Les Indes britanniques

De la « John Company » au « British Raj »

Les Indes, riches en épices et en pierres précieuses, ont fait rêver les Européens dès le Moyen Âge et c'est pour les atteindre qu'Espagnols et Portugais se lancent dans des explorations maritimes.

En définitive, au XVIIIe siècle, les Portugais ne tiennent plus que quelques comptoirs côtiers tandis que Français et Britanniques entrent en concurrence pour le partage des dépouilles de l'empire moghol, en déliquescence. Les seconds vont l'emporter haut la main et remodeler le sous-continent indien à leur image.

Alban Dignat
Tisseuses dans l'atelier, album Suite des douze métiers de l'Inde, vers 1837, Paris, BnF

Des richesses à foison

En dépit des divisions politiques et des affrontements entre hindous et musulmans, les Indes, au XVIIIe siècle, n'ont rien de commun avec l'image de désolation qui sera la leur au jour de leur indépendance, au milieu du XXe siècle.

Puissance économique majeure, elles exportent des produits finis à base de coton, de soie et de laine, ainsi que des épices, du sucre, des teintures, des parfums etc.  Le travail du cuivre et du bronze, du marbre, de l'ivoire, la bijouterie et la taille des diamants y est de grande qualité. D'autre part, les toiles indiennes, aux procédés de fabrication inconnus en Europe, richement ornées et colorées, sont très prisées par les riches Européens dès le XVIe siècle (cachemire, madras…). 

Un marchand de tissus en Inde au XVIIIe siècleCes richesses alimentent les convoitises occidentales.  Pour répondre à la demande, les souverains européens subventionnent des compagnies commerciales de droit privé en leur octroyant par charte des privilèges fiscaux.

La première compagnie de ce genre, vouée à un prodigieux succès, est fondée le 24 septembre 1599 par une centaine de marchands londoniens désireux de contourner le monopole hollandais sur les épices. Leur compagnie, dénommée East India Trading Company (« Compagnie de commerce des Indes orientales »), reçoit sa charte de la reine Elizabeth Ière le 31 décembre 1599.

Huit mois plus tard, le 24 août 1600, un galion de cinq cents tonneaux, l'Hector, jette l'ancre à Surat, un port au nord de Bombay. Son capitaine William Hawkins entre en relations à Agra avec l'empereur moghol Jehangir. Il règne sur un empire de soixante-dix millions de sujets, incommensurablement plus riche et plus puissant que n'importe quel État européen de l'époque.

Le Grand Moghol délivre au capitaine un firman par lequel il autorise l'East India Company à ouvrir des comptoirs sur la côte occidentale de son empire.

C'est pour les actionnaires de la Compagnie le début d'une prodigieuse fortune. Par leurs importations massives de produits de luxe indiens, ils ne tardent pas à irriter les artisans européens qui crient en vain à la concurrence déloyale. 

En 1717, la Compagnie obtient de l'empereur moghol qui règne à Delhi le droit de faire commerce du sel, de l'opium, du tabac et des noix de béthel sans payer de droits de douane. Elle commence aussi de fortifier le port de Calcutta en vue de se protéger tant des roitelets indiens que de ses rivaux français.

La France et l'Angleterre en viennent à s'affronter durant la guerre de Sept Ans (1756-1763) en vue de mettre la main sur le sous-continent indien, dans une « querelle de commis pour de la mousseline » (Voltaire).

Suite à leur victoire sur les Français, les Anglais vont pouvoir établir une domination sans partage sur le sous-continent... et ruiner son artisanat textile en prenant des mesures ultra-protectionnistes au bénéfice de leur propre industrie.

Le triomphe des marchands anglais

Soucieuse de protéger ses intérêts au Bengale et à Calcutta, la Compagnie britannique des Indes fait appel à des généraux anglais et à des recrutements essentiellement locaux pour combattre les princes voisins qui lui cherchent querelle.

Après avoir expulsé ses rivaux français du sous-continent, le général Robert Clive remporte une victoire décisive à Plassey, au Bengale, sur le souverain local et ses alliés, le 23 juin 1757. C'est véritablement le début de la conquête britannique.

La Compagnie impose le paiement d'un loyer en numéraire à tous les paysans du Bengale en contrepartie de l'exploitation de la terre. Grâce aux colossaux revenus dégagés par cet impôt, elle va accélérer le recrutement des troupes indigènes, les Cipayes.

Comme l'appétit vient en mangeant, elle entreprend alors de conquérir par étapes le sous-continent, en dépit des consignes du gouvernement d'éviter tous « plans de conquête et d'expansion territoriale ».

Malgré la pression fiscale sur les Indiens, ces conquêtes finissent par la mettre au bord de la ruine et le gouvernement de Londres est de plus en plus souvent obligé d'intervenir. Le Premier ministre William Pitt crée un bureau de contrôle des affaires indiennes dès 1784 (India Act). 

La Compagnie, aussi appelée « John Company », soumet progressivement les principautés indiennes. La conquête du très riche Pendjab, le « pays des cinq rivières », l'oblige à des guerres très brutales dans les années 1840 contre les redoutables Sikhs. Son armée anglo-indienne essuie aussi une cuisante défaite face aux Afghans

Guerres sikhs au milieu du XIXe siècle

Quand les princes indiens, tant hindous (maharadjas ou rajahs) que musulmans (nizams ou nawabs), acceptent toutefois de se soumettre par traité, elle leur accorde une entière autonomie, y compris le droit de lever une armée, et se réserve seulement leurs relations extérieures. Elle s'approprie aussi les principautés des maharadjas disparus sans descendance mâle, ce qui lui permet d'étendre ses possessions sans risque.

À Delhi, l'empereur moghol, héritier de la prestigieuse dynastie moghole, n'est lui-même qu'un pantin dans les mains des gouverneurs généraux Dalhousie puis Canning. Bien entendu, la Compagnie se garde de lui verser aucune taxe ou droit de douane. Mais cette mainmise progressive sur les Indes se traduit aussi par un appauvrissement dramatique des habitants. Surendettés, les paysans perdent leurs terres et passent sous la coupe des notables ruraux chargés de la collecte de l'impôt, les zamindars.

Le Bengale, autrefois prospère et actif, sombre dans la misère et connaît une première famine de grande ampleur en 1769-1770. D'autres famines vont suivre à intervalles réguliers jusqu'à la fin de la domination britannique et au-delà, les plus violentes ayant lieu en 1920, après la Grande Guerre, et en 1943, pendant la guerre contre les Japonais. Cette dernière est due au fait que les Anglais avaient détruit les milliers de bateaux qui servaient au transport du riz dans le delta, dans la crainte qu'ils ne servent aux ennemis  !

La révolte des Cipayes (en anglais : Indian Mutiny ou Sepoys Rebellion), en 1857, ébranle la domination britannique. Le gouverneur anglais de Calcutta Lord Canning surmonte l'épreuve mais pour éviter sa répétition, le gouvernement abolit la Compagnie et décide d'administrer la colonie en direct...

Libération de Lucknow (1857, Thomas Jones Barker)

Commerce inégal

Maîtres du sous-continent, les Britanniques ont dans un premier temps développé massivement leurs achats de matières premières textiles (balles de soie et de coton écrus) en vue d’alimenter leurs propres usines de tissage à Liverpool et Manchester. Une fois ces usines en place, il ont fait en sorte de ruiner leurs concurrents indiens grâce à des mesures fiscales et douanières ultra-protectionnistes, grâce également au concours de négociants indiens prompts à s’enrichir en important des produits anglais.
Au début du XIXe siècle, les artisans indiens se voient interdire l'utilisation des nouvelles machines à filer qui font le succès des manufacturiers anglais. Dans le même temps, les exportations de cotonnades et de soieries indiennes vers les îles britanniques sont soumises à des droits de douane exorbitants, de 30 à 80% de leur valeur nominale.
C'est ainsi que se renversent les courants d'échanges au milieu du XIXe siècle. Vers 1880, près de 60 % des produits textiles en Inde viennent d'Angleterre, et l'on estime qu'environ 3,6 millions d'emplois ont été détruits en Inde dans ce secteur entre 1850 et 1880, générant un appauvrissement général du sous-continent. Dans le même temps, les Indes en proie à de fréquentes famines exportent jusqu'à dix millions de tonnes de céréales vers les îles britanniques ! Ces exportations cesseront au début du XXe siècle du fait de l'appauvrissement du sous-continent. 

Les possessions britanniques des Indes selon une carte de 1909

Le British Raj

Le 1er janvier 1877, sur une suggestion de son Premier ministre Benjamin Disraeli, la reine Victoria est proclamée impératrice des Indes.

C'est l'avènement du British Raj (l'Empire britannique en anglo-hindi). Son administration est confiée à l'India Office, à Londres. Le gouverneur général établit à Calcutta reçoit le titre de vice-roi. Il s'appuie sur l'Indian Civil Service, qui comporte une poignée de hauts fonctionnaires britanniques : deux mille personnes environ issues des meilleures écoles, qui vivent comme des demi-dieux dans des palais des Mille et Une Nuits, avec une pléiade de serviteur. Ils sont assistés de dix mille officiers britanniques qui, entre les opérations militaires, connaissent les mêmes agréments. 

Les élites hindoues sont associées à l'administration par les Anglais, trop peu nombreux pour pouvoir administrer à eux seuls le sous-continent et ses trois cents à quatre cents millions d'âmes. Appelés babus, ces Indiens frottés de culture occidentale adoptent volontiers la langue anglaise, qui a la vertu d'être la langue du maître mais aussi d'être commune à tous les fonctionnaires du sous-continent.

Mais ces élites, qui font souvent leurs études à Oxford et Cambridge, ne tardent pas aussi à adopter la conception anglaise du droit et de la justice. Cela les amène à revendiquer très vite l'autonomie puis l'indépendance de leur pays.

En 1885, un groupe d'Indiens réuni à Bombay forme le parti du Congrès (Indian National Congress) avec l'approbation des Anglais, qui veulent de la sorte se donner un interlocuteur de bonne composition. 

Sa première initiative d'envergure survient en 1905, lorsque le vice-roi George Nathaniel Curzon projette de scinder l'indocile province du Bengale, avec une partie occidentale majoritairement hindoue et une partie orientale majoritairement musulmane (c'est le Bangladesh actuel !). Il dénonce le plan et lance un appel au boycott (dico) des produits britanniques qui recueille un large écho dans la société indienne.

Les élites musulmanes prennent quant à elle le parti du vice-roi et forment en 1906 la Ligue musulmane (All India Muslim League) pour se faire entendre. Ainsi les Britanniques vont-ils pouvoir prolonger leur domination sur les Indes en jouant de l'opposition entre hindous et musulmans... 

En 1911, Londres renonce à la partition du Bengale sur des bases religieuses mais s'en tient à une partition sur des bases linguistiques en en détachant l'Orissa et le Bihar. Par ailleurs, le vice-roi quitte Calcutta pour La Nouvelle-Delhi (New-Delhi), une nouvelle capitale administrative à proximité immédiate de l'ancienne capitale des Moghols.

Après la Première Guerre mondiale, les revendications autonomistes prennent de l'ampleur. Avec l'accession de Gandhi à la présidence du Congrès, le parti devenu un parti de masse, se donne pour mission rien moins que l'autonomie, voire son indépendance.

Peu après la sanglante répression des manifestations d'Amritsar (13 avril 1919), le Congrès national indien appelle à la désobéissance civile le 1er août 1920 à l'instigation de Gandhi. Mais il s'ensuit des dérapages et notamment la mort de plusieurs policiers victimes de la foule. L'incident conduit le Congrès à suspendre le mouvement en février 1922.

Résignés et lucides, les dirigeants britanniques admettent en 1929 le principe d'un statut de dominion, analogue à celui du Canada ou de l'Australie... à l'exception notable de Winston Churchill, viscéralement attaché à l'Inde de ses exploits de jeunesse. Quand celui-ci accède au pouvoir au début de la Seconde Guerre mondiale, il reporte bien évidemment à plus tard les projets d'autonomie et mobilise les hommes et les ressources de l'Empire britannique, Indes comprises, en vue de la guerre, prioritairement sur le front euro-méditerranéen. 

Subhas Chandra Bose, élu à la présidence du Congrès en 1938, s'oppose à Gandhi et Nehru sur l'opportunité de mettre en sourdine les revendications indépendantistes pendant la guerre. Gandhi et son disciple Nehru l'emportent. Bose quitte le parti, attendant son heure.

Mais en mars 1942, la Birmanie est envahie par les Japonais et le Bengale menacé. Gandhi se convainc que les Japonais laisseront son pays tranquille si les Anglais s'en vont. En août 1942, prenant ses partisans de court, il lance alors une nouvelle campagne de désobéissance civile avec ce slogan sans équivoque à l'adresse des Anglais :  « Quit India ! ». Les Anglais ne goûtent pas la plaisanterie et réagissent par une impitoyable répression, avec l'arrestation de 90 000 personnes et la mort de plusieurs milliers de manifestants.

L'année suivante, Bose se rallie aux Japonais et constitue une Armée nationale indienne (INA) en rassemblant des paysans et des prisonniers de guerre libérés par les Japonais.

Retardée par la Seconde Guerre mondiale et l'hostilité entre hindous et musulmans, l'indépendance ne deviendra effective qu'en 1947. Elle se soldera par une nouvelle division du sous-continent entre l'Union indienne et le Pakistan, qui lui-même se séparera du Bangladesh en 1971.


Publié ou mis à jour le : 2023-04-11 18:46:15

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