Le 1er décembre 1934, Sergheï Kostrikov, dit Kirov (48 ans), est assassiné dans des conditions mystérieuses à Leningrad (aujourd'hui Saint-Pétersbourg). L'homme n'est autre que le secrétaire du Parti communiste pour la région de Leningrad. C'est aussi un proche de Staline et son dauphin présumé.
Sa mort va être le prétexte à une sinistre vague d'épuration au sein du Parti communiste de l'Union Soviétique, connue sous le nom de « procès de Moscou ». Les accusés de ces trois procès, des bolchéviques de la vieille garde léniniste, plaideront tous coupables et feront amende honorable. La plupart seront exécutés.
Un prétexte tout trouvé
Staline, tout-puissant secrétaire général du Parti communiste, a lancé en 1930 la collectivisation des terres et des usines. Les Soviétiques ont payé ces initiatives au prix fort : effroyables famines et déportations massives.
Malgré le renforcement de son autorité sur le Parti, le dictateur a tout lieu de craindre que la vieille garde bolchevique ne profite de ses difficultés pour le renverser.
En 1934, il donne l'impression d'amorcer une réconciliation avec ses principaux rivaux : Kamenev, Zinoviev et Boukharine... Ces derniers peuvent s'exprimer librement au cours du XVIIe Congrès du Parti communiste de l'URSS (Union des Républiques Socialistes Soviétiques), en 1934.
Las, il ne s'agit que d'une feinte. Le Vojd (« Guide », qualificatif officiel de Staline) n'attend que le moment propice pour éliminer définitivement ses ennemis avérés ou potentiels, autrement dit tous les vieux bolcheviques de son entourage...
Ce moment arrive avec l'assassinat de Kirov, à croire que Staline l'aurait lui-même commandité ! Dès le soir, le dictateur quitte Moscou pour Leningrad et gifle publiquement le responsable local de la police politique, le NKVD (ex-Guépéou).
Le même jour, le Comité central, organe suprême du pouvoir, institue une justice d'exception sous le prétexte de traquer et punir les criminels (pas de défense, pas de recours en appel possible et exécution immédiate en cas de condamnation).
Grandes purges
Les « grandes purges » commencent dès le 16 janvier 1935, avec l'ouverture du procès de Kamenev, Zinoviev et 17 autres accusés, sous l'inculpation d'avoir « aménagé le terrain idéologique » à l'assassinat de Kirov avec la complicité du traître Trotski, en exil. Il ne s'agit que d'une mise en bouche : Kamenev et Zinoviev s'en tirent pour l'heure avec seulement dix ans de prison.
Les choses sérieuses débutent en août 1936, avec la mise en accusation d'un prétendu « Centre trotskiste-zinovieviste unifié ». Kamenev et Zinoviev n'échappent pas cette fois à une condamnation à mort (douze ans plus tôt, après la mort de Lénine, ils avaient constitué une première « troïka »avec Staline, permettant à ce dernier de s'emparer du parti !).
Ce premier des grands procès de Moscou se tient, comme les suivants, sous la direction du procureur général Vychinski, en présence de la presse nationale et internationale.
Il inaugure un scénario mis au point par le chef du NKVD, Yagoda (ou Iagoda) : il s'agit que les prévenus collaborent à leur mise à mort en avouant eux-mêmes les complots fantaisistes dont ils sont accusés et en dénonçant des comparses ! Ils y sont conduits par un reste de fanatisme ou, plus prosaïquement, par l'espoir de sauver leurs proches.
Dans le box des accusés, on mélange des révolutionnaires éminents qui se sont ralliés à Staline, entourés de communistes moins connus et d'inconnus au passé trouble qui soutiennent les thèses de l'accusation (complot terroriste, actes de sabotage, activités d'espionnage, contacts avec le « traître »Trotski...).
Les étrangers eux-mêmes applaudissent aux sentences iniques et sans preuves. En France, la Ligue des droits de l'Homme, qui s'était illustrée dans la défense d'Alfred Dreyfus, n'y voit rien à redire dès lors que les accusés se reconnaissent publiquement coupables !
Yagoda, malgré sa diligence, est congédié à l'automne et remplacé à la tête du NKVD par un jeune loup, Nikolaï Ejov (ou Yéjov)
Le deuxième grand procès se tient en janvier 1937. Il s'en prend à un « Centre trotskiste parallèle » qui aurait comploté avec les nazis et les Japonais contre la patrie. Les accusés (Piatakov, Radek, Sokolnikov, Serebriakov...) se prêtent aimablement à la farce en s'accusant des pires malversations avant de recevoir une balle dans la nuque.
Dans les mois qui suivent, Ejov soumet à Staline des listes de prévenus en lui demandant son avis. On estime qu'au total, Staline approuvera de la sorte 44.000 condamnations à mort, pudiquement qualifiées de « condamnations au premier degré ». C'est l'« ejovtchina » (ou « yéjovchtchina »).
À la différence de la répression ordinaire, qui touche des centaines de milliers de Soviétiques ordinaires, l'« ejovtchina » frappe l'opinion internationale car elle concerne des membres dirigeants du pays, du Parti et de l'armée.
L'armée est décapitée par une troisième série de procès, entre l'été 1937 et le printemps 1938. Ceux-là se tiennent à huis clos, devant quelques officiers généraux, car Staline appréhende malgré tout les protestations des militaires et des anciens combattants de la Révolution et de la guerre civile.
Le premier concerné est Mikhaïl Nikolaïevitch Toukhatchevski, un aristocrate rallié à la Révolution, sans doute le plus brillant militaire de l'Armée rouge. Nommé maréchal en 1935, à 42 ans, il est démis de ses fonctions deux ans plus tard, le 11 mai 1937, et fusillé le 12 juin suivant. On suppose qu'il a été compromis par de faux documents fabriqués par les Allemands, soucieux d'éliminer un adversaire potentiel.
Au total, trois maréchaux sur cinq, treize généraux d'armée sur 15, 30 généraux de corps d'armée sur 58, 110 généraux de division sur 195, 211 colonels sur 406, et au total 35.000 officiers, soit une bonne moitié des cadres de l'armée, sont proprement exécutés.
Les grands procès de Moscou s'achèvent en mars 1938 avec la mise en accusion de 21 prévenus dont Boukharine, l'un des plus illustres chefs bolcheviques, et... Yagoda. Ce dernier est jugé et exécuté selon le scénario qu'il a lui-même mis au point à la tête du NKVD ! Son successeur Ejov n'allait d'ailleurs pas tarder à le suivre dans la mort.
Au terme de ces trois années, plus de la moitié des élus du Parti ont été éliminés... et remplacés par de jeunes militants qui n'ont pas connu la Révolution et sont dévoués à Staline.
Celui-ci apparaît comme le seul héritier de Lénine après l'élimination de presque tous les bolcheviques éminents (le survivant Trotski, en exil au Mexique, sera assassiné sur ordre de Staline en 1940).
Staline a pu profiter des procès pour faire porter sur les accusés le poids de ses dramatiques échecs dans la collectivisation des terres et des usines.
L'historien Léon Poliakov s'est interrogé sur l'apathie des responsables soviétiques face à la répression qui s'est abattue sur eux :
« Un seul général, Ian Gamarnik, le chef de la direction politique de l’armée, choisit de se donner librement la mort. Ainsi donc, une résistance authentique, rébellion, conspiration, ou simple opposition, était pour ces hommes de l’ordre de l’impensable. En regard, que l’on songe aux généraux de Hitler, à ces officiers prussiens auxquels on a beaucoup reproché leur inaction et qui pourtant multiplièrent les tentatives subversives de tout ordre, culminant avec le complot de juillet 1944. On peut croire que ce contraste tenait aux traditions respectives. En effet, les foudres de guerre allemands avaient été nourris de valeurs chrétiennes, tandis que les généraux de Staline avaient adopté, "introjecté", les valeurs marxistes-léninistes ; en résultat, leur discipline révolutionnaire-militaire leur dictait une aveugle obéissance aux ordres du dirigeant suprême. Le déni ou l’oubli d’une morale autonome serait alors la clé de l’action hypnotique exercée par le Vojd sur l’ensemble du Parti, sinon du pays, et à laquelle la caste des officiers supérieurs succomba dans sa totalité »
(Les totalitarismes du XXe siècle, Fayard, 1987).
Bibliographie
Le témoignage poignant d'Arthur London, dans son livre L'Aveu (1968), a permis de mieux comprendre comment tant d'hommes ont pu s'effondrer et s'accuser en public de crimes imaginaires. L'action se déroule lors de procès similaires qui se sont tenus à Prague en 1951. Le réalisateur Costa-Gavras en a tiré un film à succès en 1969 avec Yves Montand dans le rôle principal.
Un autre témoignage, très instructif, est le témoignage de l'écrivain hongrois Arthur Koestler : Le Zéro et l'infini (publié en 1940 sous le titre : Darkness at noon).
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Voir les 5 commentaires sur cet article
Pierre69400 (01-12-2020 11:24:55)
La photo publiée comme "déportés construisant un canal au goulag" n'est-elle pas à situer lors de la construction du Belomor Kanal , reliant la Moscou à la mer Blanche, avec 1 mort par mètre, so... Lire la suite
Erik (19-12-2014 11:04:36)
Une petite remarque en passant, concernant la fin de Karl Sobelsohn alias Radek : Il n'est pas mort d'une balle dans la nuque mais aurait été battu à mort par ses camarades de cellule. "Camarade de... Lire la suite
gea (05-12-2014 12:36:19)
Je veux juste rappeler le livre de Kravchenko " J'ai choisi la liberté " paru dans les années 50.
Bien à vous.