Tabac

Le fléau bien-aimé

Qu'on porte sa fumée aux nues ou qu'on ne puisse pas le sentir, on ne peut désormais échapper au tabac. En à peine quelques siècles, cette plante a réussi à imposer ces volutes sur toute la planète, faisant la joie des producteurs et le désespoir des médecins.

Déchirons les écrans de fumée pour revoir ensemble comment l'Humanité a pu s'imposer si vite un tel fléau.

Isabelle Grégor

Réunion de fumeurs et de buveurs, Simon de VOS, XVIIe siècle, Paris, musée du Louvre. L'agrandissement montre un tableau d'Edgar Maxence, Femme à l'orchidée, 1900, Paris, musée d'Orsay.

La belle Caraïbe

C'est très précisément le 28 octobre 1492 que le tabac est entré dans notre Histoire. Ce jour-là en effet, un dénommé Rodrigo de Jerez était en train de s'acharner dans l'île de Cuba à rechercher ce qui pourrait ressembler aux Indes, lorsqu'il croisa un membre de la peuplade des Taïnos occupé à transformer quelques feuilles en fumée.

IIndien présentant le tabac à Christophe Colomb, publicité, 1866, Washington, Librairie du Congrès. L'agrandissement montre une illustration extraite de l'ouvrage d'André Thévet, Les Singularités de la France antarctique, 1568.Séduit, l'explorateur en rapporta à son chef, Christophe Colomb, qui sut à son tour apprécier cette « herbe aux feuilles charnues, douces et veloutées au toucher ». Il trouva vite normal que les indigènes se promènent avec « à la main un tison d’herbes pour prendre leurs fumigations ainsi qu’ils en ont coutume » (Journal de bord, 1492).

Malgré les mésaventures de Jerez, emprisonné à son retour en Espagne par l'Inquisition qui comprenait mal comment de la fumée pouvait lui sortir des narines, les aventuriers qui se succédaient dans les nouvelles terres adoptèrent vite la pratique du tabacos, mot dérivé de la langue caraïbe arawak.

Rapportée en Europe, la plante trompe-la-faim se fait ornementale dans les jardins comme celui d'André Thévet, à Angoulême.

Le voyageur, spécialiste de l'éphémère France antarctique (Brésil), aurait bien aimé appeler la belle « l'angoumoise » ou « la panacée antarctique » mais c'était sans compter la rapidité et les relations d'un autre Français, Jean Nicot.

 Personnages travaillant dans un atelier de tabac, Mexique, XVIIIe siècle, Paris, musée du Quai Branly. L'agrandissement montre un tableau de Peter Rindisbacher représentant le gouverneur d'Ossiniboia avec les chefs et guerriers de la tribu Chippewa dans la Colony House de Fort Gouglas, 22 mai 1823, Montréal, musée Mac Cord.

Premiers pétards, premières dépendances

Dans sa monumentale Histoire des Indes, le dominicain Bartolomé de Las Casas, dont le père a accompagné Colomb lors de son second voyage, décrit une étrange coutume...
« Nos amis trouvèrent sur leur route beaucoup de gens, hommes et femmes, qui traversaient les villages, les hommes ayant toujours un tison à la main et certaines herbes pour se régaler de leur parfum. Il s'agit d'herbes sèches enveloppées dans une certaine feuille, sèche aussi, en forme de ces pétards (mosquete) en papier comme ceux que font les garçons à la Pentecôte. Allumés par un bout, par l’autre ils le sucent ou l’aspirent ou reçoivent avec leur respiration, vers l’intérieur, cette fumée dont ils s’endorment la chair et s’enivrent presque. Ainsi, ils disent qu’ils ne sentent pas la fatigue. Ces pétards, ou n’importe comment que nous les appelions, ils les nomment tabacs. J’ai connu des Espagnols dans l’île Espagnole qui s’étaient accoutumés à en prendre et qui, après que je les en ai réprimandés, leur disant que c’était un vice, me répondaient qu’il n’était pas en leur pouvoir de cesser d’en prendre. Je ne sais quelle saveur ou quel goût ils y trouvent » (Histoire des Indes, 1571).

Catherine de Médicis et Jean Nicot, illustration du livre de Théodose Burette, La Physionomie du fumeur, 1841, Paris, BnF.

Tourne-nicotine

Nicot est entré dans l'Histoire la tête basse : envoyé au Portugal pour arranger le mariage du roi Sébastien et de la belle Marguerite de Valois, son ambassade est un fiasco.

Qu'importe ! Il parvient à entrer dans les bonnes grâces de Catherine de Médicis en lui proposant un remède infaillible contre les migraines dont souffre son fils François. Adepte des pratiques plus ou moins occultes, la souveraine tombe sous le charme de la poudre à priser ou chiquer dont elle va faire une belle promotion, à la cour et au-delà.

Fleur de tabac (Nicotiana tabacum L.) dans l’Herbier de Linné, XVIIIe siècle. L'agrandissement montre une lithographie de Charlotte Elisabeth de Bavière, princesse Palatine à la cour de France au XVIIe siècle, intitulée La Charmante Tabagie, Paris, BnF, Gallica.L' « herbe catherinaire » ou « à la Reine » vaudra à Nicot anoblissement et entrée dans le dictionnaire sous la forme du nom commun de « nicotiane ». Les savants ne tarissent pas d'éloge sur la Nicotiana tabacum dont on a découvert les supposées vertus médicinales : gale, phtisie, mal au ventre... rien ne résiste aux potions, pilules et pommades ! Et rien de tel qu'une petite dose de tabac pour ranimer les noyés, c'est bien prouvé !

Mais tout le monde n'est pas convaincu, à commencer par le pape Urbain VIII qui craint pour la bonne tenue des offices : « les personnes des deux sexes, même les prêtres et les clercs, autant les séculiers que les réguliers, oubliant la bienséance qui convient à leur rang, en prennent partout et principalement dans les églises […], ils souillent les linges sacrés de ces humeurs dégoutantes que le tabac provoque, ils infectent nos temples d’une odeur repoussante » (Bulle du pape Urbain VIII, 1642).

Il est rejoint à la même époque dans cette contestation par le sultan ottoman Mourad IV et l'empereur de Chine Chongzhen, deux adeptes de la décapitation pour les fumeurs, mais aussi par le tsar Michel qui préfère couper les lèvres. Une manière comme une autre de mettre fin au problème.

Première campagne anti-tabac

Portrait de Jacques Ier d'Angleterre, attribué à John de Critz, vers 1606, Londres, Dulwich Picture Gallery. L'agrandissement est un autoportrait de Joos van Craesbeeck, Le Fumeur, 1660, Paris, musée du Louvre.En 1604 Jacques Ier entre en lice dans le combat anti-tabac avec un pamphlet intitulé Misocapnos (« Haine du tabac », en grec), et il n'y va pas de main morte :
« Une herbe fétide, répugnante, fumée par des sauvages de certains cantons d'Amérique, est à peine connue que son emploi se répand […] Si vous avez encore quelque pudeur, quittez cette folie, rejetez loin de vous cette plante ramassée dans la boue. C'est par ignorance que vous l'avez reçue, c'est par stupidité que vous en avez usé. Si vous ne suivez pas mes conseils, vous attirerez sur vous la vengeance divine, vous nuirez à votre santé, vous ruinerez votre bourse, vous déshonorerez la nation […]. C'est une chose qui répugne à la vue, d'une odeur insupportable, nuisible à l'intelligence. Pour tout dire enfin, ses noirs tourbillons de fumée ressemblent aux vapeurs qui s'échappent de l'enfer » (Misocapnos sive de abusu tobacci, lusus regius, 1604).

Prises de bec à répétition

Plutôt que de mutiler les sujets de son royaume, Jacques Ier d'Angleterre, que le tabac fait tousser, préfère frapper où ça fait mal : au porte-monnaie. Taxons !

Au début du XVIIe siècle est ainsi instaurée une petite augmentation de 4000 % des droits d'importation qui devait faire réfléchir les plus passionnés. C'était sans compter les débiteurs de tabac qui ne l'entendirent pas de cette oreille et expliquèrent habilement que les finances du royaume avaient tout à gagner d'une taxe plus modérée.

Tabatière attribuée à Jean-Baptiste Massé avec les portraits de Louis XV et de Marie Leczinska. Elle fut offerte par le roi le 3 février 1726 au baron Cornélis Hop, ambassadeur de Hollande, Paris, musée du Louvre. L'agrandissemet montre une Tabatière diplomatique avec portrait de Louis XV, réalisée en 1727 par Daniel Govaers, Paris, musée du Louvre.

Le principe parvint outre-Manche et l'on vit Richelieu se friser les moustaches à l'idée de remplir facilement les caisses du royaume. Son compère Colbert alla plus loin puisqu'il mit carrément en place un monopole d'État sur le produit. Rien à faire, la population continua à courir après la fumée malgré les mises en garde du corps médical.

Qui pour écouter Fagon, premier médecin de Louis XIV ? A quoi bon expliquer que « [l]e nez […] n'est pas fait pour servir d’égout à toutes les humeurs qu'il plaît d'y attirer par la force » (Dissertation […] sur les bons et mauvais effets du tabac […], 1699) lorsque soi-même on est adepte de la prise ?

Gravure du corsaire Jean Bart, New York Public Library.D'ailleurs toute l'aristocratie du XVIIe siècle y va de ses reniflements nicotiniques, comme le rappelle le célèbre éloge du tabac qui ouvre le Don Juan de Molière. Rien de plus chic que de faire voleter ses dentelles pour offrir une prise, tirée d'une délicate tabaquière !

Louis XIV déteste, s'énerve, prend ombrage et interdit qu'on fume devant lui, à une exception : « Jean Bart, il n'est permis qu'à vous de fumer chez moi » (cité dans Le Plutarque français, 1845). Mais la « passion des honnêtes gens » (Molière) est aussi celle des petites gens qui préfèrent bien souvent la pratique de la pipe voire de la chique, notamment sur les navires.

Certes, Louvois fait distribuer des kits complets du parfait fumeur à ses soldats, mais gare aux incendies ! Ne dit-on pas qu'une partie de Moscou est partie en fumée en 1650 à cause d'un pratiquant maladroit ?

Pour devenir honnête homme

Molière a choisi d'ouvrir sa pièce Don Juan sur un monologue original : le serviteur Sganarelle s'y amuse à parler comme son maître en se lançant dans un éloge du tabac, présenté comme un bel instrument de convivialité... Molière avait tout compris !
« Quoi que puisse dire Aristote et toute la philosophie, il n'est rien d'égal au tabac : c'est la passion des honnêtes gens, et qui vit sans tabac n'est pas digne de vivre. Non seulement il réjouit et purge les cerveaux humains, mais encore il instruit les âmes à la vertu, et l'on apprend avec lui à devenir honnête homme. Ne voyez-vous pas bien, dès qu'on en prend, de quelle manière obligeante on en use avec tout le monde, et comme on est ravi d'en donner à droite et à gauche, partout où l'on se trouve ? On n'attend pas même qu'on en demande, et l'on court au-devant du souhait des gens : tant il est vrai que le tabac inspire des sentiments d'honneur et de vertu à tous ceux qui en prennent » (Molière, Don Juan ou le Festin de pierre, 1665).

Lithographies représentant un débit de tabac. La première s'intitule Débit de tabac, eau de vie de Coignac, vers 1815, Marseille, MuCEM, Musée des Civilisations de l'Europe et de la Méditerranée.  L'agrandissement présente une image d'd'Épinal, XIXe siècle, Marseille, MuCEM.

« J'ai du bon tabac... »

« Le tabac a-t-il été fait pour le nez ou le nez pour le tabac ? » Cette question hautement philosophique, née dit-on, du mauvais esprit de Voltaire, montre que le XVIIIe siècle n'a pas échappé à l'épidémie. Ce ne sont pas moins de 1 200 débits de tabac qui tentent alors d'attirer dans leurs filets les promeneurs parisiens.

La production vient alors essentiellement de Virginie, se nourrissant de l'esclavage ; la France a préféré interdire en 1719 toute culture et seules la Franche-Comté, l'Alsace et la Flandre peuvent alors faire concurrence à la Compagnie des Indes Orientales.

Les Trois fumeurs, 1789, Paris, BnF.Le pays se divise alors en deux : d'un côté l'usage tout aristocratique de la prise, toujours très chic, qui permet à Louis XVI d'offrir comme royal présent à Benjamin Franklin une tabatière ornée de diamants. De l'autre, l'habitude « sans-culotte » de la pipe qui, suite aux événements de 1789, va écraser sa concurrente à plates coutures en rejetant dans la ringardise l'utilisation de la « tabatière anatomique » (espace situé à la racine du pouce).

À quoi ressemblait d'ailleurs un révolutionnaire ? « Représente-toi deux larges moustaches, une pipe en forme de tuyau de poêle et une large gueule d'où sortent continuellement les fumées de tabac » (extrait du journal Le Père Duchesne, 1790).

Les soldats de l'Empire, eux-mêmes issus du peuple, gardent le même amour pour la pipe mais lui sont quelque peu infidèles en faisant un triomphe à la bouffarde, au tuyau plus court. Son nom vient-il vraiment d'un certain Népomucène Bouffardi dont la main, pourtant clairement arrachée du bras, n'avait pas lâché l'objet ?

Le Fumeur patriote, vers 1790, Paris, BnF.

Étaient moins tenaces les victimes des champs de bataille auxquelles on mettait une pipe entre les dents au moment de l'amputation : la chute de l'objet laissait fort présager que le blessé avait « cassé sa pipe » une bonne fois pour toutes.

Quant à Napoléon lui-même, pas de bouffarde puisqu'une tentative malheureuse le fâcha à jamais avec la pratique : « Fumer est un plaisir dont l'habitude n'est bonne qu'à désennuyer les fainéants » (Mémoires de Constant, 1830).

David Teniers le Jeune, Singerie, vers 1660, Anvers, musée royal des Beaux-Arts. L'agrandissement montre le tableau de Henri Fantin-Latour, Un coin de table, 1872, Paris, musée d'Orsay. Assis, de gauche à droite : Verlaine, Rimbaud, Valade, Ernest d'Hervilly fumant la pipe, et Camille Pelletier, homme politique républicain. Debout, de gauche à droite, Elzéar Bonnier, Emile Blémont et Jean Aicard.

« Je suis la pipe d'un auteur »...

L'amie fidèle de Charles Baudelaire (« La Pipe », 1857) n'est pas la seule à avoir eu l'honneur de passer à la postérité. Stéphane Mallarmé a lui aussi honoré cette alliée de l'inspiration : « Jetées les cigarettes avec toutes les joies enfantines de l'été dans le passé qu'illuminent les feuilles bleues de soleil, les mousselines, et reprise ma grave pipe par un homme sérieux qui veut fumer longtemps sans se déranger, afin de mieux travailler » (Vers et prose, 1893). Et il est vrai que jamais vous ne croiserez Arthur Rimbaud sans sa fidèle bouffarde à la main, jamais vous ne pourrez dissocier Georges Brassens de sa chère « vieill' pipe en bois » (« Auprès de mon arbre », 1956). Quant à Serge Gainsbourg, le « fumeur de havanes », il a très tôt rejoint le clan des amateurs de cigares et cigarettes où l'on a pu croiser Freud, Malraux, Prévert, Camus, Duras, Sagan et plus récemment Houellebecq, tous d'accord avec la marquise de Sévigné : « C’est une folie comme du tabac ; quand on y est accoutumée, on ne peut plus s’en passer » (Lettre du 16 octobre 1675). Non, vraiment, comme le disait Flaubert, « sans la pipe la vie serait aride, sans le cigare, elle serait incolore, sans la chique, elle serait intolé¬rable ! » (Correspondance, 1843). C'était déjà l'avis du poète Saint-Amant qui nous rappelle que tout n'est que fumée, dans ce sonnet sobrement intitulé « Le Fumeur » (1626) :

Autoportrait, vers 1630, Jan Davidsz. de Heem, Amsterdam, Rijksmuseum. L'agrandissement montre un tableau de Paul Cézanne, Homme à la pipe, 1890, Saint-Petersbourg, musée de l'Ermitage.« Assis sur un fagot, une pipe à la main,
Tristement accoudé contre une cheminée,
Les yeux fixes vers terre, et l’âme mutinée,
Je songe aux cruautés de mon sort inhumain.

L’espoir, qui me remet du jour au lendemain,
Essaye à gagner temps sur ma peine obstinée,
Et, me venant promettre une autre destinée,
Me fait monter plus haut qu’un empereur romain.

Mais à peine cette herbe est-elle mise en cendre,
Qu’en mon premier état il me convient descendre,
Et passer mes ennuis à redire souvent :

Non, je ne trouve point beaucoup de différence
De prendre du tabac à vivre d’espérance,
Car l’un n’est que fumée, et l’autre n’est que vent »
.

La Tabacomanie ou le culte du cigare, 1842, Marseille, MuCEM, Musée des Civilisations de l'Europe et de la Méditerranée.

Le siècle des cheminées

S'il n'a pas succombé au tabac, Napoléon, en bon stratège, a su s'en servir. En 1811, il en rétablit le monopole, supprimé par l'Assemblée nationale en 1791, puis en 1815, à la fin de la guerre d'Espagne, il ordonne la fabrication de cigares en France. Héritées des Mayas, ces feuilles roulées remplies de tabac avaient rencontré dès le XVIe siècle un grand succès de l'autre côté des Pyrénées, devenant au fil des siècles symbole de raffinement.

Photographie en noir et blanc de François Vizzanova d'un tableau de Pierre Louis Joseoh Coninck, Le bon tabac (1880). Elle a été exposée au Salon des artistes français en 1910. L'agrandissement est un tableau d'Édouard Manet par Stéphane Mallarmé, 1876, Paris, musée d'Orsay.La bourgeoisie de Louis-Philippe ne peut plus s'en passer ! Mais les moins aisés lui préfèrent la cigarette, d'abord roulée à la main dans du papier avant que la production devienne mécanique en 1830.

En pleine révolution industrielle, c'est le triomphe de la machine ! Même la famille royale succombe puisque lors d'un gala de charité, en 1843, la reine Marie-Amélie en personne en fait la promotion avant que Napoléon III, fumeur invétéré, ne leur donne à son tour leurs lettres de noblesse.

Avec près d'un kilo de tabac consommé par an et par Français, on peut sans se tromper commencer à parler de « tabacomanie ». Si les femmes, étonnamment, continuent à priser, les hommes ne lâchent pas leur pipe.

Les romans se peuplent de fumeurs de tous poils, de Charles Bovary qui tente, maladroitement, d'adopter les cigares du beau monde, jusqu'au colonel Chabert qui en est réduit à trouver du réconfort dans la compagnie de son brûle-gueule.

Balzac, créateur du vieux bonhomme, ne manque pas de remarquer que « partout, l'homme est réduit à l'état de cheminée ». Mais s'il est lui-même grand consommateur d'excitants, il n'adopte pas ces fourneaux miniatures qu'il accuse de détruire le goût. Insupportable, pour ce bon vivant notoire !

« Vient enfin la cigarette... »

Dans sa Physionomie du fumeur (1841), Théodose Burette s'intéresse à ce nouveau mode de consommation, peu sophistiqué à son goût, mais utile...
Caricature de George Sand, illustration du livre de Théodose Burette, La Physionomie du fumeur, 1841, Paris, BnF. L'agrandissement montre un tableau d'Edvard Munch, Autoportrait avec cigarette, 1895, Norvège, Galerie nationale d’Oslo.« Vient enfin la cigarette, dont la terminaison qui tombe en diminutif indique assez la nature amoindrie. La cigarette est gentille, vive, animée ; elle a quelque chose de piquant dans ses allures ; c'est la grisette des fumeurs. Ne la fait pas bien qui veut : c'est tout un apprentissage. [...] Elle sèche la poitrine, débilite les glandes salivaires, et traîne après elle tous les inconvénients de la manie de se ronger les ongles. Elle jaunit le pouce et l'index, comme si l'on avait épluché des cerneaux, pis que cela peut-être ; et l'on est obligé de dire tout haut dans un salon : « Je fume la cigarette ». […]
Jeune homme qui ne fumez pas encore, mais qu'une noble émulation dévore, et qui brûlez de marcher sur les traces de vos anciens […] suivez un conseil d'ami, ne vous attaquez pas de prime abord à la pipe en terre […]. C'est par la cigarette que vous devez débuter. La cigarette est sans force ; elle n'engage à rien ; l'odeur du papier brûlé n'y corrige que trop la piquante odeur du tabac »
.

École française fin XIXème - début XXème siècle. Scène dans une fumerie d'opium. L'agrandissement représente le dessin d'une fumerie d'opium à Paris, Le Petit Journal, supplément du dimanche ; 5 juillet 1903 - Source RetroNews BnF.

Comme une traînée de poudre

« Ça, monsieur, lorsque vous pétunez, / La vapeur du tabac vous sort-elle du nez / Sans qu’un voisin ne crie au feu de cheminée ? » Le XIXe siècle s'achève sur ces vers de Cyrano, truculent personnage au nez particulièrement bien approprié pour la pratique.

L'engouement ne faiblit pas, porté par la renommée thérapeutique du tabac que l'on utilise joyeusement pour soigner l'asthme, la tuberculose et même l'hystérie. Il est vrai qu'en lui associant un peu d'opium, il devient une agréable panacée !

Georges Redon, Le Poilu ne fume que dans le « Poilu », affiche publicitaire, 1915, Paris, BnF. L'agrandissement montre une affiche d'André Ménard, Fumeurs de l'arrière, 1916, Paris, BnF.Mais en 1885 l'invention du mot « tabagisme » montre enfin une prise de conscience des méfaits de cette consommation, du moins de la part des scientifiques qui s'inquiètent du mauvais état de santé des ouvriers des manufactures de tabac. Les avertissements n'y changent rien, la population continue à rivaliser dans la fabrication de volutes.

Lorsque la Grande Guerre éclate, l’approvisionnement des soldats en tabac devient un des grands sujets d’inquiétude comme le rappelle John Pershing : « Si vous me demandez ce dont nous avons besoin pour gagner cette guerre, je réponds, du tabac autant que des balles ».

Chaque poilu doit en effet pouvoir trouver quelque réconfort en remplissant de « foin » ou de « gros cul » sa chère « quenaupe » (pipe) ou sa « grisette » (cigarette). Mais gare à celui qui oublie qu’il devient une belle cible dans la nuit !

Comme le rappelle le dicton, « Si trois cigarettes sont allumées par la même allumette, le troisième homme sera tué par les tirailleurs d'en face » qui auront eu le temps d'ajuster... Qu'importe le risque ! Les soldats ne peuvent plus se passer de leurs Gitanes Caporal prêtes à fumer. Elles sont les petites sœurs des fameuses Gauloises, elles aussi créées en 1910 et qui feront, jusqu'en 1970, partie des rations de combat.

Les poilus dans les tranchées, photographie Ministère des Armées, DR.

Chez les poilus pétuneurs

Ce dictionnaire d'argot, daté de 1918, montre bien à quel point le tabac était inséparable de tout bon poilu :
« Perlot, m. Tabac. Le perlot est une espèce particulière de tabac composé de troncs d'arbres et de feuilles de tabac ; le poilu appelle fin le tabac qui ne contient pas de troncs d'arbres. Le tabac est indispensable au poilu. Comme dit Sganarelle dans le Don Juan de Molière, « Quoi que puisse dire Aristote et toute la philosophie, il n'est rien d'égal au tabac [...] ». Ainsi, chaque pipe de perlot « instruit les âmes à la vertu » : la pipe, la quenaupe, comme disent les poilus, est donc un grand instrument de perfectionnement moral et ce sera l'éternel honneur du peuple poilu d'en avoir héroïquement généralisé l'emploi.
Au XVIIIe siècle, on s'occupait, avant de charger, « d'assurer les chapeaux et les rubans de queue ». Au siècle des poilus, on se prépare au combat eu allumant sa pipe, et il y a une belle crânerie à la française dans le geste du poilu qui, en dépit des obus, s'absorbe dans le souci de rallumer une pipe qui ne tire pas.
Dans la tranchée, le perlot est un grand magicien : il ouvre les portes du paradis du rêve ; il tue le cafard mieux que n'importe quel insecticide ; et dans les volutes de sa fumée, le poilu, évoquant le pays et les visages aimés, croit que la guerre est finie... Aristote a tort, Sganarelle a raison : il n'est rien d'égal au tabac »
. (François Déchelette, L’Argot des Poilus, 1918).

Michel Simon incarne le Père Jules dans L'Atalante, film de Jean Vigo, 1934. L'agrandissement présente une scène jouée par Lauren Bacall et Humphrey Bogard dans Le Port de l'Angoisse, 1945.

Tout feu tout flamme

Les années Folles vont se jeter à corps perdu dans le tabac, indispensable symbole de jeunesse et de modernité.

Il faut dire que les grandes marques américaines se sont lancées dans une guerre du marketing particulièrement efficace : Camel met en avant son dromadaire (1913), Malboro son cow-boy (1954), Lucky Strike son argument anti-poids pour ces dames (1927).

Le Vrai bonheur est !!!, affiche de Jules Chéret, vers 1880, Paris, BnF. lL'agrandissement l’affiche de Alfons Mucha pour le papier à cigarette Jog, 1896, Paris, BnF.La France n'est pas en reste puisque les campagnes de publicité du SEIT (Service d'Exploitation Industrielle des Tabacs, devenu SEITA en 1935 avec l’absorption du monopole des allumettes) font exploser les ventes. Qui peut résister aux belles fumeuses d'Alfons Mucha (Job), aux casques ailés de Maurice Giot (Gauloises), aux andalouses de Max Ponty (Gitanes) ? La présence en tous lieux de la cigarette devient banale et l'on dépasse alors allégrement le milliard de paquets vendus dans le pays.

Les stars du petit écran, détectives (Humphrey Bogard) ou voyous (Jean Gabin), femmes du monde (Audrey Hepburn) ou mégères (Cruella !) ne se font pas prier pour en allumer une petite. Et si tout le monde n'a pas le talent de Michel Simon pour fumer avec son nombril (L'Atalante), c'est tout de même efficace puisque la consommation double entre 1927 et 1938.

Avec la guerre, il faut calmer ses ardeurs et se contenter de ce que les cartes de rationnement veulent bien distribuer. Heureusement on peut compter sur les Américains pour apporter la paix et avec elle, leurs chères cigarettes blondes.

Ce sont eux aussi qui tirent une fois de plus le signal d'alarme sur les conséquences sanitaires, provoquant une rapide réaction des grandes industries du tabac de leur pays, connues sous le surnom de Big Tobacco : elles créent en 1953 le TIRC (Comité de Recherche de l'Industrie du Tabac) destiné à faire des études sur la dangerosité de leurs produits... et à rassurer leurs fidèles consommateurs, quitte à ne pas tout dire.

« Un ban pour la Gitane ! »

En 1929, une publicité de la Régie Française des Tabacs met en scène les plus célèbres poètes, cinéastes et sportifs de l'époque, rassemblés pour l'occasion sous les ors de la Rotonde pour vanter les mérites de la cigarette. Regardez de plus près : les sosies ont été bien sélectionnés !

La mort à petit feu ?

Les Trente Glorieuses et leur frénésie de consommation arrivent à point nommé !

Enfant qui fume, Nikiforos Lytras, 1894.La jeunesse, en particulier, se jette sur ce symbole de liberté que l'État ne sait plus comment gérer. Doit-il en faire la promotion pour remplir les caisses de la SEITA, ou multiplier les accusations pour préserver la santé publique ?...

Alors que l'Organisation Mondiale de la Santé commence à parler de « désastre sanitaire », en 1973 le ton monte avec la loi Veil qui impose des restrictions dans la liberté de fumer et d'en faire la publicité.

Cette première campagne nationale anti-tabac est un succès, puisque en 10 ans 3 millions de personnes arrêtent de fumer. Mais ce n'est pas suffisant : en 1991, la loi Évin engage cette fois l'État dans une claire « dévalorisation du tabac » en interdisant la publicité et l'usage dans les lieux collectifs.

Face aux poches de résistance et aux détournements plus ou moins rusés de la loi, le président Jacques Chirac, lui-même gros fumeur, entame une « guerre contre le tabac » en 2002 avec la hausse brutale des prix (+ 35% en 2 ans) et l'interdiction de fumer dans tous les lieux publics (2006) avant l'arrivée d'images chocs sur les paquets (2010) puis du paquet neutre (2015).

Les efforts semblent porter leurs fruits, puisqu'entre 2017 et 2019 les rangs des fumeurs se sont allégés d'1,6 million de personnes. Ambiance « hygiéniste », succès du mois sans tabac, vapotage, remboursement des substituts et prix prohibitifs peuvent expliquer ces chiffres, à moins que les fumeurs aient enfin pris conscience que la moitié d'entre eux mourront des suites de cette accoutumance.

Ces bons résultats ne doivent cependant pas faire oublier la hausse de la consommation chez les femmes ni la popularité inquiétante d'autres produits comme le haschich, dont la dépénalisation est même demandée par certains !

Gaetano Previati, Les Fumeuses de Haschich, 1887, collection privée. L'agrandissement montre un tableau d'Émile Bernard, La fumeuse de Haschich, 1900, Paris, musée d'Orsay.

Rappelons également que si en Occident le tabac est en recul, ses grandes industries ont su trouver de nouveaux terrains de chasse dans les pays moins développés où vivent près de 80 % des fumeurs de la planète. Le tabac n'a pas fini de faire des ravages.

Meurtre à la nicotine !

En 1851, le comte de Bocarmé est amené devant le bourreau pour avoir la tête tranchée. Son crime ? Avoir assassiné son beau-frère Gustave pour mettre la main sur sa fortune. Classique, me direz-vous ! Sauf que la méthode employée l'est beaucoup moins... Voici le rapport du célèbre chimiste Jean Stas qui avait été appelé à la rescousse :
« Je dois le déclarer ici parce que c'est la vérité, j'eus brusquement l'idée providentielle, j'ose le dire, de verser de la potasse sur une partie des matières [prélevées sur le cadavre]. Cette potasse je la versai ne sachant plus, pardonnez-moi l'expression, à quel saint me vouer. A l'instant même se dégage une odeur véreuse extrêmement forte. […] Sur la feuille de papier où, quand je pensais toucher au but, j'avais écrit le mot Cicutine [composant de la ciguë], j'en avais mis un autre avec un point d'interrogation. Le second mot écrit était Nicotine. J'instituais alors une série de recherches fort longues, mais le succès vint récompenser mes efforts et je pus m'écrier : J'ai trouvé !
Je déclare solennellement que la Nicotine est entrée dans le corps de Gustave Fougnies à l'état de pureté complète et en quantité effrayante »
(cité dans la Revue d'Histoire de la Pharmacie, 1932).

Un champ de feuilles de tabac de la société Traditab, dans le Lot-et-Garonne, avec en arrière plan, le séchoir à tabac.  L'agrandissement montre des feuilles de tabac Basma séchant au soleil au village de Pomak à Xanthi, Thrace, Grèce.

Le tabac, une force économique

Connaissant parfaitement la fameuse loi de l'offre et de la demande, les autorités françaises se sont vite intéressées à la production de tabac et aux bénéfices qu'elles pouvaient en tirer. Soumise au monopole royal depuis Colbert, sa production a été d'abord limitée aux terres grasses et humides de l'Est et du Sud-Ouest, ainsi que des Antilles.

Dans le même temps, fort logiquement, la contrebande se met en place tandis que les cultures clandestines se multiplient avant l'élargissement des droits de plantation du côté du Var ou encore des Landes, sous le Second Empire. En 1875, ce sont ainsi pas moins de 40 000 planteurs, dont la moitié dans le Sud-Ouest, qui vivent de cette production, bien plus rentable que le maïs !

La majorité d'entre elle est destinée aux 10 manufactures d'État qui rassemblent en 1840 près de 4000 ouvriers, ou plus précisément d'ouvrières, à l'image de la belle cigarière sévillane Carmen : « Elles sont 4 à 500 femmes occupées dans la manufacture. Ce sont elles qui roulent les cigares dans une grande salle, où les hommes n’entrent pas sans une permission du Vingt-quatre [magistrat], parce qu’elles se mettent à leur aise, les jeunes surtout, quand il fait chaud » (Prosper Mérimée, Carmen, 1845).

Paqueteuses ou coupeuses, capables d'enrouler le tabac dans une feuille en un tour de main, ces cigaretteuses bien peu payées sont mal vues par la société qui craint leur penchant pour la revendication. À l'autre bout de la chaîne se trouvent les débitants, véritables agents de l'administration qui furent longtemps choisis par l'État parmi les anciens militaires ou leurs veuves et qui, aujourd'hui, se font chaque année moins nombreux.

On peut enfin rappeler que les taxes et la TVA sur le tabac et ses dérivés ne cessent de rapporter toujours plus d'argent dans les caisses de l'État, pactole estimé à 15 millions d'euros en 2018.

Conseils d'un écrivain

Bel-Gazou a 15 ans lorsqu'elle reçoit cette lettre de sa célèbre mère, l'écrivain Colette...
« Ma chérie, ne sois pas triste. Si j’ai eu un choc pénible à découvrir que tu fumais en cachette, c’est surtout parce que je sais la force d’une habitude, même anodine. Or, celle du tabac ne l’est pas, surtout sur un être jeune, en voie d’épanouissement. Si je me suis gardée de l’habitude de fumer, ce n’est pas à cause du mal que le tabac, modérément fumé, pouvait me faire, c’est parce que, pendant ma longue vie, j’ai vu à mes côtés des êtres dévastés par le despotisme de l’habitude. J’ai vu mon père, qui tous les ans prenait l’engagement de ne plus fumer (à cause de son foie). Tous les ans, dominé par l’habitude il retombait. J’ai vu mon frère aîné, esclave de la cigarette, et pourtant médecin. J’ai vu ton père, allumant une cigarette à la cigarette qui allait s’éteindre, tout le long du jour. Énervé, essoufflé (cœur), je l’ai entendu prendre des résolutions successives de ne plus fumer… La privation du poison, la privation de son habitude le rejetaient à bout de forces à l’usage du tabac. Enfin j’ai vu, pendant la guerre, un affreux spectacle […]. J’ai vu sur le trottoir de la Civette, place du Théâtre Français — tu sais ? — une file d’hommes effondrés, des mouvements nerveux dans les doigts, une petite sueur sur la figure, qui attendaient la réouverture du bureau de tabac de la Civette. C’est la vue des fumeurs qui m’a toujours détournée du tabac » (Colette, Lettres à sa fille, 1928).

Suzane valadon, La Chambre bleue, 1923, Paris, Centre Pompidou. L'agrandissement montre la photographie d'un concours de tabac à Belleville, 1926, Paris, BnF.

Histoires d'allumeuses

La femme et le tabac, quelle drôle d'histoire ! Si c'est bien une reine, Catherine de Médicis, qui valut à notre pays de succomber au charme de la fumée, longtemps on n'a guère apprécié de voir ces dames « avec le nez sale, qu'elles avaient plongé dans l'ordure » (témoignage de la princesse Palatine, 1713).

Elles ne peuvent être que des malades, des femmes de mauvaise vie ou pire, des « lionnes », ces êtres qui rejettent leur condition pour agir comme des hommes. George Sand en est l'exemple parfait, elle qui a la première féminisé le mot « cigaret » et qui n'hésita pas à se faire représenter en train de savourer les charmes d'une longue pipe.

Leonetto Cappiello, affiche pour les cigarettes Araks, 1925, Paris, BnF. L'agrandissement présente le portrait de Coco Chanel par Man Ray, 1935.La cigarette serait-elle un instrument de libération pour la femme ? Les élégantes de la Belle Époque et les Garçonnes des années 20 en sont convaincues : rien de plus séditieux qu'une cigarette à la bouche, rien de plus frondeur qu'un fume-cigare à la main ! Colette les a utilisés pour provoquer, Coco Chanel en a fait des accessoires de mode.

Si la toute première publicité met en scène une jeune fille, la fumette féminine reste cependant rare, du moins jusqu'à la seconde guerre mondiale qui, en refusant au beau sexe l'accès à la carte de tabac, incite les plus frondeuses à adopter ce petit geste de rébellion. En 1945 finalement, c'est la même année que le droit de vote qu'elles obtiennent de nouveau celui de fumer !

On crée à leur intention des cigarettes légères et même supposées amincissantes, on les abreuve d'images de stars hollywoodiennes séduisant à coups de ronds de fumée...

De plus en plus présentes dans le monde du travail, elles deviennent financièrement indépendantes et aiment à partager quelques instants de convivialité autour d'une cigarette. Le résultat est là : aujourd'hui elles ne sont pas loin de représenter en France la moitié des adeptes du tabac et si elles fument encore moins que leurs compagnons, notamment à cause des grossesses, l'écart ne cesse de diminuer.

André Malraux, timbre réalisé par la Poste, 1996. L'agrandissement montre l'affiche de l'exposition, Tati deux temps trois mouvements, à la Cinémathèque de Paris en 2009.

Cigarettes fantômes

« C’est facile d’arrêter de fumer, j’arrête 20 fois par jour » aurait ironisé Oscar Wilde. Mais cela ne fait pas rire tout le monde si l'on en croit les nombreuses campagnes anti-tabagiques qui ont été organisées au fil des siècles. On a essayé de faire peur au fumeur, de lui faire honte, et même de lui cacher les exemples à ne pas suivre. Certes, il est difficile de faire oublier le cigare de Winston Churchill ou de Fidel Castro, mais saviez-vous que le général de Gaulle adorait les Craven et qu'Emmanuel Macron aime à allumer un petit cigare dans son bureau ? Cachez-moi ce vice que je ne saurais voir ! Et c'est ainsi que Lucky Luke fut contraint dès 1983 de cracher son mégot au profit d'un brin d'avoine et qu'un certain nombre de photographies légendaires furent retouchées pour obéir à l'hypocrisie ambiante. De peur de promouvoir de « façon directe ou indirecte » le tabac, on dépouilla ainsi André Malraux (1996) et Jean-Paul Sartre (2005) de leurs légendaires clopes pour pouvoir les afficher sur un timbre ou dans les catalogues de la BnF. On aurait pu penser que le gentil Jacques Tati, bien inoffensif, aurait pu passer entre les griffes de la censure (2009), que nenni ! Voilà sa pipe remplacée par un étrange moulin à vent au nom du politiquement correct. Faut-il y voir un subtil coup marketing ou une attaque contre la loi Évin ? Une fois de plus, le pays se divise entre défenseurs du patrimoine et combattants anti-tabac. Dix ans plus tard, les gros fumeurs qui constituent notre patrimoine ne sont toujours pas à l'abri d'une réécriture de leur histoire. Cependant, on peut se montrer optimiste quant au respect de l’Histoire lorsqu'on constate que dans un film comme J'Accuse, de Roman Polanski (2019), rares sont les plans où les personnages ne fument pas, XIXe siècle oblige !

Bibliographie

Didier Nourrisson, « Le Tabac, une passion française »Histoire n°233, juin 1999,
Didier Nourrisson, Cigarette. Histoire d'une allumeuse, éd. Payot, 2010,
Pierre Boisserie et Stéphane Brangier, Cigarettes, le dossier sans filtre, éd. Dargaud, 2019.

Publié ou mis à jour le : 2021-06-05 19:03:07
Bertrand (19-05-2020 20:48:38)

Bonjour
Concernant les vertus thérapeutiques du tabac, il me semblait qu'il s'agissait de Catherine de Médicis qui souffrait de migraines très violentes ?
Merci

GUILLEMIN (04-02-2020 23:12:42)

J'aurais bien voulu un chapitre sur les Indiens d'Amérique et leur calumet de la paix .

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