3 juillet 1187

Saladin victorieux à Hattîn

Maître de l'Égypte et de la Syrie, le sultan Saladin remporte une grande victoire sur l'armée des croisés de Palestine le 3 juillet 1187, au pied de la colline de Hattîn, près du lac de Tibériade. Cette bataille se solde par la reconquête de Jérusalem par les musulmans. Elle rend illusoire le maintien des croisés en Terre sainte.

C'est la conséquence d'une longue succession d'erreurs et de divisions chez les Francs de Palestine.

André Larané

Divisions chez les croisés

Combats entre musulmans et croisés, miniature arabe Au fil des années, les croisés venus d'Europe s'étaient assimilés à la population locale en épousant des filles arméniennes, grecques ou syriaques, et en donnant naissance à des enfants de culture mixte appelés « poulains ».

Un flux permanent de pèlerins en armes, venus d'Occident par terre et par mer, les aidait à défendre leurs territoires contre les musulmans.

Mais les nouveaux arrivants, impatients d'en découdre avec les infidèles, ne cachaient pas leur mépris pour les croisés de Palestine et les « poulains ». Ils ne comprenaient pas leurs rapports souvent cordiaux avec les voisins turcs ou arabes.

Il est vrai que les États francs de Palestine, coincés entre l'Égypte et la Syrie musulmanes, étaient obligés de ménager l'une et l'autre. En évitant les provocations inutiles et par un jeu subtil d'alliances, les rois qui se succédaient à Jérusalem faisaient en sorte d'empêcher leur union. Pourtant, cette union tant redoutée survient en 1174 sous l'égide d'un chef providentiel, le kurde Saladin (37 ans), en partie à cause de la mésentente entre les croisés.

La même année, le roi de Jérusalem Amaury 1er meurt et c'est son fils qui hérite du trône sous le nom de Baudouin IV. Il est beau, pieux et courageux. Mais il n'a que 13 ans et l'on va découvrir bientôt qu'il est atteint de la lèpre. Le jeune homme préserve le royaume avec courage et grandeur d'âme, se faisant porter au besoin sur le champ de bataille en litière. A plusieurs reprises, la vue de celle-ci suffit à mettre en déroute l'ennemi.

Le Roi lépreux entretient des rapports d'estime avec son ennemi Saladin qu'il combat par ailleurs avec énergie. En 1177, l'armée de Saladin assiège les croisés à Askalon, un port du sud de la Palestine, puis se dirige vers Jérusalem. Baudouin IV le prend de vitesse et lui inflige une lourde défaite en un lieu dit Montgisard. Le sultan manque d'y laisser la vie.

Le gué de Jacob

Mais la même année, le maître de l'Ordre des Templiers convainc le roi Baudouin IV de construire une puissante forteresse au Gué de Jacob. Ce gué, sur le cours supérieur du Jourdain, est le principal passage entre Damas et la côte méditerranéenne. Il ne se trouve qui plus est qu'à une demi-journée de cheval de la capitale du sultan.

Ce dernier, empêtré dans les combats contre des chefs rebelles du nord de la Syrie, ne peut empêcher la construction de la puissante forteresse, défi lancé à son autorité. Mais le 24 août 1179, ayant enfin consolidé son pouvoir sur la Syrie, il réunit une grande armée et assiège ledit chastelet.

Un premier assaut échoue. Mais le sultan fait creuser un tunnel jusque sous les remparts puis fait incendier les étais du tunnel. Par ce travail de sape classique, il provoque une brèche dans les murailles, par laquelle s'engouffrent ses troupes le 30 août 1179. C'est le carnage. Sur les quinze cents défenseurs, la moitié sont tués et jetés dans un puits (la contamination de l'eau va provoquer une épidémie chez les assaillants). Les autres sont capturés.

Le choix malheureux d'une femme amoureuse

En dépit de cet échec, le roi de Jérusalem poursuit la sage politique de son père avec le concours de son conseiller, Raimon III de Tripoli, seigneur de Tibériade, descendant du comte Raimon IV de Toulouse qui commanda la première croisade aux côtés de Godefroi de Bouillon.

En prévision de sa mort prochaine, on cherche à remarier sa soeur Sibylle. Cette jeune veuve est la mère d'un nourrisson appelé à succéder à Baudouin sur le trône.

Émancipée comme le sont les princesses et les reines de cette époque, à l'image d'Aliénor d'Aquitaine, Sibylle choisit sur un coup de tête d'épouser un cadet sans fortune fraîchement débarqué du Poitou. Il a nom Gui (ou Guy) de Lusignan et son seul atout est d'être le plus beau chevalier de son temps. Faible de caractère et lâche par ailleurs.

Quand le 16 mars 1185, le malheureux et digne Baudouin IV rend enfin son âme à Dieu, Raimon de Tripoli et les barons du royaume tentent d'empêcher Gui de Lusignan de prendre le pouvoir.

Mais ils sont bernés par ce dernier, qui s'empare de la régence au nom de Baudouin V, fils de Sibylle, avant de lui succéder sur le trône. Pour sa prise de pouvoir, Gui bénéficie de la complicité intéressée de trois brigands de haut vol :
• Héraclius, patriarche ou évêque de Jérusalem ; fornicateur, cupide, viveur et lâche, indigne représentant de l'Église,
• Gérard de Ridefort, maître de l'Ordre du Temple, conspirateur qui poursuit d'une haine insatiable Raimon III de Tripoli et n'hésitera pas à trahir son camp pour lui nuire,
• Renaud de Châtillon, prince d'Antioche. Comme Lusignan, ce cadet doit sa bonne fortune à l'héritière de la principauté qui l'a épousé en raison de sa prestance et malgré les tares de son caractère.

Renaud de Châtillon est aussi seigneur d'outre-Jourdain et maître de la puissante forteresse de Kérak, à l'est du Jourdain. Ces possessions lui permettent de contrôler les communications entre l'Égypte et la Syrie musulmanes.

Avide de pillages, il dénonce régulièrement les trêves conclues entre Francs et Turcs pour lancer des razzias en terre musulmane. Il lance même une expédition maritime dans la mer Rouge en 1183, en vue de piller le sanctuaire de La Mecque ! Ses troupes sont défaites à deux jours seulement de leur objectif.

La bataille décisive

Saladin tombe gravement malade deux ans plus tard en 1185. Jusque-là, il s'attachait à soumettre le monde musulman et se souciait peu des Francs et de Jérusalem. Il décide dès lors de relancer la djihad ou guerre sainte contre les infidèles, dont l'historien Jean-Michel Mouton rappelle qu'elle était, et depuis longtemps, tombée en désuétude.

Au printemps 1187, l'incurable Renaud de Châtillon attaque une nouvelle fois une caravane en violation de la trêve entre croisés et musulmans. Fait aggravant, la soeur de Saladin fait partie de la caravane en question. Le sultan demande réparation au roi de Jérusalem, Gui de Lusignan, lequel refuse. C'est la guerre générale.

Saladin se met en marche avec toute son armée en mai 1187. Une dernière tentative de conciliation menée par Raimon III de Tripoli échoue du fait des Templiers. 150 de ceux-ci, menés par Gérard de Ridefort, attaquent une colonne pacifique de quelques milliers de soldats musulmans. Tous les Templiers sont tués à l'exception de trois... dont, hélas, Ridefort.

Départ de templiers pour la croisade (chapelle de Cressac, France, XIIe siècle)Saladin met alors le siège devant la ville de Tibériade, sur les bords du lac du même nom.

Parmi les assiégés figurent la femme et les enfants de Raimon III de Tripoli. Ce dernier, par devoir, rejoint Lusignan et le supplie de ne pas tenter de sauver la ville. La route jusqu'à Tibériade est désertique, sans point d'eau, et l'armée des croisés serait anéantie avant d'atteindre le lac. Lusignan se rallie à son avis... l'espace de quelques heures. La nuit venue, Gérard de Ridefort convainc le roi de se mettre en route malgré tout. On sonne le rassemblement. Bien que conscients de la folie de cette marche, les croisés se résignent.

Après une journée de marche en plein soleil, l'armée fait halte sur la colline de Hattîn, au-dessus des rives rafraichissantes du lac, interdites d'accès par Saladin. Le lendemain matin, 3 juillet 1187, la colline se trouve encerclée par les musulmans.

C'est le massacre. Presque toute la chevalerie franque perd la vie. Raimon III parvient toutefois à s'enfuir avec quelques chevaliers.

Le sultan s'empare de la relique de la Vraie Croix, une relique découverte par sainte Hélène qui accompagnait les Francs sur tous les champs de bataille. De retour à Damas, deux jours plus tard, il livre 300 moines-soldats du Temple et de l'ordre des Hospitaliers à des religieux surexcités. Ces derniers exécutent les prisonniers de façon aussi sauvage que maladroite sous les yeux ravis de Saladin.

Le grand-maître Gérard de Ridefort est quant à lui conduit sous la tente du sultan avec deux autres prisonniers de marque, le roi lui-même et Renaud de Châtillon.

Saladin tend une coupe remplie de sorbet à la glace à Lusignan, signifiant par ce geste d'hospitalité qu'il ne saurait tuer un roi, aussi indigne qu'il soit. Lusignan tend la coupe à son voisin, Renaud de Châtillon. Colère de Saladin qui ne veut pas étendre le bénéfice de son hospitalité au brigand. Le sultan tire son épée et brise l'épaule du prince d'Antioche. Des soldats entraînent le prisonnier hors de la tente et le décapitent.

Là-dessus, le sultan gagne la côte avec son armée en vue de s'emparer des ports et de prévenir le débarquement d'une nouvelle croisade. Il échoue devant Tyr, sauvée par l'arrivée providentielle d'un croisé énergique, Conrad de Montferrat. Le 20 septembre 1187, enfin, l'armée musulmane se présente devant les murailles de la Ville sainte...

Bataille de Hattin, manuscrit du XVe siècle.

Le siège de Jérusalem

La Ville sainte, à la surprise du sultan Saladin, s'est mise en état de défense grâce à un chevalier qui faisait partie des prisonniers d'Hattîn.Ce chevalier d'âge mûr est l'un des principaux barons palestiniens. Il s'appelle Balian d'Ibelin, du nom d'une localité du sud de la Palestine.

Balian est le type même du « courtois chevalier » si l'on en croit l'historien René Grousset. Il a épousé en secondes noces Marie Comnène, petite-nièce de l'empereur byzantin Manuel Comnène. C'est la deuxième épouse du roi de Jérusalem Amaury 1er et la belle-mère de Baudouin IV le Lépreux et Sibylle de Lusignan.

Comme beaucoup d'autres croisés de Palestine, Balian d'Ibelin nourrit des rapports courtois avec les musulmans, de sorte qu'il obtient de Saladin, après sa capture, le droit de rejoindre Jérusalem pour protéger sa femme.

En arrivant dans la Ville sainte, le baron est ému par la détresse de la population, grossie par les réfugiés des campagnes environnantes. Les malheureux craignent d'être massacrés ou au mieux réduits en esclavage par les vainqueurs de Hattîn. Il prend en main la défense de la ville. Comme il manque de chevaliers et de guerriers professionnels, il adoube collectivement tous les hommes en état de se battre, autrement dit leur confère la qualité de chevalier avec les obligations qui s'y rattachent !

Pour prendre la ville, Saladin va devoir mettre en branle une douzaine de machines de siège. Ses sapeurs arrivent à percer une brèche dans la muraille.

Le patriarche Héraclius, dont la lâcheté le dispute à la cupidité, dissuade les assiégés de tenter une sortie. Balian sollicite alors une entrevue avec Saladin. Ce dernier, irrité par la résistance des Francs, exige une reddition à merci et menace : « Je ne me conduirai pas envers vous autrement que vos pères envers les nôtres, qui ont tous été massacrés ou réduits en esclavage ! »

A quoi Balian répond : « En ce cas, nous égorgerons nos fils et nos femmes, nous mettrons le feu à la ville, nous renverserons le Temple et tous ces sanctuaires qui sont aussi vos sanctuaires. Nous massacrerons les cinq mille captifs musulmans que nous détenons, puis nous sortirons en masse et aucun de nous ne succombera sans avoir abattu l'un des vôtres ! » (René Grousset, L'Épopée des Croisades).

Saladin, interloqué, accorde l'amân aux assiégés, autrement dit la vie sauve et la liberté, sous réserve de se racheter à raison de dix besants pour les hommes, cinq pour les femmes, un pour les enfants.

Balian d'Ibelin prend alors le sultan par les sentiments et lui demande de fixer aussi un prix forfaitaire pour les pauvres. Marché conclu à ce détail près que le grand-maître des Hospitaliers, sur qui l'on compte pour payer la rançon des pauvres, n'accepte de payer que 30 000 écus pour la libération de 7 000 personnes, en condamnant 11 000 à 16 000 autres à l'esclavage !

Les cohortes de réfugiés sont conduites sous la protection des soldats de Saladin vers les ports de Tyr et de Tripoli, encore aux mains des croisés. Le patriarche Héraclius eut soin d'emporter avec lui tous les objets précieux des églises.

Entré le 3 octobre dans la Ville sainte, Saladin fait aussitôt abattre la croix dorée érigée 88 ans plus tôt au sommet du dôme de la mosquée d'Omar. Puis il se rend sur la côte. Poussant l'ignominie à son comble, ses prisonniers Gui de Lusignan et Gérard de Ridefort ont le front d'exhorter les défenseurs des ports à se rendre.

Lusignan obtient bien plus tard le royaume de Chypre, enlevé aux Byzantins par Richard Coeur de Lion. Sa dynastie va régner sur l'île jusqu'en 1489. Ridefort reçoit quant à lui la récompense de ses forfaits. Il est torturé et exécuté dans sa cellule sur ordre de Saladin.

Ainsi prend fin la grande entreprise inaugurée par le pape Urbain II. Pendant un siècle encore, les chrétiens d'Occident vont tenter de reprendre Jérusalem mais sans vigueur ni succès.

Publié ou mis à jour le : 2022-06-29 18:14:38
nicoguichard (11-04-2011 14:35:25)

Excellent article, très instructif. merci !
Une remarque cependant, tenant plus de la morale que de l'histoire : est-ce vraiment correct d'écrire à propos de Ridefort, quel qu'ai pu être son comportement, que la torture et l'exécution ne sont que les "justes récompenses" de ses forfaits ? Je ne le pense pas... Aucun acte ne saurait justifier que l'on torture en retour, et ce commentaire me semble un peu déplacé !
Ce parti pris de l'historien n'enlève cependant rien à la qualité du récit, mais pourrait être évité.

jmd (12-10-2009 10:19:14)


pour une approche encore plus subtile des liens entre les mondes musulman et chrétien de l'époque, (re) lire absolument le formidable Frédéric de Hohenstaufen Ou le Rêve excommunié, de Benoîst-Mechin (ed Perrin)

Louis (03-07-2007 12:48:48)

A Tous Salut!
Bravo pour votre article qui est clair, en dépit d'un sujet et d'évènements complexes...
J'ai lu et conseille vivement le livre de Madame Régine Pernoud sur les femmes au temps des Croisades. On y lit la vie de Dames chrétiennes dignes de ce nom, cotoyant des perfides qui précipitèrent la chute des royaumes francs en Terre Sainte.
J'ai lu aussi : "Les Croisades vues par les Arabes" de Monsieur Amin Aalouf, un journaliste libanais qui a travaillé à partir d'archives de témoignages et commentaires de l'époque; excellent et instructif!
Par ailleurs, savez-vous que la cité d'Ashkelon produisaient à l'époque d'excellentes "échalottes"; les kibboutz actuels continue la production!

Respectez l'orthographe et la bienséance. Les commentaires sont affichés après validation mais n'engagent que leurs auteurs.

Actualités de l'Histoire
Revue de presse et anniversaires

Histoire & multimédia
vidéos, podcasts, animations

Galerie d'images
un régal pour les yeux

Rétrospectives
2005, 2008, 2011, 2015...

L'Antiquité classique
en 36 cartes animées

Frise des personnages
Une exclusivité Herodote.net