Marc Ferro

Histoires parallèles d'un historien engagé

Mes Histoires parallèles (Marc Ferro)Né en 1924, Marc Ferro a eu mille vies. Historien et homme engagé, il est à la fois témoin et acteur du XXe : la Résistance, l'Algérie, la décolonisation, le retour de De Gaulle, Mai 1968, les courants intellectuels qui ont marqué la France... Il se raconte dans Mes histoires parallèles (avril 2011, 377 pages, 20 euros).

Avec humour, recul et nonchalance, c'est tout le XXe siècle qu'il nous livre à travers son regard d'historien. Très tôt passionné par l'Histoire, il va vivre celle-ci en acteur (modeste).

Réfugié à Grenoble pendant la Seconde Guerre mondiale, il se trouve embarqué dans les réseaux de Résistance, comme d'autres de ses amis l'ont été dans la Collaboration.

Il participe à la bataille du Vercors et à la libération de Lyon, anonyme parmi les anonymes mais déjà attentif aux mouvements d'humeur de l'opinion.

Après la guerre, Marc Ferro, jeune marié et père de famille comblé, espère trouver sa vocation dans l'enseignement. Il est affecté avec sa femme Vonnie à Oran, en Algérie.

L'agrégation à jamais refusée

Première déception : il échoue au concours de l'agrégation une fois, deux fois, trois fois... Sept fois au total. Ainsi celui qui reste l'un des historiens les plus populaires de sa génération, spécialiste reconnu du cinéma, de la Révolution russe et de la Première Guerre mondiale, n'aura-t-il jamais obtenu l'indispensable reconnaissance universitaire ! À tout le moins, son obstination à passer et repasser le concours lui vaut une érudition exceptionnelle.

Deuxième déception, plus intime : il découvre l'écart qui sépare l'enseignement (la transmission d'un savoir figé) de l'interprétation fluctuante de sa matière, l'Histoire.

Il aime à raconter cette anecdote d'un élève qui lève le doigt et lance à propos de la conquête de l'Algérie : «Nous, Monsieur, nous avons été plus malins qu'eux...». Explication : l'enfant, qui vient du Sud algérien, tire fierté de ce que sa communauté de nomades a toujours su conserver son autonomie face à la pression du colonisateur français, à la grande différence des sédentaires de la côte. Ainsi peut-on avoir des points de vue très différents sur les mêmes faits d'Histoire.

Dans le même temps, l'auteur ne tarde pas à s'engager en faveur de l'indépendance algérienne, aux côtés du parti communiste et d'autres mouvements de gauche. Il découvre alors les contradictions de l'âme humaine. Débattant d'un document avec un camarade communiste marié à une musulmane, celui-ci, à bout d'arguments, lui jette : «Même ma Mauresque comprendrait...». Ainsi peut-on affecter des idées progressistes en toute bonne conscience et être, à son insu, intimement réactionnaire ou raciste.

La découverte des images

En 1960, c'est le retour à Paris et bientôt la fin de l'enseignement. Sous la direction de Pierre Renouvin, il accède au CNRS et prépare une thèse de doctorat consacrée à la Révolution russe de 1917.

Attentif aux mentalités et aux mouvements sociaux, il montre, à l'encontre de ses confrères, que la prise de pouvoir de Lénine n'est pas seulement le fait d'un habile coup d'État mais qu'elle puise ses racines dans une vague de fond qui a emporté la société russe.

Dans le droit fil de cette réflexion, il publie un ouvrage tout à fait remarquable sur La Grande Guerre 1914-1918 (Gallimard, 1969), dans lequel il s'attache moins aux péripéties du conflit qu'à ses causes profondes (mentalités bellicistes, désordre des idées...).

En 1962, c'est la consécration : Marc Ferro, l'homme qui a échoué sept fois à l'agrégation, est appelé par Fernand Braudel à diriger la revue des Annales. Cette revue de référence universitaire, fondée en 1929 par Marc Bloch et Lucien Febvre, est à l'origine de la plus prestigieuse des écoles historiques.

En 1989, nouveau départ. Marc Ferro, qui s'est pris de passion pour le cinéma, est sollicité pour animer à la télévision, sur La Sept puis sur Arte, une série historique fondée sur les archives filmées du demi-siècle précédent (Seconde Guerre mondiale et guerre froide). À la lumière de ces archives empruntées à tous les camps, il analyse l'Histoire et les récits que l'on en fait.

Cette série, Histoire parallèle, va durer jusqu'en 2002 et contribuer à faire connaître et apprécier Marc Ferro du grand public. La fin de l'émission n'a pas atténué son appétit. L'historien continue de publier plus d'un ouvrage par ans, entre autres une Histoire des colonisations (Seuil, 1994). Il a également Le livre noir du colonialisme (Robert Laffont, 2003).

 

André Larané

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Grands historiens
Publié ou mis à jour le : 2021-04-22 13:50:26

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