25 décembre 1920

Congrès de Tours et formation du communisme français

Le 25 décembre 1920, les socialistes français se réunissent à Tours pour leur 18e Congrès. Celui-ci s'achève, cinq jours plus tard, sur la division du mouvement.

Tandis qu'une minorité de congressistes reste fidèle à la SFIO (section française de l'Internationale Ouvrière), issue de la IIe Internationale (1889), la majorité fait allégeance au pouvoir bolchévique installé à Moscou et fonde un nouveau mouvement, la section française de l'Internationale Communiste (SFIC), ancêtre du Parti communiste français.

Jean-Pierre Bédéï

Deux internationales face à face

« C’est à coup sûr d'une fameuse originalité que de choisir cette période de l'année consacrée dans tous les mondes aux joies pacifiques de la famille, pour venir, des quatre coins de la France, s'assembler dans cette triste salle du Manège, dans un but avoué de lutte et de division. » L’Écho de Paris, dans son édition du 26 décembre 1920, ne manque pas de souligner la singularité de la date de ce congrès, qui se tient du 25 au 30 décembre 1920 dans la salle du Manège de l'ancienne abbaye Saint-Julien (l'abbaye a été bombardée pendant la Seconde Guerre mondiale, à l'exception de l'église, et remplacée par le square Prosper Mérimée) et  fait fi de Noël et de ses festivités.

À cette étrangeté s'ajoute un paradoxe : le calicot surmontant la large tribune affiche la célèbre formule « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous » ; or ce conclave rassemblant 285 délégués dans un brouhaha permanent sera celui de la scission du mouvement socialiste français. Une scission qui pèsera non seulement sur l'histoire de la gauche mais sur toute la vie politique du pays pendant près d'un siècle. Car de ce congrès naît la section française de l’Internationale communiste, à savoir le Parti communiste français qui, s'il n'exercera jamais seul le pouvoir, participera à des gouvernements et étendra son influence au-delà de sa simple sphère partisane pour imprégner une partie de la société.

C'est qu'en dépit d'un afflux d'adhésions et d'électeurs depuis la fin de la Grande Guerre (1914-1918), la SFIO éprouve de la difficulté à faire passer des réformes sociales. En mai 1920, les grèves tournantes de la CGT (Confédération Générale du Travail) n'ont abouti à aucune avancée sociale mais entraîné le licenciement de 18 000 métallurgistes. À Tours, les militants se montrent dès lors sensibles à la propagande bolchévique de Moscou.

Dans un texte du 26 juillet 1920 signé par Lénine et Zinoviev, président de la nouvelle Internationale communiste (Komintern), le comité exécutif de celle-ci dénonce avec véhémence les responsables de la SFIO, qualifiés de « social-patriotes » et de « valets de la bourgeoisie ». Il impose 21 conditions préalables à l'adhésion des socialistes français au Komintern, parmi lesquelles un alignement inconditionnel sur la politique décidée à Moscou et la « rupture avec la tradition réformiste ».

La motion d'adhésion est rédigée par deux militants alors en prison, le jeune Boris Souvarine et Fernand Loriot ! Elle est présentée au Congrès le jour de Noël par Ludovic-Oscar Frossard, patron de la SFIO, et soutenue par Marcel Cachin, directeur de L'Humanité. Marcel Sembat riposte en lançant : « la vérité selon Jaurès, la vérité telle qu'il nous l'enseignait est aux antipodes de la vérité selon Moscou ».

Deux jours plus tard, dans une ambiance survoltée, Léon Blum intervient en dénonçant avec lucidité l'illusion d'une révolution violente dans le contexte français et surtout le caractère totalitaire de l'Internationale communiste : « Vous concevez le terrorisme, non pas seulement comme le recours de dernière heure, non pas comme l'extrême mesure de salut public que vous imposerez aux résistances bourgeoises, non pas comme une nécessité vitale pour la révolution mais comme un moyen de gouvernement ». Et de conclure avec émotion : « Pendant que vous irez courir l'aventure, il faut que quelqu'un reste garder la vieille maison ».

Dans la soirée du 28 décembre, à la surprise générale, voilà qu'arrive au Congrès, en cachette de la police, Clara Zetkin (63 ans) une militante féministe allemande proche de Lénine et de sa femme Nadejda Kroupskïa. Interdite de séjour en France, elle n'en est pas moins députée communiste au Reichstag de Berlin et membre du Comité central du Komintern. Son arrivée et son discours, très applaudis, vont faire basculer les indécis : « Vous n'allez pas écrire ici de l'histoire, mais vous allez en faire. (...) Il faut construire l'unité solide d'un Parti centralisé et fortement discipliné, en donnant son adhésion franche et nette à la IIIe Internationale ; (...) il faut donner votre adhésion à la IIIe Internationale, pas seulement à ses principes, à sa tactique mais aussi à ses conditions. »

Finalement, le 29 décembre, à l'initiative de Marcel Cachin et Ludovic-Oscar Frossard, 2/3 des congressistes votent le ralliement et fondent la section française de l'Internationale Communiste (SFIC), affiliée à la IIIe Internationale. Ludovic Frossard devient le premier secrétaire général du nouveau parti (il finira comme ministre de Pétain dans le gouvernement de Vichy). Le quotidien de Jean Jaurès, L'Humanité, devient l'organe officiel du nouveau parti.

Côté syndical, la CGT opère quant à elle sa scission l'année suivante mais seule une minorité de militants rejoint le camp communiste, en fondant la CGTU (CGT Unitaire). Les autres syndicalistes demeurent fidèles à l'esprit de la Charte d'Amiens (1906), qui leur enjoint de demeurer hors de toute affiliation politique.

Au sein de la SFIO, les réfractaires se regroupent au cri de « Vive Jaurès ! » Autour de Jean Longuet, petit-fils de Karl Marx, et Léon Blum, ils représentent 1/3 des militants soit au total 30 000 mais aussi la majorité des élus. Ils placent à leur tête Léon Blum qui, depuis sa péroraison historique, apparaît comme le rival de Lénine au sein du mouvement socialiste mondial.

Ils admettent la nécessité d'une révolution pour accéder à une société socialiste, comme leurs adversaires et à la grande différence des sociaux-démocrates allemands qui ont fait le choix de bâtir le socialisme à l'intérieur de la société capitaliste. Mais ce qu'ils rejettent absolument est la pratique autoritaire du pouvoir par Lénine et les bolchéviques au nom du centralisme « démocratique ».

Léon Blum va réaffirmer ses vues par un discours mémorable au congrès socialiste de 1926, en distinguant la conquête et l'exercice du pouvoir: la révolution peut se justifier pour conquérir le pouvoir mais si celui-ci est offert aux socialistes par les urnes, il est important d'en user de façon loyale en respectant les règles de la société capitaliste. 

Il mettra en pratique son engagement en accédant dix ans plus tard à la tête du premier gouvernement de Front populaire, avec la participation de la SFIC, entre temps rebaptisée Parti communiste puis, en 1943, après la dissolution de la IIIe Internationale, PCF (Parti communiste français).

Publié ou mis à jour le : 2021-03-01 17:21:24

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