l’opinion et des pouvoirs publics, inaugure une tactique qui sera abondamment reprise par la suite : elle présente sa candidature aux élections législatives du mois de mai 1849, candidature évidemment illégale puisque les femmes ne sont pas plus éligibles qu’électrices.

Dans les années 1870-1880, sous les débuts de la IIIe République, la féministe Hubertine Auclert reprend le procédé de Jeanne Deroin en présentant des candidatures féminines lors des consultations électorales. Surnommée par l’un de ses biographes « la suffragette française », Auclert n’a pourtant rien de commun avec Emmeline Pankhurst : ni Auclert ni les militantes de son association Le Droit des femmes, fondée en 1876, ne provoquent de troubles à l’ordre public, et leurs actions sont très peu spectaculaires.

En 1880, Hubertine Auclert profite de la révision générale des listes électorales pour tenter, avec une dizaine d’autres militantes, de se faire inscrire sur les nouvelles listes. En 1881, elle adresse au préfet de Paris une lettre ouverte dans laquelle elle établit un lien entre droit de vote et fiscalité : pourquoi les femmes devraient-elles payer des impôts destinés à financer une politique qu’elles ne peuvent pas choisir puisqu’elles n’ont pas le droit de vote ? « Je ne vote pas, donc je ne paie pas », résume Hubertine Auclert.

Les grandes associations féministes réformistes, qui se structurent en France entre la fin du XIXe siècle et le tout début du XXe, font également de l’obtention du droit de vote pour les femmes une revendication prioritaire. C’est le cas notamment des trois principales : la Ligue du Droit des Femmes, fondée en 1882 par Léon Richer, le Conseil national des femmes françaises, apparu en 1901 sous l’égide d’Isabelle Bogelot, et l’Union française pour le suffrage des femmes, fondée en 1909 par Jeanne Schmahl.

Mais ces associations et leurs dizaines de milliers de militantes refusent elles aussi d’avoir recours à la violence, contrairement à leurs homologues d’outre-Manche : pendant qu’en 1910, les suffragettes britanniques se livrent à des exactions qui les exposent à une dure répression policière, les militantes françaises se contentent de présenter des candidatures de femmes lors des différentes élections. Au début du XXe siècle, les candidatures féminines sont devenues en France une pratique courante, voire quasiment systématique lors des élections législatives et municipales. Alors que seule la SFIO a inscrit en 1906 le suffrage féminin à son programme, l’opinion publique paraît au contraire de plus en plus favorable au suffrage féminin.

En 1914, toutes les conditions semblent réunies pour l’adoption du droit de vote des femmes. Au mois de janvier est apparue une nouvelle association particulièrement revendicative, la Ligue nationale pour le vote des femmes (LNVF), qui organise avec Le Journal, en avril 1914, un vote blanc sur le suffrage féminin : 505 972 lecteurs s’y montrent favorables, 114 seulement s’y opposent. Le 13 juin 1914, la nomination à la présidence du Conseil de René Viviani, farouche partisan du suffrage féminin, semble alors du meilleur augure.

Mais de même qu’en Grande-Bretagne, le déclenchement du premier conflit mondial met un terme, au moins provisoire, à la revendication suffragiste : dès le mois d’août 1914, les grandes associations féministes se rallient à l’Union sacrée. Comme les Britanniques, les Françaises espèrent toutefois que leur bonne volonté patriotique sera récompensée.

Au début de l’année 1918 se constitue à la Chambre des députés un Groupe des Droits de la femme présidé par le député centriste Jules Siegfried, qui préconise d’instaurer le suffrage féminin intégral, les femmes ayant prouvé leur « précieuse collaboration » pendant la guerre, et devant en recevoir la juste récompense. Jules Siegfried souligne d’autre part que la France ne doit pas se laisser distancer par d’autres nations. À cette date en effet, quelques États américains, mais également la Nouvelle-Zélande, l’Australie, la Russie et les pays scandinaves – Suède, Finlande, Danemark et Norvège – ont déjà accordé aux femmes un droit de vote partiel ou total.

Dès la fin de la guerre, diverses propositions parlementaires visent ainsi à accorder aux Françaises un droit de vote, même partiel, pour les récompenser de leur contribution à la victoire. Dans un élan de générosité, la Chambre des députés vote même, le 8 mai 1919, le droit de vote féminin sans aucune restriction. Mais le Sénat, où le texte n’est mis en discussion qu’en novembre 1922, rejette le projet : la Haute assemblée, dominée par une majorité de sénateurs radicaux anticléricaux, redoute en effet un vote clérical de la part des femmes.

À trois autres reprises au cours de l’entre-deux-guerres, la Chambre des députés adopte ainsi le principe du suffrage féminin, qui est chaque fois retoqué par le Sénat. Même la création en 1934 par Louise Weiss de l’association La Femme nouvelle, qui reprend, en les édulcorant fortement, certaines des tactiques employées par les suffragettes britanniques au début du siècle, ne parvient pas à vaincre les obstacles politiques qui s’opposent au suffrage des femmes.

Ce que les femmes n’ont pas conquis par la revendication féministe, elles vont l’obtenir par la volonté politique d’un homme, le général de Gaulle. Le vote des femmes fait partie du programme de modernisation de la société française voulu par de Gaulle : dès le 23 juin 1942 le général a ainsi déclaré qu’« une fois l’ennemi chassé du territoire, tous les hommes et toutes les femmes de chez nous éliront l’Assemblée nationale qui décidera souverainement des destinés du pays ».

Fin mars 1944 toutefois, quand la question du vote des femmes commence à être discutée par l’assemblée d’Alger, de Gaulle est absent, et certaines réticences se font jour. Le sénateur radical Paul Giacobbi, qui mène les débats, voudrait n’inscrire dans la loi que le principe de l’éligibilité des femmes, s’inquiétant du déséquilibre des sexes dans la France de l’après-guerre : beaucoup d’hommes étant encore prisonniers, accorder le droit de vote aux Françaises n’équivaudrait-il pas à « remplacer le suffrage masculin par le suffrage féminin » ?

Il faut toute l’éloquence et toute la force de conviction du député communiste Fernand Grenier pour « sauver » le vote féminin : le 25 mars 1944, l’assemblée d’Alger adopte par 51 voix contre 16 l’amendement Grenier instaurant le vote des femmes. Le 21 avril 1944, l’article 17 de l’ordonnance du Comité français de la Libération nationale, portant sur l’organisation des pouvoirs publics en France telle qu’elle sera mise en place après la libération du territoire, stipule que « les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes ».

Cette disposition est confirmée après la Libération, le 5 octobre 1944, par le Gouvernement provisoire de la République française : comme le réclamaient depuis près d’un siècle les mouvements féministes, les femmes françaises peuvent désormais voter au même titre que les hommes.

Le combat en faveur du vote des femmes, pierre angulaire du féminisme occidental au tournant des XIXe et XXe siècles, s’est révélé bien différent de part et d’autre de la Manche. Contrairement à ce que l’on aurait pu penser, compte tenu de la tradition politique des deux pays, c’est en Grande-Bretagne que la lutte a été la plus implacable, marquée par des affrontements violents entre des suffragettes qui ne craignaient pas d’investir brutalement l’espace public pour réclamer leurs droits, et un gouvernement britannique n’hésitant pas à exercer la répression la plus féroce à leur encontre. Côté français au contraire, les méthodes des féministes sont restées beaucoup plus policées et respectueuses de l’ordre établi.

Cette différence explique-t-elle que les femmes britanniques aient accédé à une citoyenneté partielle plus de vingt-cinq ans avant les Françaises ? Il est difficile de trancher : en Grande-Bretagne, plus que les méthodes violentes de la WSPU, c’est le premier conflit mondial qui a véritablement agi comme un accélérateur ; dans le cas français, si le contexte de la Seconde Guerre mondiale a sans doute joué un rôle, c’est surtout grâce à la volonté d’un homme, le général de Gaulle, que les Françaises sont devenues citoyennes.

Catherine Valenti

Publié ou mis à jour le : 2021-11-12 22:23:41

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