Isabelle de France (1225 - 1270)

Bienheureuse capétienne

Le nom d’Isabelle de France est presque toujours suivi de la précision « sœur de saint Louis ». Le couple du frère et de la sœur fut un modèle de sainteté capétienne dans la deuxième moitié du XIIIe siècle. Mais après la canonisation de Louis IX en 1297, la mémoire d’Isabelle fut éclipsée. Qui était cette sœur aujourd’hui méconnue ?

Isabelle de France, soeur de Saint Louis, une princesse mineur (éditions franciscaines, 2014)Isabelle naquit en 1225, onze ans après son frère aîné qui devint roi l’année suivante. Sa mère, l’austère et pieuse Blanche de Castille, essaya d’abord de la marier avec un fils de la famille de Lusignan, rebelle à la couronne, puis, en 1243, avec Conrad, fils de l’empereur Frédéric II et héritier présumé de l’empire germanique. Isabelle refusa, préférant une sainte vie de célibat. Elle ne manifesta pas pour autant le désir de suivre le modèle monastique et inaugura une voie originale : vivant dans le monde, à la cour, mais se consacrant au Christ. C’était une jeune femme d’une grande volonté, fort instruite, avec une bibliothèque de livres latins et français.

Au début des années 1250, alors que son frère était parti une première fois en croisade, la piété d’Isabelle prit une coloration nettement franciscaine. Elle demanda et obtint des confesseurs franciscains ; le maître en théologie, Guibert de Tournai, lui écrivit un traité de direction spirituelle en forme épistolaire et les Franciscains de la curie pontificale firent connaître au pape sa réputation naissante de sainte princesse.

Vers 1256, alors que les papes Innocent IV et Alexandre IV lui avaient tour à tour écrit de longues lettres louant son choix de virginité, sa sainte conduite et le puissant modèle qu’elle constituait pour d’autres femmes, Isabelle, comme princesse menant une vie pénitentielle, offrait un brillant exemple de piété capétienne. Rentré de sa croisade malheureuse en 1254, Louis s’orienta dans cette même direction pénitentielle, suivant en cela sa sœur plus qu’elle ne le suivit, et il lui apporta son soutien dans le principal projet de sa vie : la fondation d’une abbaye de Franciscaines et la rédaction d’une nouvelle Règle pour un Ordre de « Sœur mineures ».

La maison de « l’Humilité de Notre Dame », mieux connue sous le nom de Longchamp, fut édifiée vers 1260 sur les bords de la Seine, à l’ouest de Paris, là où s’étend maintenant l’hippodrome qui porte son nom. Une Règle révisée fut approuvée par le pape Urbain IV en 1263, alors qu’une première version, déjà approuvée en 1259, n’avait pas satisfait à toutes les exigences d’Isabelle.

Louis IX s’engagea personnellement dans la fondation, posant la première pierre, lui fournissant des rentes, des reliques et prêchant aux moniales leur premier sermon. Mais Isabelle avait composé la Règle elle-même, en lien avec une équipe de franciscains maîtres en théologie. C’était, en soi, un événement remarquable : peu de femmes avaient écrit des règles monastiques auparavant et seule Claire d’Assise avait réussi à obtenir l’approbation pontificale quelques années plus tôt, en 1253. Mais la voie franciscaine féminine que prônait Isabelle n’était pas celle de Claire : alors que Claire défendait un idéal d’absolue pauvreté, Isabelle centrait la vie de ses sœurs sur l’humilité et une identité franciscaine affirmée par le titre de « Sœurs mineures », équivalent féminin des « Frères mineurs ». Sa Règle fut adoptée par diverses maisons en France et en Angleterre, puis en Italie et en Espagne : l’Ordre des Sœurs mineures était la principale alternative à l’« Ordre de sainte Claire », fondé lui aussi en 1263.

Isabelle passa la dernière décennie de sa vie à Longchamp, mais elle ne devint jamais moniale. En fait, il n’y a pas de preuve qu’elle ait jamais prononcé un vœu contraignant de virginité, au grand dam de ses conseillers ecclésiastiques. Son choix virginal demeura un choix personnel, garanti par sa seule détermination et, bien sûr, par l’autorité et le prestige de son statut royal. Pourtant, elle fut une forte présence à Longchamp, aidant à négocier terres et rente, corrigeant le latin des clercs quand il était fautif, châtiant ceux qui avaient échoué à accomplir ses pieuses instructions (puis se repentant de sa colère) et intervenant parmi les sœurs pour les guérir et les consoler.

Isabelle mourut le 23 février 1270, juste un mois avant le deuxième départ de Louis IX en croisade. En hâte, Louis vint à Longchamp pour s’agenouiller devant le corps de sa sœur, désormais revêtu de l’habit franciscain pour ses funérailles. Mais il ne fut pas le seul à faire le voyage : dans les décennies suivantes, des pèlerins confluèrent à Longchamp dans l’espoir d’une guérison miraculeuse sur la tombe d’Isabelle, qui fut finalement déplacée de sorte à se trouver à moitié dans la clôture des sœurs et à moitié au dehors.

Ces premiers miracles furent enregistrés dans la source la plus importante pour la connaissance de la princesse : la Vie d’Isabelle écrite vers 1283 en français par Agnès d’Harcourt, troisième abbesse de Longchamp. Ce texte passionnant est plein de souvenirs provenant de la famille royale (en particulier de Marguerite de Provence, femme de Louis IX et elle-même protectrice des Franciscains) ou des moniales de Longchamp. Avec la Vie de saint Louis par Joinville, c’est un des meilleurs témoignages sur l’intimité des capétiens, mais infiniment moins connu.

Le culte d’Isabelle fleurit à Longchamp, avec de nouveaux miracles sur sa tombe et la rédaction de plusieurs nouvelles Vies. Cette vénération locale culmina en 1521, quand le pape approuva la célébration à Longchamp d’un office propre en l’honneur d’Isabelle. Mais après la destruction de l’abbaye pendant la Révolution, la « bienheureuse » Isabelle n’eut droit qu’à de rares biographies dévotes aux XIXe et XXe siècles. Et bien qu’une belle église paroissiale moderne soit dédiée à Louis et Isabelle à Neuilly, elle est largement négligée par les historiens et le plus large public.

Pourtant, au sommet de sa renommée, dans les années 1250, un observateur aurait pu considérer Isabelle (plus que Louis) comme la sainte figure capétienne en germe, la plus apte à illustrer l’aura de sainteté dont la famille royale souhaitait s’entourer. Ses proches la virent dans cette lumière : quand le futur Philippe IV le Bel tomba malade dans son enfance, sa grand-mère Marguerite de Provence le mena pour être guéri sur la tombe d’Isabelle à Longchamp, plutôt que sur la tombe de son propre mari à Saint-Denis.

Sean Field et Jacques Dalarun

Aimablement communiqué à Herodote.net par l'historien Jacques Dalarun, ce texte est extrait du livre Isabelle de France, sœur de Saint Louis. Une princesse mineure, par Jacques Dalarun, Sean L. Field, Anne-Françoise Labie-Leurquin et Jean-Baptiste Lebigue, Paris, Éditions franciscaines, novembre 2014 (Sources franciscaines), 505 p.


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Publié ou mis à jour le : 2018-11-27 10:50:14

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